Odin’s Raven Magic est le dernier album de Sigur Rós, mais ce n’est pas sa dernière création. Discret depuis la sortie de son album studio le plus récent, Kveikur sorti en 2013, le groupe islandais est allé piocher dans son histoire pour enfin offrir à son oratorio une sortie digne de ce nom. C’est à Reykjavík en 2002 que cette composition classique a été créée, mais c’est un enregistrement parisien de 2004 qui a été enregistré sur cet album finalement sorti en décembre 2020. Loin du post-rock traditionnel du groupe, cette mise en musique du poème islandais du XIVe siècle Hrafnagaldur Óðins sollicite un orchestre symphonique, un chœur classique, un chanteur de poèmes traditionnels et surtout un extraordinaire marimba composé de pierres islandaises qui apporte une couleur particulière à l’ensemble. Sigur Rós est là malgré tout, avec sa batterie et son chanteur à la voix mythique. Entre mythologie nordique, dialogue des genres et mélodies envoûtantes, le résultat est magnifique.
Comme dans tout oratorio, il y a plusieurs mouvements dans Odin’s Raven Magic, une œuvre de 70 minutes qui passe par de nombreux états. Le prologue ouvre la voie pour sept morceaux qui accompagnent des extraits du poème mis en musique. Si l’on a tous les attributs de la musique classique, avec un grand ensemble de cordes, des instruments à vent et un chœur au complet, cela ne veut pas dire que Sigur Rós se contente d’une seule case bien définie. Comme on pouvait l’espérer du groupe, les dialogues entre la musique classique, le (post-)rock et d’autres genres encore sont bien présents. C’est un voyage qui passe par plusieurs étapes et c’est un univers riche qui se déploie progressivement. « Stendur æva » est un excellent exemple de ces mélanges : le titre commence uniquement avec les marimbas de pierre, pièce maîtresse de toute l’œuvre s’il en est, pour poser le rythme et l’ambiance. La voix de Steindór Andersen se fait entendre, un chanteur islandais de rimur, les poèmes traditionnels du pays qui sont adaptés ici, puis les violons de l’orchestre et le chœur entrent en scène. On est dans la musique classique traditionnelle, quand tout bascule à la troisième minute. La musique moderne et électrifiée prend le dessus, bientôt accompagnée par le chœur quand la voix aérienne reconnaissable entre mille de Jón Þór Birgisson, le chanteur de Sigur Rós s’élève enfin. On pourrait croire que l’on a entièrement basculé dans l’univers post-rock du groupe, mais c’est sans compter sur le retour du poème islandais qui ouvre une sorte de discussion avec le chanteur. Un échange de culture qui culmine quand l’orchestre retrouve toute sa place, pour conclure cet épique et incroyable morceau de près de dix minutes.
Contrairement aux derniers travaux du groupe qui ont parfois eu tendance à tomber dans l’expérimentation extrême et aride — Route One en est un bon exemple —, Odin’s Raven Magic reste une œuvre très facile d’accès et qui s’écoute avec beaucoup de plaisir. Si vous aimez Sigur Rós, vous aimez forcément les mélanges et les frontières floues entre les genres musicaux. Vous apprécierez alors certainement cette œuvre symphonique qui emprunte autant au folklore islandais qu’au post-rock cher au groupe, avec ruptures de rythme et montées en puissance. Les très belles mélodies offrent un point d’ancrage tout au long de l’album et le voyage dans la mythologie nordique se suit avec bonheur, jusqu’au final explosif, introduit par un long crescendo qui est toujours aussi puissant. Quand on entend les applaudissements de la Grande Halle de la Villette où l’album a été enregistré, on réalise soudain que c’était une performance live. Odin‘s Raven Magic ne permet pas d’en apprécier toute l’ampleur, d’autant qu’il manque la composante visuelle, toujours essentielle pour le groupe. La restitution sonore permet malgré tout d’imaginer le spectacle que ce devait être… on aurait aimé être dans la salle !