Le projet de donner une suite à la saga est lié à des circonstances extérieures qui n’avaient rien à voir avec Le Parrain. Francis Ford Coppola voulait s’en tenir aux deux premiers volets, deux monuments du septième art qui disaient, selon le cinéaste, tout ce qu’il y avait à dire sur la destinée de Mickael Corleone. Hélas pour le réalisateur, Coup de cœur a été un échec tel qu’il n’a pas eu le choix. Ce long-métrage d’une ambition folle a été tourné à l’apogée de la carrière du réalisateur qui venait, à nouveau, de connaître un immense succès avec Apocalypse Now sorti à la fin des années 1970. Après un tournage extrêmement épuisant, Francis Ford Coppola veut tourner une comédie musicale en studio, crée une boîte de production pour les besoins du tournage et crée des décors immenses, ne regardant pas sur la dépense. L’échec fracassant du film le laisse avec des dettes si importantes qu’il n’a plus le choix : il doit tourner des films de commande. Et ce que les studios lui demandent, c’est donner une suite à la saga pour former une trilogie. Le Parrain, 3e partie est né de cette exigence, et cela se sent. Après deux chefs-d’œuvre, cette conclusion offre un terme intéressant, mais dispensable, à l’histoire de Mickael Corleone. Sans être un mauvais film, ce troisième volet n’est pas à la hauteur de ses prédécesseurs.
Avec Le Parrain, 2e partie, on quittait un Michael Corleone devenu parrain tout-puissant et implacable. Son empire était devenu immense, au détriment de sa famille, totalement disloquée depuis le départ de sa femme avec ses deux enfants. Entre ce film et le troisième volet, une bonne dizaine d’années s’écoulent et c’est le même temps qui s’est déroulé côté scénario. On retrouve ainsi un parrain très différent : Al Pacino qui incarne toujours le personnage a vieilli, et le rôle qu’il interprète aussi. Le changement est d’abord physique : les rides ont envahi son visage, tandis que les plaisirs de la vie ont modifié sa voix, plus grave et moins douce qu’auparavant. Francis Ford Coppola imagine un nouveau Don Corleone basé sur ces transformations naturelles : le personnage a lui aussi évolué, il s’est rapproché de l’Église et entend désormais écarter toutes les affaires illicites, pour ne plus gagner d’argent que légitimement. Pour cela, Le Parrain, 3e partie imagine un rapprochement entre Mickael et le Vatican : l’ancien mafieux convoite la direction du groupe qui gère les propriétés immobilières de l’Église, un groupe qui, on l’imagine, brasse beaucoup d’argent. Pour obtenir l’aval obligatoire du Pape et des archevêques qui le conseillent, le parrain a cédé toutes ses propriétés douteuses, à commencer par les casinos qui avaient fait sa richesse. Symboliquement, le long-métrage commence d’ailleurs sur une cérémonie au cours de laquelle on remet à Michael la distinction religieuse la plus élevée pour un laïc. Si le personnage principal semble vouloir se repentir de tous ses crimes, il découvre vite que l’Église est elle aussi soumise aux mêmes tractations et jeux de pouvoir que la mafia. Le Parrain, 3e partie illustre très bien à cet égard l’une des réflexions de son personnage principal qui se plaint qu’à toujours chercher la légalité, il trouve toujours plus d’affaires louches. C’est peut-être un jugement un peu rapide de la part du scénario, mais elle fonctionne assez bien.
Certes, l’évolution du personnage principal est importante entre le deuxième volet et la conclusion de la saga, mais on peut très bien l’accepter étant données les années qui se sont écoulées entre les deux films. En revanche, certains personnages secondaires sont beaucoup plus faibles dans Le Parrain, 3e partie. On a beaucoup critiqué le rôle de Mary, la fille de Michael incarnée par Sofia Coppola, la fille de Francis Ford Coppola. Incontestablement, la jeune femme est une piètre actrice qui semble toujours réciter son texte, sans jamais y croire, et qui ne met les intonations et surtout les expressions de visage nécessaires. C’est un peu dommage, mais son personnage est si essentiel dans la tragédie filmée ici pendant près de trois heures qu’on peut le lui pardonner. Au-delà de l’actrice, son rôle est essentiel, à tel point qu’on pourrait résumer le film à cette fille que Michael adore, mais qu’il semble incapable de protéger et qui est, in fine, le signe de son échec total et surtout de la destruction de sa famille en parallèle de son ascension mafieuse. C’était déjà l’objet de la deuxième partie de la saga, mais il faut reconnaître que le réalisateur va beaucoup plus loin sur ce sujet. Le Parrain, 3e partie montre très bien la déchéance d’un homme dont la vie a été, au fond, un échec complet. À cet égard, la saga dans son ensemble apparaît plus que jamais comme une tragédie et on peut saluer une conclusion aussi tragique et portée par une scène à l’opéra d’une intensité rare. Dommage que ce beau spectacle soit perturbé par des choix encore une fois externes au film lui-même. Ainsi, l’absence de Robert Duvall qui incarnait Tom Hagen, l’avocat de la famille, est une faiblesse que son absence de met que mieux en valeur. L’acteur ne veut pas participer à la suite pour des raisons financières — il refuse d’être payé moins qu’Al Pacino — et son absence est compensée maladroitement. Francis Ford Coppola a été obligé d’imaginer sa mort avant le début du film et le remplace par un neveu sorti de nulle part. Andy García n’est pas mauvais, mais le Vincent Corleone qu’il incarne n’est pas le meilleur personnage de la saga. On imagine mal comment le fils illégitime du frère de Michael Corleone pourrait débouler pour la première fois à ce moment, et prendre une telle place. Cela ne colle pas, et c’est sans doute le meilleur signe d’un scénario écrit trop rapidement, et uniquement pour des raisons financières.
Le Parrain, 3e partie n’est pas honteux, mais sur bon nombre de points, une partie de la magie de ses deux illustres prédécesseurs est cassée. On ne s’ennuie pas vraiment pendant trois heures, mais on n’est plus pris comme avant. La faute sans doute en partie au casting, mais surtout au scénario : Francis Ford Coppola ne voulait pas de cette suite, et cela se sent un peu. Dommage, mais ce troisième épisode en demi-teinte n’enlève rien à la réussite de ses deux prédécesseurs. Et dans l’ensemble, la saga est l’une des plus fortes et des plus réussies au cinéma, une des plongées les plus réussies dans l’envers de la mafia, mais aussi une des plus belles fresques familiales.