Naruto, Masashi Kishimoto

Publié pendant dix ans, Naruto est l’un des mangas les plus populaires au monde et l’univers créé par Masashi Kishimoto a largement dépassé les frontières japonaises et séduit des centaines de millions de personnes dans le monde entier. C’est un véritable phénomène qui a largement contribué à diffusé la culture du manga au-delà de son pays de création et au-delà de son medium de base. Un succès énorme, qui se comprend facilement quand on prend le temps de plonger dans les 72 tomes qui composent l’histoire de Naruto Uzumaki et du monde des ninjas créé de toute pièce par l’auteur. Il y a bien quelques défauts et le récit est de qualité inégale, mais l’histoire n’en est pas moins passionnante et mérite bien de prendre le temps de découvrir un univers riche et original.

Dans les premiers tomes de Naruto, Masashi Kishimoto raconte aussi son enfance et ses débuts compliqués dans le monde du manga. Quand il commence à imaginer ce qui allait devenir le succès mondial que l’on sait, il est très loin de savoir qu’il tient un best-seller qui serait lu tout autour du monde. Comme tous les shōnen manga, celui-ci commence sous la forme de quelques pages en noir et blanc publiées dans un magazine pour ados japonais. Tous les auteurs commencent avec quelques pages et une histoire qui reste assez simple, puis étendent leur récit en fonction du succès et du maintien de la série dans les publications du magazine. En apparence, l’histoire commence très simplement, avec l’histoire d’un garçon turbulent qui multiplie les bêtises, est mauvais à l’école et qui est considéré comme un emmerdeur de première dans le village caché de Konoha où il a grandi. Les premiers chapitres sont très simples et assez légers, avec la constitution du trio Naruto, Sasuke et Sakura, central dans toute l’histoire. Le manga commence avec de multiples scènes comiques, où le pitre vantard n’arrête pas de faire tout et n’importe quoi, mais déjà en dévoilant des talents cachés pour le jutsu, toutes les techniques de combat des ninjas. Et surtout, ces premières pages laissent entrevoir un univers déjà riche, où il est question d’un démon à neuf queues et d’événements qui se sont déroulés douze ans avant cela. Masashi Kishimoto garde la majorité des informations à ce stade et le lecteur ne pourra pas tout comprendre sans terminer la totalité de Naruto. Pour séduire le public, il fallait lancer directement l’intrigue et garder une partie des informations pour la suite, mais c’est aussi une méthode très maligne pour entourer un récit d’une bonne dose de mystère.

Le succès étant au rendez-vous, le récit peut s’épaissir et on découvre progressivement un univers d’une rare richesse. Il suffit d’ouvrir la fiche Wikipédia consacrée au sujet pour comprendre que l’on est au niveau de complexité et de cohérence de l’univers imaginé par Tolkien, ou celui de Star Wars dans un autre genre. Outre le manga de base, cet univers a été parfois complété par la suite avec les adaptations animées, et d’autres œuvres qui viennent enrichir les informations de base. Naruto est indéniablement l’histoire d’une vie pour un auteur, et Masashi Kishimoto avait sans aucun doute une idée assez précise de ce qu’il allait raconter en commençant son histoire. Mais il a pris son temps, en ne jouant pas ses cartes trop rapidement et surtout en permettant aux lecteurs d’aborder toute la complexité progressivement. Un lecteur qui serait projeté directement dans les derniers volumes ne comprendrait absolument rien et serait laissé abasourdi par le nombre sidérant de personnages et de techniques, ou encore par une mythologie complète inventée pour Naruto. Pour éviter cela, l’histoire se concentre d’abord sur l’apprentissage de trois futurs ninjas, Naruto donc, mais aussi Sasuke et Sakura. Ce trio a été formé pour travailler ensemble et apprendre sous l’égide d’un ninja plus âgé et plus talentueux, Kakashi. Ensemble, ils doivent répondre à des quêtes d’abord simples, plus de plus en plus complexes et petit à petit, le récit introduit des notions de géopolitique. On découvre les différents pays qui composent ce monde imaginaire — quoi que fortement influencé sur le Japon — et surtout, on découvre en même temps que les personnages la menace qui gronde. Très vite en effet, il est évident que certains ninjas agissent dans l’ombre, avec un objectif malveillant que l’on découvre petit à petit.

Un shōnen manga est une catégorie de manga taillée spécifiquement pour les jeunes garçons et adolescents. Ce n’est pas un genre en soi, puisque l’on retrouve sous ce nom des récits qui peuvent être très différents et Naruto pioche dans le rétro-futurisme avec un univers inspiré du monde des samouraïs et du Japon historique, mais avec des emprunts au monde moderne. Mais le récit doit séduire avant tout de jeunes lecteurs et le ton est ainsi très enfantin, surtout au début. Dans une deuxième partie, Masashi Kishimoto change l’orientation de son manga et il adopte un ton plus adulte, signe aussi que ses propres lecteurs ont grandi. Jusqu’au bout, le récit conserve néanmoins une naïveté qui correspond bien à cette cible initiale. Il est, après tout, question d’un conflit entre le bien et le mal et c’est un thème qui est maintenu du début à la fin. Au début, justement, on en est toutefois encore assez loin et l’histoire se construit autour de trois adolescents qui apprennent à vivre ensemble et découvrent l’art du combat des ninjas. Ce n’est pas toujours très subtil et l’auteur a parfois tendance à sur-expliquer certains complexes, pour être sûr que personne n’est laissé sur le côté de la route. C’est par moments un peu lourd, mais il faut aussi reconnaître que Naruto est également très drôle et toute cette partie d’apprentissage est très plaisante à lire, même pour un lecteur adulte. Et puis très vite, la mythologie incroyablement touffue prend le dessus et c’est elle qui maintient l’intérêt. Plus on en découvre sur les personnages et l’histoire du village, plus on a envie d’en découvrir et les informations sont glissées très progressivement dans chaque chapitre, puis de plus en plus quand on s’approche de la fin. Entre séquences historiques, bêtises de Naruto et autres querelles amoureuses d’adolescents, Masashi Kishimoto glisse aussi de spectaculaires batailles dans son récit. Leur lecture n’est pas toujours facile, c’est un défaut récurrent, mais le style donne une bonne idée des mouvements et de l’intensité de chaque bataille, avec une montée en puissance tout au long du manga.

Outre la lecture inversée commune à tous les mangas1, Naruto implique de s’adapter à un style parfois trop simpliste et enfantin. Si vous arrivez à dépasser ce cap toutefois, vous pourrez découvrir un univers d’une richesse assez folle et un récit passionnant, prenant de la première à la dernière case. Masashi Kishimoto a parfois tiré à la ligne, ou plutôt à la case, et son histoire aurait sans doute gagné à être un petit peu plus courte, avec peut-être moins de combats, surtout sur la fin. Il y a quelques défauts donc, mais ils sont largement compensés par le reste et Naruto mérite vraiment d’être lu.


  1. On lit de haut en bas et de droite à gauche, ce qui nécessite de prendre de nouvelles habitudes. C’est d’autant plus important sur les pages de combats, où les dialogues sont moins nombreux.