N.W.A. : Straight Outta Compton, Felix Gary Gray

L’histoire de N.W.A., groupe mythique de rappeurs de la banlieue Los Angeles, est passionnante et c’est un témoignage essentiel d’une époque révolue. Le plus surprenant n’est pas qu’un film lui soit dédié, mais plutôt qu’il ait fallu attendre si longtemps pour qu’un long-métrage à leur sujet sorte. N.W.A. : Straight Outta Compton répare cette faute, mais le regard porté sur le groupe manque dès le départ de la distance nécessaire. Derrière la caméra Felix Gary Gray est un cinéaste surtout connu pour avoir réalisé plusieurs clips de rappeurs et notamment de membres de N.W.A. Pis, le film est produit par Dr. Dre, Ice Cube et la veuve d’Easy-E, trois des membres fondateurs du groupe. Dans ces conditions, qu’espérer de plus qu’un hommage sans véritablement d’angle, ni regard critique ? Le résultat est ainsi intéressant quand on ne connaît ni l’histoire de Compton, ni le rap des années 1980 issu de la Côte Ouest, mais en évitant tous les sujets les plus intéressants, N.W.A. : Straight Outta Compton se fera bien vite oublier.

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N.W.A. : Straight Outta Compton frappe dès ses premières minutes par sa vision très réaliste de Compton dans les années 1980. Le film ouvre sur une séquence très violente dans le milieu de la drogue, avec déjà la violence policière mise en exergue le temps d’une arrestation menée avec un véhicule blindé. On n’est pas loin de la guerre civile et il faut reconnaître que Felix Gary Gray a su parfaitement rendre cette ambiance. Tout comme il sait bien présenter ses personnages, tous des jeunes qui sont nés dans cette banlieue majoritairement noire, laissée à l’abandon par le gouvernement et désormais baignée d’une violence exacerbée. C’est un thème récurrent dans le film, puisque même quand ils connaîtront la gloire avec leur groupe, ces jeunes de banlieue resteront marqués par leurs origines, tourmentés par la police, rejetés par une partie de la population américaine, bref, ils resteront marginalisés. Et le film sait plutôt bien montrer comment ce rejet et cette enfance difficile est au cœur de leur musique. Le fameux titre « Fuck tha police » est ainsi né immédiatement après une arrestation abusive du groupe, alors même qu’il était en train d’enregistré leur deuxième album, celui qui a donné son nom au film. On voit Ice Cube fulminer pendant l’arrestation et puis se jeter sur son carnet pour jeter ses mots d’une violence extrême. Toute cette partie historique est assez bien rendue, même si elle aurait peut-être méritée d’être un petit peu plus creusée. Mais le cinéaste donne l’essentiel et on a envie d’en savoir plus sur le groupe et l’histoire de ses membres après avoir vu N.W.A. : Straight Outta Compton.

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À cet égard, le biopic remplit bien son rôle et il le fait avec une présentation classique, mais très soignée. On n’attendait pas un traitement aussi recherché et pourtant, Felix Grav Gray porte un vrai regard de réalisateur, avec quelques scènes vraiment bien cadrées et portées par une photographie là encore travaillée et plaisante. Bref, des points positifs incontestables, mais le film souffre aussi de nombreux défauts, qui se résument tous à un manque de recul vis-à-vis de son sujet. Ce n’est pas une biographie objective qui nous est proposée, mais bien plus un hommage, même si le long-métrage tente d’enregistrer une part d’ombre pour chacun de ses personnages. La violence exacerbée et souvent inutile des rappeurs et de leur entourage est bien montrée. L’arnaque de Jerry, le producteur qui remarque très tôt Easy-E et qui lance le groupe vers le succès, est l’objet de nombreuses scènes. La naïveté de celui qui était le leader du groupe et qui a été emporté bien trop jeune par le SIDA est aussi soulevée. Bref, il y a des parts d’ombre, mais jamais vraiment pour Dr. Dre ou Ice Cube, alors même que ces deux hommes n’ont jamais été des anges. Ici, ils sont vus comme des travailleurs acharnés et intègres, des génies du genre à qui l’on ne peut rien reprocher, pas même pour Dr. Dre qui baigne pourtant dans une violence injustifiée, notamment quand il quitte le groupe pour fonder son propre label avec Suge Knight, un type louche pour ne pas dire moins. Même là, il est blanchi par le film qui montre comment il désapprouvait la violence et qu’il a tout plaqué pour cette raison. C’était peut-être vrai, mais à ce stade du film, on n’y croit plus vraiment et le fait que l’artiste soit impliqué à tous les niveaux ne donne pas confiance.

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L’implication à tous les niveaux des membres du groupe N.W.A. porte in fine un grand préjudice au film. Felix Gary Gray tenait un sujet en or, il est manifestement un réalisateur compétent et il aurait pu signer une œuvre vraiment passionnante qui serait restée dans les annales. À la place, N.W.A. : Straight Outta Compton est une plongée intéressante dans l’univers du rap américain des années 1980 et 1990, mais guère plus. Si vous ne connaissez pas le genre, vous apprendrez sûrement des choses  et les fans apprécieront probablement la reproduction parfaite de leurs idoles par le casting — il faut le dire, le mimétisme est parfait et même troublant quand les images d’archive débarquent à la fin. Le long-métrage ne dépasse pas le stade du biopic vite oublié, mais il reste plaisant à regarder.