En six saisons diffusées au cœur des années 1990, Une nounou d’enfer s’est très vite imposée comme une sitcom culte. Elle a connu un immense succès à l’époque, lors de sa diffusion par CBS, puis par la suite sur les télévisions du monde entier, où elle est d’ailleurs encore régulièrement rediffusée. Il faut dire que cette histoire de juive new-yorkaise qui devient par hasard la nounou d’une famille huppée a de nombreux arguments à faire valoir. Très proche du théâtre de boulevard par certains aspects, cette série n’essaie pas de renouveler le genre avec des idées folles, mais elle capitalise sur les deux points les plus importants : les personnages bien sûr, et l’humour. Les premiers sont tous très bien écrits, on s’y attache très vite et on finit par les connaître comme s’ils étaient notre propre famille. L’humour pioche allègrement dans les clichés, tout en créant un univers propre basé sur des dizaines de blagues récurrentes. La sitcom créée par Peter Marc Jacobson et Fran Drescher est aussi pleine de double-sens qui offrent une lecture plus complexe qu’on ne pourrait le croire au premier abord. Vingt-cinq ans après sa création, Une nounou d’enfer reste toujours aussi plaisante et agréable à regarder. Un classique qui a pris quelques rides, mais un classique, indéniablement.
Le point de départ de l’histoire est rappelé dans le générique d’ouverture, une chanson légère complétée par des images d’animation. C’est aussi le sujet du pilote, qui pose par la même occasion tous les personnages principaux. Fran Fine est larguée un beau jour par son petit ami, qui est aussi son patron, propriétaire d’une boutique de vêtements dans le quartier juif de Flushing, à New York. Sans emploi, elle s’essaie au porte-à-porte dans les beaux quartiers de la ville. C’est à cette occasion qu’elle sonne à la porte de Maxwell Sheffield, producteur à Broadway, qui cherche en fait une nourrice pour ses trois enfants, Maggie, Brighton et Grace. Faute de mieux, Fran est embauchée et elle devient par hasard la nounou de ces enfants, dans un monde qui lui est totalement étranger. Elle vient d’un milieu populaire et d’une culture juive, elle découvre un milieu aisé et la culture britannique, son nouvel employeur venant de Grande-Bretagne. Deux univers que tout opposent, une idée extrêmement courante en matière de fiction, évidemment, mais Une nounou d’enfer en a conscience et elle joue sur ces lieux communs. C’est son fond de commerce pour ainsi dire, et les scénaristes le revendiquent très clairement. Tout est cliché, la situation comme les personnages, et c’est la base de tout dans la sitcom portée par CBS. Fran Drescher s’est inspirée de sa propre vie pour créer le personnage de Fran Fine qu’elle incarne aussi à l’écran, et cette part autobiographique lui permet d’associer à la série un humour juif omniprésent. Tous y passe, l’importance de la nourriture, de l’argent ou encore du mariage, sujet central dans les six saisons. Les scénaristes osent sans doute plus qu’on ne le ferait aujourd’hui. Ce côté old-school est rafraichissant quand on compare les créations modernes nettement plus sages, mais Une nounou d’enfer ne se moque jamais gratuitement de ses personnages. On sent beaucoup de tendresse aussi dans cette famille juive pleine de clichés et probablement autant de souvenirs d’enfance de la nounou de télévision. D’ailleurs, les termes yiddish qui émaillent les six saisons offrent une plongée inattendue dans cette culture que la majorité des spectateurs ne connaissent sans doute pas très bien. On n’ira pas jusqu’à dire que la création de CBS a valeur de documentaire, mais il faut reconnaître que l’on dépasse le simple stade du cliché.
