Le Nom de la rose, Jean-Jacques Annaud

Jean-Jacques Annaud a tellement apprécié Le Nom de la rose qu’il essaie immédiatement de convaincre Umberto Eco d’adapter son roman au cinéma. Six ans à peine après la sortie de la version papier, c’est l’adaptation pour grand écran qui sort, ou plutôt son palimpseste, comme le long-métrage le déclare initialement. Une forme de clin d’œil au romancier, amoureux de la littérature et des mots, mais aussi un avertissement : passé au cinéma, Le Nom de la rose ne s’engage pas à respecter scrupuleusement le matériau original. De fait, le scénario reprend la trame originale et construit un thriller médiéval plus prenant. Le réalisateur reste toutefois très respectueux du cadre, à savoir un monastère italien du XIVe siècle : les éclairages sont souvent aussi naturels que possible et le rythme est assez lent, surtout au regard de nos standards actuels. Pourtant, Jean-Jacques Annaud parvient à intéresser et à signer une enquête qui reste, aujourd’hui encore, passionnante. Un classique !

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Dès les premières images, Le Nom de la rose marque par la dureté de ses décors, par la sécheresse de son cadre. Loin d’un film historique coloré et enjoué, Jean-Jacques Annaud propose au contraire une vision sombre et plutôt réaliste du Moyen-Âge. D’ailleurs, à l’exception d’une statue de la Vierge qui a beaucoup fait jaser, la reconstitution évite les anachronismes et les décors sont assez fidèles à ce que l’on peut savoir de cette époque. Un soin tout particulier a été porté à cet aspect, avec notamment des livres manuscrits produits par les moines qui étaient si réalistes qu’il a fallu les protéger contre le vol pendant le tournage. De la même façon, le réalisateur privilégie dès que c’est possible un éclairage naturel : sans aller aussi loin que Stanley Kubrick dans Barry Lyndon, il n’hésite pas à filmer des plans sombres si les personnages sont effectivement dans le noir, éclairés uniquement par une source lumineuse faiblarde. L’ensemble contribue à une ambiance assez glaçante et on comprend sans peine la crainte d’Adso, le novice qui accompagne Guillaume de Baskerville quand ils entrent dans le monastère. Ils y sont pour un débat qui oppose leur ordre, les franciscains, et la papauté d’alors sur la question de la richesse. Ce fond théologique n’est pas le cœur de l’intrigue, mais il permet de renforcer le sentiment que l’on est bien au cœur de l’Italie médiévale. Certes, tous ces moines parlent un anglais parfait, mais il faut reconnaître par ailleurs que Jean-Jacques Annaud a fait un très bon travail pour nous projeter dans le passé. Si bien que lorsque l’Inquisition vient mettre son grain de sel pour comprendre ce qui se passe dans cette abbaye que l’on dit empoisonnée par le démon, on ressent en même temps que les personnages la crainte que cette institution pouvait générer à l’époque. Dans le rôle de l’inquisiteur, F. Murray Abraham est d’ailleurs excellent, retors et buté comme il faut pour brûler sorcières et hérétiques à la chaîne.

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Mais avant tout cela, Le Nom de la rose se construit autour d’une enquête criminelle. Quand Guillaume et son novice arrivent au monastère, il y a déjà eu un mort, un jeune moine, retrouvé au pied d’une tour sans ouverture. C’est cette étrangeté qui inquiète tous les autres moines : puisqu’il n’y a pas d’explication rationnelle, c’est forcément l’œuvre du diable. Umberto Eco n’a pas nommé son héros Guillaume de Baskerville sans raison et le nom de famille du personnage est un clin d’œil évident au personnage de Sherlock Holmes et l’une de ses aventures les plus célèbres. Ici aussi, on a quelqu’un de très rationnel et qui, malgré son statut de moine, privilégie les pistes humaines avant de s’interroger sur les causes surnaturelles. Il explique ainsi très facilement le mystère de ce premier mort, mais bientôt une deuxième puis une troisième victime secouent le monastère. Jean-Jacques Annaud nous fait suivre la réflexion de ses deux personnages et le réalisateur parvient bien à donner ici ou là des indices, sans dévoiler toute la vérité avant la fin. Le dosage de suspense est parfait et on ne s’ennuie jamais, sans que Le Nom de la rose n’en fasse trop pour autant. Il convient aussi de saluer le jeu des acteurs et en particulier de Sean Connery dans le rôle principal : l’acteur est excellent dans ce rôle d’enquêteur sur un terrain miné, où son explication rationnelle est à contre-courant de la pensée commune et surtout de l’avis de l’Inquisition. À ses côtés, le très jeune Christian Slater joue le rôle du spectateur, ou bien celui du docteur Watson pour rester sur la référence britannique imaginée par Umberto Eco, et il est très bien. On peut aussi relever la prestation presque éprouvante de Ron Pearlman dans le rôle du moine bossu simplet, une manière de tirer le scénario vers l’univers médiéval de Victor Hugo… ce que la présence d’une jeune femme un peu sauvage viendrait confirmer. À l’arrivée, c’est peut-être l’équilibre de tous ces composants que l’on retient : le réalisateur signe une œuvre très bien construite et très fluide, ce qui explique probablement qu’elle conserve toute sa force, trente ans après.

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Belle réussite que cette enquête façon Sherlock Holmes, mais déplacée au cœur du monde médiéval. Jean-Jacques Annaud pouvait compter sur un matériau original d’excellente qualité, mais au-delà du travail du romancier, son adaptation est aussi parfaitement menée. Le Nom de la rose est un long-métrage équilibré, entre reconstitution historique réaliste et parfois glaçante, suspense de l’intrigue policière et personnages convaincants. Une réussite qui n’a pas vieilli, à (re)découvrir !