Le Livre de la Jungle n’arrête pas d’inspirer le cinéma. Deux ans après Walt Disney qui avait offert une vision en images réelles de la nouvelle de Rudyard Kipling, ou plutôt de sa propre relecture en animation sortie dans les années 1960. On y retrouvait notamment les chansons mythiques du dessin animé et un résultat moyen, trop sombre pour les enfants, trop enfantin pour les adultes. Cette fois, c’est Andy Serkis qui s’y colle, avec un projet que l’on présentait comme radicalement différent. Finie la relecture mignonne de Disney, place à la noirceur de l’œuvre originale : voici Mowgli : La Légende de la jungle. Ce projet est en fait plus ancien que le long-métrage de Jon Favreau, mais sa sortie en catimini sur Netflix plutôt que dans les salles du monde entier résume bien la série de problèmes qu’il a connu. En gestation depuis bien des années, il offre un résultat intriguant par sa violence et sa noirceur, débarrassé de la légèreté du Disney, mais qui peine pour autant à décoller totalement. Intéressant, à défaut d’être vraiment convaincant.
Le point de départ est toujours le même : un tigre attaque des humains et laisse dans la jungle un enfant abandonné, recueilli par une panthère noire et confié à une meute de loups qui l’élève comme les siens. Mowgli : La Légende de la jungle ne dévie pas de ce fil narratif que l’on connaît bien, mais tous ceux qui ne connaissent l’histoire qu’à travers son adaptation en images animées seront surpris de noter quelques changements significatifs. Dès le départ, tous les personnages importants sont présents et au courant de la présence de Mowgli, que ce soit Bagheera évidemment, mais aussi Baloo et même Shere Khan. Ils sont tous là quand les loups décident de l’adopter et de le traiter, non pas comme le petit humain qu’il est vraiment, mais comme un louveteau. D’emblée, la menace qui pèse sur lui est évidente et Andy Serkis parvient très bien à la rendre palpable, avec des animaux nettement plus terrifiants que dans le remake récent de Walt Disney. Ils portent tous des cicatrices bien visibles, certains ont perdu un membre et ils sont tous très impressionnants. Le film est interdit aux moins de 13 ans et on voit bien pourquoi dès l’introduction, il est indéniablement sombre et violent, ce que la suite confirme naturellement. Sur le plan technique, ces animaux sont très réussis, du moins tant qu’ils ne parlent pas. En effet, dès qu’ils ouvrent la gueule pour s’exprimer comme un humain, une sorte de malaise se forme, exactement comme dans Le Livre de la Jungle de Jon Favreau. Sauf qu’ici, la technique du stop-motion permet d’appliquer des traits de l’acteur qui donne sa voix aux animaux, et c’est clairement une fausse bonne idée. On ne reconnaît pas Christian Bale, Benedict Cumberbatch, Andy Serkis lui-même ou encore Peter Mullan, mais il y a toujours quelque chose qui cloche, comme si ces animaux perdaient totalement en réalisme dans le processus.
C’est le paradoxe principal de cette adaptation, à la fois hyper-réaliste par certains aspects, et en même temps très proche du conte pour enfants par d’autres. Quelques séquences sont bluffantes, notamment celle avec les singes, précisément parce qu’elle est muette. D’autres tombent dans le ridicule, notamment toutes celles où Mowgli jouent avec ses frères loups. On ne croit jamais vraiment à leurs interactions, comme s’il y avait un décalage entre ce que le réalisateur veut nous montrer, et ce que le spectateur voit réellement. Mowgli : La Légende de la jungle reste intéressant par son choix de rester plus proche du travail de Rudyard Kipling et donc sur la présence plus importante des humains. Le film dure 1h45 environ, et les quarante-cinq dernières minutes se déroulent dans le village des humains, pour mieux opposer encore les deux mondes. Andy Serkis restaure le statut de conte en faveur de la nature et son film est assez critique envers l’homme et sa progression permanente et insensée sur la jungle. Tout ceci a un écho très clair avec l’actualité et c’est encore une fois une piste intéressante, mais elle n’est pas très bien traitée. Les problèmes techniques sont là, mais le plus gênant, c’est indéniablement le scénario qui essaie bêtement de créer un conflit plus important qu’il n’est. Est-ce parce que c’est Cate Blanchett qui donne sa voix au serpent Kaa, et parce que ce dernier joue le rôle de narrateur, mais on a le sentiment d’entendre Galadriel nous conter l’histoire de la Terre du Milieu dans Le Seigneur des Anneaux au début du film. Ce souffle épique est assez ridicule à vrai dire et même si le film évite l’affrontement entre deux armées que l’on pouvait craindre, on sent que cette idée est restée en permanence derrière la tête d’Andy Serkis. Cela se ressent, il y a toujours une volonté de transformer cette nouvelle assez simple en une lutte entre l’homme et l’animal, ce qu’elle n’est jamais vraiment. Le résultat a l’effet inverse : loin de susciter notre intérêt, ce ton outrancier a tendance à lasser et à désintéresser le spectateur.
Pour autant, Mowgli : La Légende de la jungle ne tombe jamais dans l’ennui, notamment parce qu’il reste assez bref pour un blockbuster moderne. Mais à l’heure des bilans, que retenir de cette énième adaptation ? Sa noirceur est intéressante et son récit est nettement plus complexe que chez Disney, mais Andy Serkis est toujours coincé entre son traitement trop sombre et violent pour les enfants, et une histoire qui demeure assez simple, trop peut-être pour les adultes. C’était aussi le problème de Jon Favreau, mais il est ici accentué par sa noirceur assumée. Mowgli : La Légende de la jungle n’est pas totalement réussi sans être complètement raté pour autant et on apprécie le retour aux sources rafraichissant par rapport à la vision de Disney. Si vous avez accès à Netflix, il mérite malgré tout d’être vu.