Avec The Newsroom, Aaron Sorkin essaie de régler ses comptes avec l’information moderne et de mettre en avant ce qui devrait être le journalisme selon lui. À l’ère de la désinformation de masse et de la place écrasante des réseaux sociaux, cette série diffusée par HBO entre 2012 et 2014 résonne comme une mise en garde terrifiante et cruelle. Son concepteur allait déjà à contre-courant à son époque, mais le modèle qu’il dénonce constamment le temps de trois saisons a bel et bien gagné. C’est probablement l’aspect le plus intéressant qui ressort de cette série, qui tombe par ailleurs un petit peu trop souvent dans l’emphase didactique. Bavarde, idéaliste et parfois maladroite, The Newsroom est dans l’ensemble réussie, en tout cas pour ses deux premières saisons. La dernière tombe dans l’excès de pathos et elle est nettement plus faible, mais la série mérite malgré tout d’être vue.
L’essentiel de l’action se déroule dans la salle de presse qui lui a donné son titre : Aaron Sorkin imagine une chaîne de télévision du câble, ACN, et son journal télévisé tous les soirs. Will McAvoy est à sa tête depuis quelques années, mais cet ancien procureur ouvertement républicain s’est endormi dans le ronron d’une émission conventionnelle depuis quelques temps quand The Newsroom commence. Profitant d’un changement en interne, le responsable de la chaîne Charlie Skinner embauche une nouvelle responsable éditoriale pour relancer le journal vers plus de rigueur journalistique et pour favoriser l’information plutôt que les audiences. Mackenzie McHale est aussi l’ex-petite amie de Will, ce qui ne va pas arranger la collaboration de la star d’ACN et de celle qui doit insuffler une nouvelle orientation moins consensuelle. C’est le principal moteur de la première saison de la série, qui se construit autour de 10 épisodes et autant de faits marquants des années 2010 et 2011. Aaron Sorkin utilise ces marqueurs pour ancrer son œuvre dans une réalité historique, même s’il ne s’inspire pas directement d’un présentateur ou même d’une chaîne en particulier. Le pilote, pour prendre un exemple, se déroule le même jour que la catastrophe de Deepwater, soit le 20 avril 2010. Dans un autre épisode, c’est la catastrophe de Fukushima (11 avril 2011) qui sert de cadre, ou bien la mort d’Ousama Ben Laden (1 mai 2011). Tous ces faits sont intégrés au scénario et entremêlés avec les histoires personnelles des principaux protagonistes. Les relations tendues entre Will et Mackenzie sont au cœur des trois saisons, mais il y a d’autres duos et triangles amoureux qui se forment, tout particulièrement entre Maggie et Jim, une journaliste débutante et l’assistant de Mackenzie.
Cette idée de mêler l’histoire avec un grand h et les histoires personnelles n’a rien de nouveau, mais il faut reconnaître le talent d’Aaron Sorkin pour le faire de manière transparente. Tout colle parfaitement et l’écriture est toujours fluide, si bien que cela ne semble jamais forcé. On s’intéresse aux personnages et on apprend à les connaître, tout en suivant l’actualité, avec une importance égale accordée aux deux éléments, en tout cas dans la première saison. The Newsroom se construit avec trois saisons très différentes les unes des autres et la deuxième s’articule ainsi autour d’un arc narratif global et surtout fictif, même s’il s’inspire de faits réels. Dans ces neuf épisodes, les journalistes travaillent sur un scoop qui met en cause l’armée américaine et son utilisation supposée du gaz sarin lors d’une opération secrète. Le coup de force de la série portée par HBO est de bouleverser la chronologie, en commençant directement par les procès contre la chaîne après la diffusion des informations. Le spectateur sait ainsi dès le départ que quelque chose s’est mal passé, et il comprend ensuite quoi et comment par une reconstitution des travaux de recherche. C’est l’occasion également, pour Aaron Sorkin, de présenter comme sa rédaction rêvée doit travailler, en recoupant une multitude de fois les informations et en faisant un véritable travail d’enquête. Même si ACN s’est plantée, même si les journalistes ont fait des erreurs, ils ont un dossier de défense solide et ils n’ont pas détruit les principes de base de leur métier. The Newsroom est toujours accompagnée de ce message politique de la part de son concepteur, sur ce que doit être le travail d’un bon journaliste.
La série n’a pas peur des grands discours, elle devient même par moments emphatique. La bande-originale très classique, à base de nappes de violon limite larmoyantes, ne sauve pas vraiment The Newsroom qui, dans ces moment-là, tombe parfois dans la caricature ridicule. Cela étant, on lui pardonne volontiers, parce que le discours d’Aaron Sorkin est souvent plein de bon sens et parce que le recul des années prouve qu’il avait largement raison. La chaîne qu’il imagine dans cette série est une pure invention qui n’aurait jamais pu exister, pas même dans les années 2010, mais cela ne veut pas dire que les principes mis en avant sont faux pour autant. La hiérarchie de l’information, la nécessité de vérifier l’information sont autant de principes fondamentaux qui s’appliquent partout et tout le temps. Dommage, d’ailleurs, que la troisième saison tombe dans une critique facile des nouvelles technologies, mais ces six derniers épisodes sont dans l’ensemble bien inférieurs aux précédents. The Newsroom essaie de se renouveler en mettant ses personnages en danger, le résultat est assez artificiel et le final surjoue inutilement le drame. La série donne le sentiment de tomber dans le piège qu’elle avait dénoncé jusque-là, ce qui est assez ironique et peut-être aussi la réalisation, de la part de son créateur, que les évolutions dénoncées étaient inéluctables. Même si cette fin déçoit, la série mérite le détour, ne serait-ce que pour l’écriture des dialogues — un peu trop rapides parfois, c’est la marque de fabrique d’Aaron Sorkin, mais c’est aussi artificiel — et pour les acteurs qui les prononcent. Jeff Daniels est excellent dans le rôle de présentateur, Emily Mortimer est très bien dans celui de la responsable éditoriale, mais on retient tout particulièrement Olivia Munn, parfaite dans celui de Sloan Sabbith, l’analyste financière d’ACN.
The Newsroom souffre de quelques défauts, c’est indéniable, et en même temps, c’est une série passionnante qui se regarde avec plaisir. Vous devrez accepter des dialogues parfois trop rapides et un style presque toujours trop emphatique, c’est vrai, mais la série vous récompensera avec des personnages attachants et quelques pointes bienvenues d’humour. Aaron Sorkin tenait vraiment à exposer son point de vue sur le journalisme, cela donne parfois un résultat très didactique, certes, mais qui n’en est pas moins intéressant.