Orange is the New Black, Jenji Kohan (Netflix)

Avec Weeds, Jenji Kohan décrivait le quotidien difficile d’une mère au foyer tout à fait banale qui se mettait à vendre de la drogue pour survivre suite à la mort de son mari. Quelques années après, la scénariste s’amuse à nouveau à mettre une femme dans une situation impossible : dans Orange is the New Black, c’est une WASP bien sous tout rapport qui se retrouve pendant un an dans une prison pour une erreur de jeunesse. Dans les deux cas, on retrouve un goût prononcé pour les confrontations improbables. Après la banlieue chic et la mafia liée à la drogue, Jenji Kohan fait affronter la New-Yorkaise chic et branchée à la prison pleine de délinquantes d’horizons divers, mais toujours à l’opposée de ceux de l’héroïne. En deux saisons, Netflix pose les bases d’une excellente série qui sait surprendre, malgré son postulat de départ très mince. À voir !

Orange is the new black taylor schilling

Quand elle franchit les grilles de Litchfield, Piper Chapman n’est pas vraiment dans son élément. Et pour cause, cette prison fédérale accueille rarement la bonne société new-yorkaise entre ses murs et la majorité des prisonnières provient des classes populaires. D’ailleurs, la majorité d’entre elles sont d’origine étrangère : il y a d’un côté les Afro-Africaines, les Hispaniques de l’autre et les Caucasiennes entre les deux, qu’elles soient originaires de Russie ou d’un autre pays européen, ou bien Américaines. Dès les premiers épisodes, Orange is the New Black tire de cette diversité sa richesse, même si la première saison se concentre essentiellement sur Piper et sur ses relations avec Larry, son fiancé, et avec Alex, son ancienne copine. C’est à cause d’elle qu’elle s’est retrouvée en prison : à la tête d’un trafic de drogue, elle a entraîné Piper dans son mouvement et c’est elle aussi qui l’a dénoncée lors de son procès. Les premiers épisodes sont ainsi consacrés à la haine de Piper contre celle qu’elle a aimée, mais la prison change ses occupants et la série montre bien qu’elle se rapproche irrémédiablement d’Alex. Son amour pour Larry, amour qu’elle ne peut plus vivre qu’à distance désormais, va-t-il survivre ? C’est l’un des enjeux d’Orange is the New Black : Jenji Kohan étudie à nouveau les effets d’un milieu étranger sur une femme et cette fois encore, les transformations sont rapides. Passé le temps de la défiance et de la peur, Piper s’habitue à la vie en prison, en apprend les codes et s’éloigne toujours plus du monde extérieur et donc de son fiancé. Difficile de comprendre ce quotidien qu’il ne peut pas vivre, tandis que le microcosme de la prison change le point de vue et fait de l’incident le plus anodin à l’extérieur une crise majeure à l’intérieur.

Orange is the new black netflix

Cette plongée saisissante au cœur d’une prison est sans conteste la plus grande réussite de la série. Ce n’est sans doute pas pour rien que le scénario s’éloigne assez vite de Piper Chapman pour élargir ses horizons. La deuxième saison d’Orange is the New Black s’attache ainsi beaucoup plus aux autres prisonnières, à la fois à leurs histoires personnelles, aux raisons qui les ont amenées en prison, mais aussi à leurs conflits. L’environnement carcéral fermé reproduit le fonctionnement en ghetto de la société américaine et chaque origine ethnique reste de son côté, dans sa « famille ». La lutte est permanente entre ces groupes pour savoir qui contrôle les cuisines — poste clé essentiel —, qui bénéficie de telle ou telle salle de bain et qui contrôle les trafics internes. Ces luttes sont présentes dès les premiers épisodes, mais Jenji Kohan leur laisse plus de place dans la deuxième saison, et c’est très bien ainsi. L’histoire personnelle de Piper Chapman n’est pas la plus intéressante et la série gagne à ouvrir ses horizons sur d’autres problèmes. On apprécie ainsi de découvrir des personnages hauts en couleur, souvent interprétés de très belle manière par les actrices choisies. Dans le lot, plus que Taylor Schilling qui compose une Piper convaincante, on remarque Kate Mulgrew qui incarne Red, une Russe qui cache sa faiblesse par une force démonstrative, mais surtout Uzo Aduba, époustouflante dans le rôle de la folle Crazy Eyes. Pour contrôler la prison, il y a également des gardes et une administration et les intrigues ne manquent pas de les impliquer aussi. Entre ce gardien qui tombe amoureux d’une prisonnière et la directrice qui détourne les maigres fonds de l’établissement à des fins personnelles, il y a largement de quoi alimenter les deux premières saisons, et les suivantes.

