Okja, Bong Joon-ho

Avant de retourner en Corée pour son prochain film, Bong Joon-ho garde un pied aux États-Unis, mais il change totalement de genre après Snowpiercer, Le Transperceneige. Même si l’on peut dire qu’il y a une part de science-fiction dans Okja, ce nouveau projet est bien davantage une farce satirique qui dénonce le capitalisme animalier à travers l’amour d’une jeune fille pour un porc manipulé par une grosse entreprise pour maximiser sa viande et ses profits. Bong Joon-ho n’a pas peur de dénoncer la surproduction animalière avec des images très fortes et Okja devrait probablement convertir quelques spectateurs supplémentaires au véganisme. Est-ce pour cette raison que le projet n’a reçu aucun financement de la part des producteurs habituels ? Tant pis pour les réseaux traditionnels, tant mieux pour Netflix qui a récupéré le projet et qui diffuse en exclusivité le film. Vous ne pourrez pas le voir en salles, mais vous auriez tort de le bouder pour autant : Okja est une satire diablement efficace en faveur de la cause animale, ne passez pas à côté.

Dès la première scène, Bong Joon-ho marque les esprits avec la caricature d’une conférence organisée par une multinationale que l’on imagine volontiers riche à ne plus savoir qu’en faire et qui a comme seule ambition de devenir encore plus riche. Descendant un escalier trop majestueux, Nancy Miranda déclame un discours trop parfait où la nouvelle PDG essaie d’effacer les mauvais souvenirs laissés par son père — créateur du napalm — et de sa sœur, davantage préoccupée par ses parties de golf. Cette séquence suffit à poser le ton, surtout grâce à la performance époustouflante de Tilda Swinton. L’actrice s’est manifestement investie pleinement dans le rôle et elle tout simplement parfaite avec ses énormes bagues dentaires et son jeu délicieusement outrancier et carrément kitsch. Son personnage promet des merveilles et notamment une nouvelle race de porc, un super-porc qui aurait été déniché quelque part en Amérique du Sud et qui doit représenter l’avenir de la viande savoureuse et pas chère. Pendant dix ans, ces créatures étranges, à mi-chemin entre le cochon, l’éléphant et l’hippopotame, vont être élevées aux quatre coins du monde pour les étudier et améliorer leurs conditions d’élevage. Ces prémisses posés, Okja reprend précisément dix ans après avec l’animal envoyé en Corée du Sud. Le fermier qui l’a élevé avait aussi une fille, Mija et entre la bête et la fille, une histoire d’amour est née. Elles sont inséparables, passent tout leur temps ensemble et l’animal irait jusqu’à sacrifier sa propre vie pour la sauver. Cette séquence idyllique dans les magnifiques montagnes coréennes est vite interrompue quand la multinationale vient réclamer son bien et emporte Okja à New York.

Le dernier film de Bong Joon-ho se transforme alors en une sorte de course-poursuite, d’abord dans les rues et le métro de Séoul, puis aux États-Unis. Mija essaie de sauver son amie, mais elle ne peut rien faire seule contre l’entreprise et elle trouve de l’aide dans une bande de jeunes défenseurs des animaux, présentés par le scénario comme des bras-cassés sympathiques. Ce n’est pas parce qu’il défend une cause qu’Okja en oublie d’être drôle pour autant et ces personnages secondaires menés par un Paul Dano fidèle à lui-même sont là pour ça. Les scénaristes multiplient les péripéties pour sauver l’animal d’une mort certaine, mais ils en profitent surtout pour montrer l’envers du décor. Une séquence dans un laboratoire miteux fait déjà froid dans le dos, mais c’est surtout la partie dans l’abattoir qui est glaçante. Bong Joon-ho n’a pas froid aux yeux et il montre la réalité telle qu’elle est, avec des animaux entassés et maltraités jusqu’à leur mise à mort et leur dépeçage sauvage. Au nom de la productivité et de la maximisation des profits, la multinationale traite ses bêtes n’importe comment et il faut bien reconnaître que le message passe très bien. Okja n’est pas un documentaire, pas même une œuvre activiste et son sujet reste avant tout la relation entre une jeune fille et son animal de compagnie. Il n’empêche que les images sont là, elles sont très fortes et elles amènent nécessairement à réfléchir. Sans même parler du problème des OGM qui est aussi évoqué par l’intrigue, le traitement réservé aux bêtes est violent et le cinéaste ne se prive pas de le montrer frontalement et sans filtre. La performance, c’est aussi qu’il le fait avec des créatures numériques, mais il faut noter que c’est techniquement très bien fait et le rendu est crédible. Au point qu’il n’est pas difficile de fondre face à la relation entre Mija et son animal de compagnie atypique.

Okja est un long-métrage très simple, il suit un fil narratif unique et facile à suivre, mais derrière l’amitié entre une jeune fille et son animal, il y a un message. Bong Joon-ho signe une farce grinçante, souvent très réussie, parfois un poil grossière — les scènes avec Jake Gyllenhaal vont peut-être un petit peu trop loin —, mais on sent que le réalisateur est très sérieux pour dénoncer la production industrielle de viande. Le résultat est plus complexe qu’on pouvait l’imaginer, plus intéressant aussi. Okja alterne entre le mignon, le kitsch et l’horreur, un mélange parfaitement mené pour un film très équilibré qui mérite le détour.