Plus gros succès de David Cronenberg, La Mouche s’inspire d’une nouvelle qui imagine la fusion accidentelle entre un scientifique et une mouche. On pourrait penser qu’il s’agit d’un épisode de l’univers Marvel, mais on est ici autant dans la science-fiction que l’horreur, avec une vision devenue légendaire de cet homme qui se convertit progressivement en insecte. Nettement plus gore et visuel qu’on pourrait l’imaginer, La Mouche est aussi un film assez terrifiant sur la maladie et ses effets sur un couple, en même temps qu’une démonstration presque brutale du délitement du corps humain. Son succès initial et son statut d’œuvre culte n’ont pas été volés, c’est un classique qui mérite d’être découvert ou revu.
Le lien entre le long-métrage de David Cronenberg et les comics n’est pas exagéré. Quand Seth Brundle parvient à créer une machine capable de téléporter des êtres vivants et qu’il entre dans l’une des deux cabines, il ignore alors qu’une mouche est entrée avec lui. Le processus implique de déconstruire la matière à un endroit pour la reconstruire à un autre et l’ordinateur mélange les deux ADN détectés et produit un nouvel être. Et dans les premiers temps, on dirait un surhomme similaire à ceux de Marvel et compagnie : la force physique du scientifique a décuplé, il se sent capable de tout et il pourrait devenir un super-héros. Mais c’est une fausse piste, que David Cronenberg rectifie bien vite. Son personnage principal ne devient pas seulement plus puissant grâce à l’ADN de mouche, il se transforme en une mouche, étape par étape. C’est naturellement le coup de force de La Mouche, cette lente dégradation du corps de Jeff Goldbum, qui passe d’abord par quelques poils dans le dos et boutons sur le visage et qui se termine en un insecte plus vrai que nature. Le cinéaste prend son temps pour décrire ce processus, il en présente toutes les phases, avec une montée crescendo dans l’horreur et le gore. Au départ, le personne a une tête des mauvais jours, mais il perd entre ses cheveux, ses ongles, ses dents et bientôt des membres entiers. Ce qui était un point fort initial devient une maladie qui gangrène l’intégralité de son corps, comme un cancer généralisé. Le lien avec la maladie est évident — et à sa sortie, comment ne pas penser au SIDA ? —, mais David Cronenberg s’inspire aussi de la vieillesse naturelle, comme si la transition de son personnage était normale et inévitable, un vieillissement accéléré par l’expérience scientifique ratée. L’acteur est en tout cas bluffant dans ce rôle difficile et exigeant et le succès du projet doit beaucoup à Jeff Goldblum.
David Cronenberg choisit d’allier une histoire d’amour à cette intrigue à mi-chemin entre la science-fiction et l’horreur. Un choix intéressant, parce que le couple formé entre Seth et Veronica, la journaliste venue à l’origine faire un article sur sa découverte, est représentatif de tous ceux qui doivent affronter la maladie et la mort en son sein. Quand on enlève les expériences ratées et la partie futuriste sur la téléportation, il reste un homme et une femme qui s’aiment, mais dont l’amour est bloqué par un événement terrible. La relation d’amour est posée abruptement par le scénario, peut-être un petit peu trop pour le bien du film d’ailleurs, mais le message reste : les deux personnages principaux de La Mouche ont un coup de foudre et ils sont follement amoureux, mais la transformation physique du scientifique met à mal cet amour. Pourtant, Veronica fait tout pour essayer de l’aider, mais sa transformation affecte aussi sa nature humaine, il devient plus violent et perd sa sensibilité. Leur séparation est inéluctable et le film prend à cet égard des airs de tragédie, avec une trajectoire qui ne laisse aucun espoir jusqu’au final sanglant. David Cronenberg n’essaie jamais d’arrondir les angles, ni sur la forme, ni sur le fond et comment souvent dans ses films, la subtilité psychologique est bien au rendez-vous. On apprécie aussi le choix d’évoquer aussi directement la question de l’avortement, un sujet devenu tabou à Hollywood et qui est traité ici sans tomber dans la caricature facile. Et si l’on parle tant et à juste titre de la prestation de Jeff Goldblum, il ne faut pas oublier celle de Geena Davis, excellente elle aussi dans le rôle de Veronica.
Que La Mouche ait rencontré un tel succès public est fascinant, quand on considère que le long-métrage de David Cronenberg traite d’un sujet aussi aride et dur que peut l’être un couple face à la maladie. C’est bien cela le cœur du film pourtant, plus que la science-fiction du scientifique qui subit une expérience malheureuse. Le traitement visuel, bluffant sur le plan technique, est aussi plus brutal qu’on pouvait l’imaginer dans une telle œuvre. La Mouche reste quoi qu’il en soit une œuvre qui vaut le détour, à la fois pour la vision proposée par David Cronenberg et par les thématiques qu’il interroge. Un film culte !