Nausicaä de la vallée du vent n’est pas le premier long-métrage de Hayao Miyazaki, puisque le cinéaste avait déjà signé Le Château de Cagliostro cinq ans auparavant, mais c’est la première œuvre originale déjà, et c’est le premier qui reste associé à son nom et à celui du studio Ghibli1. L’histoire est fournie par un manga publié jusque dans les années 1990 et écrit par… Hayao Miyazaki lui-même. C’est une idée originale, un point de départ de science-fiction post-apocalyptique qui permet à son auteur de déployer son imaginaire et surtout de mettre en avant un discours écologiste qui est central dans toute son œuvre. Le résultat final est un long-métrage inégal sur le plan technique, mais passionnant sur le fond et qui préfigure largement l’œuvre du réalisateur. Nausicaä de la vallée du vent n’a pas toujours bien vieilli, c’est vrai, mais le film mérite toujours d’être (re)vu.
À partir d’un manga de cinquante-neuf chapitres et publié sur une décennie environ, Hayao Miyazaki doit écrire le scénario d’un long-métrage. Autant dire qu’il lui faut considérablement réduire la quantité d’informations et trouver une histoire beaucoup plus légère, et ce d’autant plus que le projet qui conduit à Nausicaä de la vallée du vent est lancé au début des années 1980, c’est-à-dire aussi au début du manga sur papier. C’est pour cette raison que, bien que l’on parle d’adaptation, le long-métrage est plutôt une variation dans l’univers imaginé pour les mangas. On trouve quelques points communs entre les deux œuvres, mais la liste des différences est plus longue encore. Et de toute manière, l’histoire déployée sur légèrement moins de deux heures ne correspond qu’à quelques chapitres à peine de l’original. On sent bien, rétrospectivement, que le projet a été mené très rapidement et alors que le cinéaste travaillait toujours sur la version papier. Au début des années 1980, Hayao Miyazaki est un réalisateur connu dans le milieu de l’animation japonaise, mais il doit faire de nombreuses concessions pour mener à bien un projet aussi ambitieux que celui-ci. Réalisé en moins d’un an pour un budget équivalent à un million de dollars, Nausicaä de la vallée du vent n’est pas le long-métrage le plus soigné du studio qui n’était pas encore nommé Ghibli. De fait, on sait que le cinéaste a sous-traité des pans entiers de la réalisation, et cela se voit un peu. Les personnages sont les moins bien lotis, ils sont souvent assez grossiers et surtout manquent de cohérence d’un bout à l’autre du film. Ce n’est pas une caractéristique si différente du reste de l’œuvre de Hayao Miyazaki toutefois, qui a toujours opté pour une certaine simplicité quand il dessine ses personnages. En revanche, quelques séquences sont vraiment simples, pour ne pas dire simplistes, avec une animation ou des décors manifestement réalisés à la va-vite. C’est quelque chose qui disparaît ensuite, essentiellement parce que le studio Ghibli pourra s’offrir le luxe de tout superviser et d’imposer un niveau d’excellence à tous les intervenants2. Mais en attendant, il faut reconnaître que Nausicaä de la vallée du vent n’est pas le mieux fini.
Est-ce vraiment un problème pour autant ? Quand on a l’habitude de la richesse et du foisonnement de certains décors des « grands » Ghibli et des productions récentes, on peut être surpris par la simplicité qui préside ici. Mais on retrouve aussi ce sens du foisonnement sur quelques plans, comme la cave du château ou plusieurs séquences dans la forêt. Et puis on oublie vite les défauts de jeunesse pour mieux se concentrer sur ce qui a toujours été le point fort de Hayao Miyazaki : son sens aigu de l’animation, les idées qui se multiplient pour évoquer la vitesse ou la distance, la beauté de nombreuses séquences. La toute première, celle qui ouvre Nausicaä de la vallée du vent avant même l’affichage du titre du film, est vraiment splendide à cet égard. Et puis que dire de l’imagination folle du réalisateur, qui compose un univers de science-fiction baigné pourtant par notre histoire ? La vallée du vent et ses habitants nous renvoient au Moyen-Âge, quand les immenses avions tolmèques rappellent plutôt la Seconde Guerre mondiale. Qui d’autre que Hayao Miyazaki pour créer ces plantes luxuriantes et en même temps nocives et surtout les ômus, ces bestioles aussi immenses et terrifiantes que magnifiques ? C’est peut-être ça le plus gros point fort de ce cinéma : imposer un univers si unique qu’on ne l’imaginerait nul part ailleurs que chez Ghibli. C’est assez fascinant de constater que, dès cette première réalisation originale, tout est déjà là. Y compris, au milieu de cet étrange univers post-apocalyptique, Nausicaä, une héroïne jeune et forte, qui se bat pour son peuple, mais aussi et surtout pour la nature. C’est une princesse et donc quasiment un conte traditionnel, mais c’est aussi une femme moderne, au centre des enjeux et de l’action. Là aussi, Hayao Miyazaki trouve sa voie dès cette première réalisation, avec un personnage principal très proche de tous ceux qui suivront. Tout comme l’écologie, au cœur de son œuvre, est déjà ici le moteur principal du film.
Certes, Nausicaä de la vallée du vent n’est pas encore tout à fait au point sur le plan technique, mais sur tous les autres aspects, ce long-métrage est déjà tellement une œuvre de Hayao Miyazaki que c’en est presque étonnant. Le réalisateur exploite déjà tous ses thèmes fétiches, de la nature à l’aviation, et même si l’on est officiellement dans la science-fiction, on retrouve aussi son goûts pour le fantastique avec un bestiaire très développé. Les années 1980 résonnent par moment un petit peu trop dans la bande-originale, mais on entend là aussi la pâte Ghibli, tout comme dans le choix d’une héroïne et même dans certains personnages secondaires. Et même si le long-métrage a un petit peu vieilli techniquement, il reste indémodable sur le fond et la force de son message n’a pas faibli. D’entrée de jeu, Hayao Miyazaki signe un classique.
- Même si, techniquement, ils n’existaient pas encore en 1984. L’entreprise est créée en juin 1985, l’année qui suit la sortie de Nausicaä de la vallée du vent et c’est essentiellement le succès du film qui permet à Hayao Miyazaki de fonder le studio Ghibli. ↩
- Et aussi de superviser la sortie de ses œuvres à l’international. Pour Nausicaä de la vallée du vent, la version proposée à l’origine aux États-Unis et en Europe est raccourcie d’une demi-heure, centrée sur l’action et remaniée en profondeur. Ça n’avait probablement plus grand-chose à voir avec la vision de Hayao Miyazaki… ↩