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On pourrait avoir du mal à croire au quotidien décrit dans Orange is the New Black, sauf que Jenji Kohan n’a rien inventé. La série est adaptée d’une autobiographie et même si on imagine que la scénariste a brodé un peu, elle s’est inspirée de faits réels. Le quotidien de ces prisonnières est souvent difficile, mais la série contient aussi son lot de scènes cocasses, voire drôles. Le scénario exploite toutes les pistes possibles pour éviter l’ennui et les deux premières saisons sont à cet égard très réussies. À la fin de la deuxième, il reste encore huit mois à Piper Chapman : largement de quoi faire quelques épisodes supplémentaires, même si naturellement, la question de l’ennui risque de se poser à un moment ou à un autre. En attendant de savoir si Orange is the New Black finira par lasser, on peut regarder sans crainte les deux premières saisons qui constituent, déjà, une excellente série !


Orange is the New Black, saison 4

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(25 juin 2016)

Après deux excellentes saisons, Orange is the New Black tente de se renouveler à chaque saison pour ne pas tomber dans l’ennui. Un objectif noble et assez bien rempli d’ailleurs : après une troisième saison consacrée notamment à la mise en place d’un business pour Piper (la vente de culottes sales portées en prison), la suite change à nouveau avec l’ajout de dizaines de nouvelles prisonnières. Suite à la vente de Litchfield à un organisme privé, il faut rentabiliser au maximum l’endroit, quitte à multiplier les lits et les risques de problèmes entre les occupantes. Jenji Kohan a parfaitement réussi à s’éloigner de son postulat de départ, comme elle l’avait fait avec Weeds et le personnage principal au début est devenu presque secondaire. Ou du moins, elle partage la vedette à égalité avec de nombreuses autres détenues, qui sont toutes aussi intéressantes et importantes.

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De ce fait, la série portée par Netflix reste passionnante et on la suit très facilement. Mais en même temps, Orange is the New Black essaie peut-être d’en faire trop pour rester intéressante, et cela commence à se voir. Dans la saison 4, les scénaristes vont un petit peu trop loin, notamment dans les débordements incessants des gardiens qui ont manifestement carte blanche. Personne ne vient contester leur autorité, ce qui est probablement le cas dans certaines situations, mais quand on en arrive à des viols ou des violences à répétition, quelqu’un devrait finir par s’en inquiéter. Rien de tel ici et la série compense avec une révolte qui gronde et qui monte jusqu’au final plein de suspense, comme l’était celui de la troisième saison. À ce stade, ce n’est pas forcément un problème, mais la question qui se pose concerne la suite : est-ce que Orange is the New Black pourra redresser la barre et rester aussi réaliste qu’à ses débuts, sans tomber dans l’ennui ? On le saura l’année prochaine, mais en attendant, la série créée par Jenji Kohan mérite malgré tout le détour : c’est l’une des meilleures créées par Netflix, sans l’ombre d’un doute.


Orange is the New Black, saison 5

(22 juin 2017)

La quatrième saison allait très loin dans les débordements des nouveaux gardiens, alors que la prison au cœur d’Orange is the New Black appartenait à une entreprise privée dont le seul objectif était de maximiser les profits. Jenji Kohan terminait les treize épisodes avec un cliff-hanger complètement dingue, en pleine révolte des détenues et avec l’une d’elle, un flingue pointé contre un gardien. Sans surprise, la série reprend précisément à cet endroit là, mais ce qui est plus surprenant, c’est que la saison ne quitte jamais cette révolte. Pour se renouveler, les scénaristes ont eu l’idée de se concentrer sur trois jours seulement en une saison entière. Orange is the New Black concentre ainsi l’action et compose trois journées extrêmement denses et parfaitement menées. De quoi bouleverser l’ordre des choses et laisser les spectateurs à nouveau dans l’expectative. Une excellente saison.

Plus rien ne sera comme avant après ces trois jours où les rôles s’inversent. C’est l’excellente idée de cette cinquième saison : cette révolte nait suite à la mort tragique de Poussey, étouffée par un gardien alors qu’elle n’avait rien fait de mal. C’est une révolte contre les conditions déplorables de la prison, mais aussi contre les gardiens qui sont pris en otage dans les premiers épisodes. Les prisonnières prennent en main leur propre destin et Orange is the New Black décrit le processus avec beaucoup de détails et une finesse d’écriture qui force à nouveau le respect. Tout n’est pas noir et blanc dans la vie, et Jenji Kohan le montre dans chaque épisode. Oui, les gardiens sont des salopards, certains qui apprécient la torture psychologique, voire physique, infligée au quotidien aux prisonnières. Mais quand elles prennent le pouvoir, les habitantes de Litchfield ne sont pas forcément meilleures et elles sont, pour certaines d’entre elles, pires encore. Les tortures psychologiques ou même physiques sont partout, contre les gardiens, mais aussi entre détenues. Il y a des luttes pour prendre le pouvoir et contrôler l’arme à feu qui donne ce pouvoir. Il y a plusieurs courants, celles qui veulent se battre, celles qui ont des revendications, celles encore qui ne veulent que s’amuser un peu, celles enfin qui veulent rester discrètes, loin des problèmes. C’est une société fermée et miniature qui se crée petit à petit et Orange is the New Black parvient très bien à en rendre compte. La saison révèle quelques actrices restées discrètes jusque-là, tout en offrant à certaines anciennes des rôles d’anthologie, entre rires, horreurs et larmes.

