Motherland: Fort Salem, Eliot Laurence (Freeform)

Motherland: Fort Salem imagine une réalité parallèle où le procès des sorcières de Salem de la fin du XVIIe siècle s’est terminé, non pas avec la condamnation à mort d’une vingtaine de personnes, mais avec un accord entre l’une des sorcières et le pouvoir en place dans ce qui n’étaient pas encore les États-Unis. Plus de 300 ans plus tard, la série créée par Eliot Laurence imagine un univers bien différent du nôtre. L’armée américaine est composée de sorcières qui combattent en utilisant leurs armes, des sorts envoyés à l’aide d’incantations vocales et autres fouets magiques. La série portée par Freeform, chaîne du groupe Disney pensée pour un public en majorité jeune et féminin, impose son casting majoritairement féminin et un univers sous le signe de la diversité, ethnique et sexuelle. Que de bons points donc, pour un résultat décevant. Motherland: Fort Salem n’est pas seulement bourrée de clichés faciles, sa première saison est si pleine d’incohérences et de zones d’ombre que l’on peine à s’intéresser aux personnages et aux enjeux. Quel dommage…

Dans cet univers alternatif, les filles qui appartiennent à des familles de sorcières depuis des siècles sont appelées à rejoindre l’armée américaine quand elles atteignent l’âge adulte. Elles doivent participer à une formation militaire d’un an qui déterminera si elles peuvent poursuivre à l’école militaire et atteindre les rôles d’encadrement, ou bien si elles iront directement sur le front affronter les ennemis des États-Unis. Motherland: Fort Salem suit trois jeunes recrues qui forment une unité, sachant que c’est l’unité entière qui est jugée et non leurs individus. Raelle, Tally et Abigail pourraient difficilement être plus différentes, mais elles doivent s’entendre et s’entraîner ensemble, ou tout perdre ensemble. La première saison se concentre sur leur année d’apprentissage, jusqu’à la décision finale : école militaire ou front ? La structure de la série créée par Eliot Laurence est très classique, on suit les cours des jeunes femmes, leurs chamailleries, leurs amours et leurs progrès dans le monde de la sorcellerie. La menace des Spree, des sorcières terroristes qui provoquent des suicides massifs, plane en permanence et on a beaucoup de choses à découvrir sur cet univers. On ne peut pas retirer à la série de Freeform que cet univers est riche et vaste. C’est un point positif, sauf que les scénaristes nous plongent dedans sans nous l’expliquer. Un peu de mystère est très positif, mais s’il n’y a que ça, l’ennui finit vite par poindre. Les règles de cet univers sont mal ou pas définies et on peine à comprendre des petits détails comme les principes fondamentaux. On ne comprend pas pourquoi la générale Adler est la seule à avoir une vie éternelle en « consumant » de jeunes sorcières, par exemple. On ne sait pas bien comment les sorcières choisissent leur voie, ou si c’est naturel. On ne saisit pas du tout à quoi servent les sorciers qui débarquent sans prévenir et même si on apprécie la touche de féminisme qui les réduit au rôle de sextoys pour satisfaire les sorcières, cela ne suffit pas à les rendre intéressants. Et au-delà de ça, les Spree sont présentés comme de vilains terroristes, mais la générale Alder est aussi capable du pire. Que Motherland: Fort Salem veuille sortir du bien contre le mal est très honorable, mais encore faut-il construire une histoire qui tienne la route. En l’état, les scénaristes donnent plutôt le sentiment d’avancer constamment à l’aveugle et de ne jamais avoir la vision d’ensemble qui serait cruellement nécessaire.

Cette confusion générale n’aide pas la série, qui souffre aussi d’une photographie jaunâtre très caricaturale et de quelques facilités grossières dans le traitement des personnages. Les trois héroïnes peinent à sortir de leurs caricatures originales, leur psychologie reste aussi fine que du papier à cigarette et on a du mal à s’intéresser à leurs parcours. Les dix premiers épisodes de Motherland: Fort Salem se regardent rapidement, mais a-t-on vraiment envie de voir la suite ? Ce ne sont pas les multiples surprises bien artificielles du derniers épisodes qui titillent notre curiosité et même si Freeform a d’ores et déjà renouvelé sa série pour une deuxième saison, on n’est pas sûr d’être au rendez-vous. Ou alors, il va falloir prendre le temps de nous expliquer les bases et arrêter avec les filtres jaunes.