Deux films ont suffi à Michel Hazanavicius pour remettre au goût du jour un vieux héros français et surtout à renouveler la comédie à la française. OSS 117 : Le Caire nid d’espions en 2006 puis OSS 117 : Rio ne répond plus en 2009 sont deux comédies vraiment drôles et deux pastiches du cinéma des années 1950 pour le premier et de la fin des années 1960 pour le second. Une vraie réussite…
OSS 117 est à l’origine une extraordinaire saga d’espionnage. Précurseur en la matière — James Bond n’était pas encore né — cet espion d’origine française a généré pas moins de 250 volumes rédigés par Jean Bruce puis ses héritiers jusqu’aux années 1990. OSS 117 est le nom de code de Hubert Bonisseur de La Bath, un nom qui évoque aujourd’hui la comédie, mais qui était tout à fait banal lors de sa création. Michel Hazanavicius s’est inspiré du personnage inventé par Jean Bruce, mais il l’a largement fait évoluer. Alors que l’espion travaille pour les renseignements américains dans les livres, les deux films en font un espion français et même un patriote convaincu. Le personnage interprété par Jean Dujardin est également beaucoup plus ridicule et comique dans la relecture proposée par Michel Hazanavicius : imbu de lui-même, il ne connaît rien à rien et fait systématiquement des réflexions déplacées sur les pays ou les populations qu’il croise.
Michel Hazanavicius a fait de la saga OSS 117 une comédie. Les deux films sont baignés dans une ambiance humoristique bien éloignée des enjeux supposés. Dans OSS 117 : Le Caire nid d’espions, Hubert est censé se rendre au Caire pour enquête sur la mort d’un autre espion ; dans OSS 117 : Rio ne répond plus, il doit acheter à un ancien officier nazi une liste d’anciens collaborateurs pendant la guerre. Comme on le comprend néanmoins très vite, ces deux intrigues d’espionnage n’ont aucun intérêt et le héros qui est censé les mener est incontestablement incapable de le faire. Hubert est une caricature du Français patriote à l’extrême, un homme tellement dévoué à servir son pays et son gouvernement qu’il en oublie totalement qu’il n’est plus dans son pays. Il n’a aucun sens des réalités du terrain, il ne connaît rien à rien et surtout rien à la culture qu’il doit fréquenter. Dans le premier film, sa confrontation avec l’Islam donne lieu à quelques scènes gênantes où Hubert se demande, par exemple, quelle religion peut interdire de boire de l’alcool avant de juger, sur un ton définitif, qu’une telle religion ne tiendra pas longtemps. Dans le second, c’est la religion juive et le nazisme qui occupent le devant de la scène et là encore son inculture crasse fait des ravages.
L’humour provient ainsi essentiellement du personnage d’OSS 117 et ses réactions toujours décalées par rapport à la réalité à laquelle il est confronté. L’exemple le plus drôle provient indéniablement de OSS 117 : Rio ne répond plus dans lequel Hubert cherche un ancien nazi au Brésil. Pour commencer ses recherches, il se rend à l’ambassade allemande et demande à l’accueil, avec une sincérité désarçonnante, s’il existe une liste de nazis, ou au moins une amicale nazie… Ces décalages sont permanents, dans OSS 117 : Le Caire Nid d’espions par exemple, l’espion n’arrête pas de distribuer à tout le monde l’image officielle de René Coty, président de la République française, comme s’il s’agissait d’une image pieuse de la plus haute valeur. Ce patriotisme premier degré et forcé est vraiment drôle, surtout quand Michel Hazanavicius le confronte à une autre culture : les remarques de Hubert sur l’islam ou les Juifs qui, dit-il, portent aussi une part de responsabilité dans le conflit avec l’Allemagne de Hitler, sont vraiment drôles. OSS 117 est un personnage bien de son temps, et son temps est au colonialisme, surtout dans le premier épisode qui se déroule dans les années 1950. Il est aussi misogyne et ne considère pas une femme au-delà de son rôle sexuel ou maternel. Ses réactions sont celles d’un Français moyen de l’époque et si elles font rire, c’est d’abord en raison du décalage temporel.