Litchfield est-elle vraiment un meilleur endroit quand les prisonnières se gèrent elles-mêmes ? Comme on pouvait l’espérer, Orange is the New Black ne se contente pas d’une réponse simple et tranchée. La vie est souvent un beau bordel et la cinquième saison de la série l’est tout autant. Le dispositif assez particulier, le fait que les treize épisodes n’occupent que trois jours, relance l’intérêt et cette contrainte a permis aux scénaristes de produire le meilleur. Il y a quelques facilités ici ou là, des séquences qui vont un petit peu loin peut-être, mais Orange is the New Black confirme son excellence avec cette saison. La suite ne ressemblera à rien de ce qui précède, mais on a, plus que jamais, hâte de la découvrir.


Orange is the New Black, saison 6

(9 août 2018)

La cinquième saison d’Orange is the New Black constitue une rupture dans la série, une rupture qui empêche tout retour en arrière. Après une émeute de quelques jours, les forces de l’ordre reprennent la main avec violence et la prison de sécurité minimale de Litchfield où toutes les saisons précédentes se sont déroulées doit fermer ses portes. Ses anciennes occupantes sont envoyées dans plusieurs centres pénitenciers, ce qui oblige Jenji Kohan à intégrer plusieurs changements dans cette suite. Pour commencer, il ne reste qu’une partie des actrices que l’on a suivies depuis le début, tandis que l’on doit découvrir de nouvelles têtes. Ensuite, le cadre est très différent, même si on reste à Litchfield, on est dans une prison de sécurité maximale, avec des règles totalement différentes et une population carcérale nettement moins bienveillante. Avec tous ces changements, on pouvait craindre que la série ne se perde, mais c’est tout le contraire. Orange is the New Black se politise et trouve un nouveau souffle, plus sombre et encore plus passionnant que précédemment.

Après l’émeute, des têtes doivent tomber. Les premiers épisodes sur les treize que compte la sixième saison sont ainsi consacrés à l’enquête menée par le FBI pour déterminer qui a lancé l’émeute, qui l’a menée et qui est responsable pour la mort du gardien Piscatella. Le spectateur sait que les prisonnières n’ont rien à voir avec cet incident, mais, totalement isolées les unes des autres, ces dernières ne le savent pas et le découvrent pendant leurs interrogatoires. Toute cette première partie met peut-être un petit peu de temps à se lancer, même si elle n’en reste pas moins intéressante sur ce qu’elle montre des réactions très humaines face aux chantages des enquêteurs. Quand on peut dénoncer quelqu’un en échange d’une peine maintenue sans augmentation de dix ans, voire un passage en perpétuité, les anciennes amitiés s’effritent rapidement. C’est l’un des moteurs de toute la saison d’ailleurs : les violences des gardiens, physiques ou psychologiques — ils jouent à un jeu d’une violence inouïe où chaque gardien gagne des points quand « ses » prisonnières sont blessées ou font du mal —, restent forcément omniprésentes. Néanmoins, les scénaristes se sont intéressés avant tout aux relations entre prisonnières, aux haines qui peuvent parfois remonter sur plusieurs décennies, et à l’enfer qu’elles se créent pour elles-mêmes. Le combat d’un bloc contre l’autre ne fait aucun sens et pourtant, c’est lui qui fait vivre et trembler la prison toute entière. C’est invraisemblable et pourtant toujours parfaitement crédible, grâce à un travail d’écriture toujours aussi fin et précis. Les nouveaux personnages sont particulièrement bien écrits et réalistes, alors même qu’on les découvre dans cette saison, mais cela ne leur empêche pas d’avoir une véritable épaisseur psychologique. C’est sur ce point, notamment, que l’on peut juger l’excellente maintenue de cette série, qui a même retrouvé un nouveau souffle avec cette saison et dont on a hâte de voir la suite.