L’âge de la série transparaît aussi dans les allusions culturelles qui sont aussi nombreuses qu’obscures pour le spectateur du XXIe siècle. Il reste peu de survivants dans la majorité des noms cités — hélas, celui de Donald Trump est resté dans l’actualité… —, mais surtout, les scénaristes ont beaucoup fait appel aux stars de la télévision américaine de l’époque. Autant dire que vous passerez sans doute à côté de pas mal de blagues dans Une nounou d’enfer. Est-ce un problème pour autant ? Pas vraiment, déjà parce qu’il reste bien assez d’humour intemporel par ailleurs, ensuite parce que le scénario toujours juste et précis fait mouche dans tous les cas. L’œuvre de Peter Marc Jacobson et Fran Drescher ne serait sans doute pas restée autant dans les mémoires s’il n’y avait pas cette écriture juste et ciselée, et cet humour qui fait si souvent mouche. Le casting est également excellent, et surtout assez resserré, avec très peu de renouvellements sur six saisons. Ce n’est pas un reproche, au contraire même : les quelques acteurs que l’on découvre au début restent jusqu’au bout, et leur proximité est évidente à l’écran. On sent que cette équipe a été soudée au point de former une deuxième famille, ce que les quelques séquences de ratés glissées ici ou là montrent bien. Les principaux acteurs adultes forment un cadre très solide, chacun dans son rôle, chacun avec ses particularités et ses traits de caractère. Les scénaristes ne manquent pas de jouer sur les oppositions, entre Fran et Maxwell naturellement, mais aussi entre le majordome Niles et CC, l’assistante du producteur. Ces conflits sont des moteurs majeurs de l’intrigue, même si c’est le mariage entre la nounou et son employeur qui est certainement le composant le plus important. Très vite, les deux craquent l’un pour l’autre, mais pendant plusieurs saisons, il ne se passe rien entre les deux personnages, ce qui est l’occasion de multiples gags récurrents. Maxwell va-t-il enfin reconnaître qu’il est fou amoureux de sa nourrice et la demander en mariage, comme elle — et toute sa famille — l’espère tant ? Une nounou d’enfer reste majoritairement du côté de l’humour, avec le lot de blagues culturelles que l’on peut imaginer, mention spéciale à Sylvia, la mère juive qui en fait des caisses pour notre plus grand plaisir. Mais la complicité entre les acteurs, leur aisance manifeste à jouer ensemble et aussi la générosité évidente de Fran Drescher conduisent aussi la création de CBS sur le terrain de l’émotion. C’est surtout sur la fin qu’elle prend le dessus, poussée par l’histoire elle-même, mais aussi sans doute par ces jeunes acteurs que l’on voit grandir et qui deviennent vraiment les enfants de l’héroïne. On sait qu’elle n’a jamais eu d’enfants elle-même et on imagine bien à quel point elle a pu s’identifier à ces acteurs.
L’émotion prend le dessus sur la fin et comme l’a reconnu, très lucide, Fran Drescher, c’est certainement ce qui a précipité l’arrêt de la série. On peut le regretter et en même temps, Une nounou d’enfer offre un très grand moment de télévision avec ces six saisons. Elle n’est pas originale pour un sou, mais elle est extrêmement bien écrite et sacrément drôle. Oui, c’est une sitcom comique très classique, avec ses scènes entrecoupées de rires et ses épisodes largement indépendants. Pourtant, elle se distingue de la moyenne par son humour d’une efficacité redoutable, mais aussi par une forme de sincérité que l’on ne retrouve pas souvent dans le genre. Est-ce parce que la mise en scène s’est approchée autant du théâtre, entre gags visuels et entrées et sorties constantes des personnages, en passant par des rires enregistrés par le vrai public présent lors du tournage ? C’est touchant et c’est aussi une bonne manière de se consacrer entièrement aux textes et aux acteurs, les deux points forts de l’œuvre créée par Peter Marc Jacobson et Fran Drescher. Qu’importe si le style a un petit peu vieilli, qu’importe si la moitié des références culturelles nous passe au-dessus, on s’amuse toujours autant. C’est sans doute cela la véritable réussite de la sitcom : toutes ces années après, Une nounou d’enfer se (re)voit avec toujours autant de plaisir. N’hésitez pas, elle vaut le détour !