Les deux films de Michel Hazanavicius proposent en fait plusieurs niveaux de comique. Si Hubert et son ignorance complétée de suffisance sont la cause de la plupart des situations comiques, la parodie de films d’espionnage est également source de comique. OSS 117 : Le Caire Nid d’espions et OSS 117 : Rio ne répond plus sont en effet des parodies de films d’espionnage et on pense en premier lieu à la saga James Bond. Hubert est en quelque sorte un James Bond français et il partage avec son homologue britannique plusieurs points communs. Il est élégant et grand séducteur et il séduit plusieurs femmes dans chaque épisode. Ajoutons qu’il y a systématiquement une femme pour l’assister et créer un contraste indéniablement efficace, Hubert étant aussi extrêmement machiste. Citons également ses costumes supposés toujours élégants, sa capacité à se sortir de toutes les situations même sous des milliers de balles ou encore sa capacité à survivre sous l’eau pendant de longues minutes tout en prenant le temps d’ajuster sa cravate. Un James Bond de pacotille qui ne comprend rien à rien, qui laisse filer les plus gros indices et parvient assez miraculeusement à comprendre ce qui se passe. Michel Hazanavicius a ainsi réussi à mêler plusieurs niveaux de comique : aux références historiques, culturelles ou géographiques parfois assez fines et qui nécessitent un petit bagage pour les comprendre s’opposent des scènes où le comique de situation, voire de geste, domine. OSS 117 : Le Caire Nid d’espions est le plus marqué par cet humour avec le jeu de la lumière et des poules. Autre niveau dans les deux films, mais plus particulièrement dans OSS 117 : Rio ne répond plus cette fois, les doutes sur la sexualité de Hubert.
Il l’a encore prouvé avec The Artist, Michel Hazanavicius est un excellent parodiste capable de recréer à l’image un univers ou une époque avec un soin parfois déconcertant. Avant le film qui lui a valu tant de récompenses, les deux OSS 117 constituent déjà une très belle preuve de son talent. OSS 117 : Le Caire Nid d’espions se déroule dans les années 1950, OSS 117 : Rio ne répond plus dans les années 1960 et cela se voit. Michel Hazanavicius a filmé comme les films de l’époque, mais avec deux styles très différents. Le premier est filmé de manière assez classique, avec peu d’effets de caméra, des cadres assez simples tandis que le second est plus libre et compose avec quelques effets, le plus visible étant le split-screen. Le réalisateur utilise abondamment cette technique, quitte à en faire largement trop en proposant des dizaines de fois la même image : on est bien dans le domaine de la parodie. Cette capacité à mimer une époque et à filmer à la manière de est assez impressionnante, d’autant qu’elle est rapidement oubliée au profit de l’histoire, preuve qu’elle est parfaitement maîtrisée.
La parodie ne vaut pas que pour la mise en scène, mais aussi pour Hubert. Jean Dujardin incarne à la perfection cet espion franchouillard, séducteur parfaitement au courant de ses capacités de séduction et qui en abuse allègrement. Le jeu de l’acteur, très marqué, s’accorde parfaitement à ce personnage et avec les films d’époque que les deux OSS 117 veulent parodier. Son célèbre jeu de sourcils fait ici son effet, de même que son sourire Colgate et toutes ses autres mimiques. On sent qu’il se donne à fond dans cette interprétation, en particulier dans OSS 117 : Rio ne répond plus où il se livre à nu et n’hésite pas à montrer son fessier à plusieurs reprises. Jean Dujardin forme avec Michel Hazanavicius une équipe efficace, on comprend sans peine pourquoi les deux hommes continuent à travailler ensemble.
Avec ses deux films, Michel Hazanavicius a réussi à proposer une comédie vraiment réussie avec cette relecture du film d’espionnage façon James Bond. OSS 117 : Le Caire Nid d’espions puis OSS 117 : Rio ne répond plus réussissent à faire rire sur un mode inhabituel pour le cinéma français, en se moquant gentiment des Français de cette époque. Tous les amateurs de films d’espionnage et de comédie ne devraient pas rater cela, à (re)voir…