Orange is the New Black n’a jamais eu peur d’affronter les questions difficiles, sur le racisme, la drogue, la pauvreté ou encore la place des femmes dans la société. Avec cette saison, elle se fait encore plus directement politique, probablement parce qu’elle montre pour la première fois un procès hautement politique dont les enjeux dépassent totalement la notion de réalité. Aussi parce qu’elle se termine avec un coup de poing assez incroyable, une pique contre l’administration Trump d’une efficacité redoutable. On ne sait pas où ira l’œuvre de Jenji Kohan par la suite, mais il y a beaucoup de potentiel et de pistes à creuser avec cette sixième saison. En attendant, Orange is the New Black confirme ici encore une fois son statut de grande série !


Orange is the New Black, saison 7

(8 août 2019)

Septième et dernière saison pour Orange is the New Black, une série qui a commencé sur l’idée assez amusante de placer une WASP dans une prison pour femmes et qui s’est transformée petit à petit en un redoutable pamphlet politique. Il est temps de conclure donc, mais après avoir dévoilé avec autant de justesse les horreurs de l’univers carcéral américain, on s’attendait bien à ce que Jenji Kohan se contente de conclure l’arc narratif de Piper. D’ailleurs, même si celle qui était le personnage principal des premières saisons a droit à une sorte de conclusion, elle est plus que jamais secondaire. Et plus que jamais, la série de Netflix embrasse sa destinée politique en attaquant le pouvoir américain avec une férocité rare et bienvenue. L’heure n’est plus du tout à l’humour, mais à la dénonciation de la politique raciste menée aux États-Unis : c’est sombre, terrifiant et brillant.

On peut résumer cette septième saison autour de deux axes principaux : la sortie de prison et l’impossible réinsertion dans la vie active d’une part, la politique migratoire mise en place par le régime Trump d’autre part. Pour le premier axe, Orange is the New Black se concentre essentiellement sur Piper, sortie en avance de prison et donc soumise aux règles très strictes de probation. Elle trouve un petit boulot dans un restaurant, mais le peu qu’elle gagne part toutes les semaines pour le contrôle obligatoire qu’elle doit faire auprès des institutions. Son père refuse de l’aider et la jeune femme est hébergée gratuitement par son frère, ce qui illustre bien la précarité des sorties de prison. Au-delà de cet exemple, Jenji Kohan prend le temps de montrer en quoi cette sortie est comme un piège où tout est fait pour obliger ces anciennes prisonnières à revenir. Elles sont dans un état de pauvreté parfois extrême et elles doivent respecter des règles absurdes, qui les empêchent souvent de gagner leur vie. C’est si grave qu’elles sont nombreuses à finir dans la rue, comme le cas de Cindy le montre bien, ou alors à retomber dans leurs anciens travers et retourner directement derrière les barreaux, ce qu’illustre le parcours d’Aleida. Cela étant, ce n’est évidemment pas mieux pour celles qui n’ont pas la chance de sortir et le parcours de Taystee est terrible dans cette saison. Danielle Brooks avait déjà eu l’occasion de prouver son talent auparavant, mais la jeune actrice est exceptionnelle ici.

Sur ce point, la série tente de garder une lueur d’espoir, ce qui n’est pas le cas de l’arc migratoire. Dans cette ultime saison, les scénaristes imaginent qu’un centre de détention est ouvert à Litchfield pour accueillir les migrantes sans-papier avant leur renvoi. C’est une zone de non-droit, gérée par une entreprise privée qui fait tout pour capter le maximum d’argent en dépensant le minimum. La loi ne s’applique plus dans ce vaste hangar où patientent des dizaines de femmes, en attente d’un jugement expéditif qui ne tient absolument pas compte de leur situation, et encore moins de leurs droits. Orange is the New Black n’épargne absolument pas le spectateur en présentant cette réalité de manière crue et poignante. Voir ces femmes traitées comme des animaux, ces gardiens qui n’ont de compte à rendre à personne, ces juges complices qui ferment les yeux sur les procédures absurdes, ces enfants qu’on juge sans aucun adulte pour les défendre… ces scènes sont odieuses et révoltantes et on la série portée par Netflix assume pleinement sa portée politique. On peut saluer le courage des scénaristes qui n’hésitent pas à taper là où cela fait mal, même s’il est peu probable que cela change quelque chose concrètement. Mais au moins, les choses sont dites clairement et nul ne peut ignorer ce qui se passe dans ces centres de détention.

Une fin en forme de coup de poing : Orange is the New Black a peut-être commencé comme une comédie, mais la série se termine comme un drame politique acéré. Et c’est très bien ainsi, on ne pouvait pas imaginer meilleure fin pour cette série qui a toujours eu à cœur de dénoncer un système judiciaire totalement absurde. Cette septième saison est souvent poignante, mais nécessaire, et Jenji Kohan a été au bout avec beaucoup de détermination. Une excellente fin, pour une excellente série.