Adaptée d’une série britannique comme tant d’autres séries américaines, The Night Of ressemble davantage à un très long-métrage découpé en huit épisodes qu’à une série traditionnelle. Déjà parce que la série créée par Richard Price et Steven Zaillian a été pensée pour fonctionner seule, sans appeler de suite, même si les producteurs ont envisagé de le faire par la suite. Ensuite parce que la saison se concentre sur un faible nombre de personnages et un seul fil narratif principal, autour d’un meurtre, de l’enquête de police et surtout du procès qui a suivi. HBO signe là une œuvre d’une noirceur absolue, portée par d’excellents acteurs et qui pourrait être inspirée d’une histoire vraie tant elle semble vraie. The Night Of n’est pas une série très joyeuse, mais elle mérite indéniablement le détour.
La fameuse nuit évoquée par le titre occupe tout le premier épisode. On suit Nasir Khan, « Naz » pour les intimes, étudiant en commerce issu d’une famille d’origine pakistanaise sans histoire, un jeune apparemment sans histoire, toujours très correct et respectueux de sa famille et de sa culture. Sauf que ce soir-là, on l’a invité à une fête à Manhattan et il est décidé à y aller, coûte que coûte. Son ami avec une voiture le lâche à la dernière minute, qu’à cela ne tienne, il emprunte le taxi de son père et part seul. Mais lui qui n’a jamais rien fait d’extraordinaire dans sa vie jusque-là se retrouve vite perdu au cœur de la ville et quand une jeune femme de son âge entre dans son taxi, il perd un petit peu la tête. Il accepte de jouer le jeu et de la conduire où elle désire, ce qui se termine chez elle, dans une maison des beaux quartiers. La nuit avance bien, l’alcool et la drogue entrent en jeu et quand Naz émerge, il découvre que la fille avec qui il était est morte, tuée de 22 coups de couteaux. Paniqué, il fuit, mais il est arrêté et devient vite l’unique suspect. Voilà le point de départ de The Night Of, détaillé dans un premier épisode qui dure plus d’une heure et qui prend le temps de poser tout ce qui s’est déroulé, du point de vue du personnage. C’est ça le point essentiel, puisqu’il maintient son innocence, tout en ayant oublié une grande partie de la nuit et ne pouvant ainsi pas justifier ce qui s’est passé. L’enquête est vite menée et la série change rapidement, du genre policier au procès, qui occupe l’essentiel des huit épisodes. Tout indique que le jeune homme est coupable, à tel point que tout le monde finit par douter de sa sincérité, ses parents et même ses avocats. Est-il vraiment coupable ? Et si ce n’est pas lui, qui l’est ? Ces questions sont transversales, naturellement, mais Richard Price et Steven Zaillian n’y répondent pas frontalement, ils préfèrent tourner autour, apporter des éléments ici ou là, laisser également des fausses pistes en suspens. C’est la stratégie des avocats de Naz pendant le procès, insuffler le doute face aux jurés pour que cette culpabilité logique, trop logique même, vacille. Mais c’est aussi la stratégie des scénaristes et c’est une excellente chose : The Night Of ne dévoile que très progressivement ses secrets, jusqu’au final qui dure aussi longtemps qu’un long-métrage traditionnel, et qui réserve quelques surprises.
Davantage que la question de la culpabilité des uns et des autres, davantage que l’enquête, davantage que l’issue du procès, ce qui fait avancer The Night Of, ce sont ses personnages, c’est son ambiance extrêmement noire. Puisqu’elle est assez resserrée, la série peut se concentrer sur une poignée de personnages clés. Il y a Naz bien sûr, l’étudiant frêle et qui semble totalement innocent au départ, mais qui se transforme petit à petit, à la fois moralement et physiquement. D’un côté, on découvre un jeune homme plus sombre et moins honnête qu’il aimerait le dire, un élève perturbé qui a changé de lycée pour ses actes de violence, un dealer amateur qui fournit ses camarades en amphétamine et un prisonnier qui s’adapte extrêmement bien et vite à son nouvel environnement. C’est le plus frappant dans la série et sans doute aussi le plus réussi : quand le personnage entre dans les murs de Rykers, on envisage le pire pour lui, une mort rapide dans les douches sordides de la prison, ou bien une destruction psychologique tout aussi intense. Mais le personnage trouve vite une protection et bien vite, il participe activement aux trafics à l’intérieur des murs, sans ciller. Riz Ahmed est excellent dans ce rôle difficile, puisqu’il s’agit de transformer un personnage, physiquement — l’acteur a poussé de la fonte entre le début et la fin du tournage, la différente est impressionnante — et surtout moralement. À ses côtés, John Turturro incarne John Stone, avocat minable qui se charge en général de libérer des dealers, des prostitués ou des petits criminels, contre une somme dérisoire payée cash. Il se trouve par hasard dans le commissariat où Naz est arrêté et c’est lui qui devient son avocat, dans cette affaire qui le dépasse largement. C’est un personnage passionnant, parce que cet homme anxieux qui ressemble à un sans-abri avec ses habits sales, son visage fatigué et ses sandales qu’il est obligé de porter depuis qu’une crise d’eczéma le prive de chaussures fermées, cet homme est à la fois attachant et repoussant. D’un côté, il prend Naz sous son aile et c’est le seul à vraiment mener l’enquête pour essayer de comprendre ce qui s’est passé. De l’autre, il est sans pitié avec ses collègues et même ses clients et il essaie avant tout d’exploiter la situation du jeune homme pour obtenir sa revanche sur la vie, avoir enfin une vraie affaire sérieuse, gagner une belle somme d’argent et obtenir une reconnaissance de ses pairs. The Night Of est ainsi plein de personnages complexes et ils sont tous très bien traités, même les plus secondaires. Cela témoigne d’une qualité d’écriture incontestable pour le scénario et cela explique pourquoi on pourrait avoir, par moments, le sentiment de regarder une reconstitution et non une fiction. Un beau compliment pour la création de HBO qui vise si ostensiblement le réalisme.
The Night Of est une bien belle réussite, une saison unique qui ressemble fort à un seul long-métrage de près de neuf heures, des personnages parfaitement écrits et une ambiance à la noirceur totale maîtrisée d’un bout à l’autre. Richard Price et Steven Zaillian ont réussi à proposer une relecture intéressante d’un genre déjà étudié mille fois, avec une enquête et puis un procès qui ne manquent pas de surprise, sans pour autant jouer sur un suspense facile. The Night Of n’est pas spectaculaire, elle prend au contraire son temps pour installer une atmosphère et des personnages crédibles. Si le noir ne vous effraie pas, ne passez pas à côté !