Oasis ou la revanche des ploucs se penche sur l’histoire de ce groupe mythique qui a enchaîné les tubes planétaires pendant quelques années avant de largement disparaître des radars. Ce groupe originaire de Manchester a rempli bien des stades et marqué la planète en particulier pendant les années 1990. Cet essai rédigé par Benjamin Durand et Nico Prat reconstitue le parcours chaotique des frères Gallagher en l’entremêlant de l’histoire britannique. À bien des égards, l’histoire d’Oasis est aussi celle du pays et les deux auteurs ont choisi de raconter les deux en parallèle, montrant en quoi les années Thatcher inspirent le groupe et les années Blair le consacrent. Que vous soyez fan ou entièrement ignorant des tubes, Oasis ou la revanche des ploucs est un essai passionnant qui mérite une lecture.
Les ploucs du titre, ce sont les frères Gallagher. Noel et Liam viennent d’une famille modeste de la banlieue de Manchester et ils ont connu une enfance difficile, entre leur père alcoolique et violent et leur mère qui enchaîne les petits boulots tant bien que mal. Cette origine populaire a toujours été brandie comme un étendard par Oasis, Liam derrière le microphone comme Noel en interview jouant sur leur accent mancunien, revendiqué comme une fierté et une manière de se différencier. Mais la revanche du titre, c’est aussi celle qu’ils cherchent : ils viennent de Manchester, mais les Gallagher font tout pour la quitter au plus vite et ils choisissent la musique pour atteindre cet objectif. Oasis ou la revanche des ploucs explique que ce choix est raisonné dès le départ, surtout pour Noel qui envisage très vite une carrière musicale capable de le faire sortir de la pauvreté. Ce n’est pas un hasard si Oasis a signé des tubes aussi populaires auprès d’une population aussi large, c’était une stratégie assumée d’écrire des hymnes qui pouvaient convaincre à la majorité. Une stratégie réussie, le groupe accumulant les records à son pic de gloire : (What’s The Story) Morning Glory, son deuxième album, s’est vendu à 22 millions d’exemplaires rien qu’au Royaume-Uni, ce qui en fait le cinquième album le plus vendu dans le pays. Oasis pouvait alors rassembler plusieurs dizaines de milliers de personnes dans des stades, plusieurs soirs de suite d’un claquement de doigt. Benjamin Durand et Nico Prat parcourent les rues de Manchester pour remonter jusqu’aux origines, décortiquer les influences et lister ceux qui ont compté pour les deux frères. Ils n’oublient pas aussi de prendre du recul et intégrer l’histoire de ces deux hommes dans la grande histoire, celle de Margaret Thatcher et d’un pays en transition entre deux modèles. Les premières inspirations d’Oasis se construisent sur l’opposition au thatcherisme et en faveur des classes populaires, mais sa gloire coïncide avec les années Tony Blair, quand le capitalisme débridé imposé par la dame de fer devient la norme acceptée. Le groupe a ainsi surfé avec aisance sur les aspirations et modèles du pays et il est un représentant parfait de son époque. C’est aussi un symbole de l’évolution musicale, l’une des figures de proue de la britpop, un sous-genre aussi populaire qu’éphémère qui s’est construit autour de l’opposition entre Oasis et les londoniens de Blur. L’air de rien, les deux auteurs parviennent à condenser une grande quantité d’éléments sur l’histoire (de la musique) britannique en utilisant le prisme de ce groupe.
Très bien documenté et toujours parfaitement clair, Oasis ou la revanche des ploucs est une lecture fort plaisante, complète sans être trop longue et dense sans être indigeste. Même si vous n’avez jamais connu l’époque évoquée ou écouté un album d’Oasis en entier — vous connaissez forcément un tube ou deux, même sans le savoir —, vous prendrez du plaisir à lire l’essai de Benjamin Durand et Nico Prat. Et être carrément fan de Blur comme l’auteur de ces lignes n’enlèvera rien à l’intérêt porté à leur travail.