« Cette fois, James Bond est seul. Et décidé à se venger. » L’affiche du seizième épisode de la saga James Bond entend ainsi clairement marquer les esprits en insistant sur la différence de ce film avec tout ce qui précède. L’agent 007 est en effet seul ici, abandonné par le MI6 qui veut le forcer à oublier sa vengeance personnelle. Permis de tuer signe le retour, pour la deuxième et dernière fois, de Timothy Dalton dans le rôle titre et l’acteur a cette fois carte blanche pour composer son agent secret. Aidé par un John Glen qui réalise son cinquième James Bond, il impose ainsi un agent qui n’hésite plus à tuer et qui a perdu tout sens de l’humour au profit d’une vengeance froide et un peu folle. Cet épisode de rupture est en cela extrêmement intéressant et il préfigure largement la période Daniel Craig, même si Permis de tuer n’a pas été prolongé, faute de succès…
Épisode de rupture, Permis de tuer commence avec une séquence pré-générique moins banale qu’elle n’y paraît au premier abord. Certes, l’agent secret finit par une séquence de haute voltige pendant laquelle il met la main sur un petit avion en plein vol pour arrêter son pilote avant de descendre avec Felix Leiter au mariage de ce dernier, à leurs pieds. Une séquence assez impressionnante, dans un contexte pour le moins surprenant. John Glen ouvre en effet son film autour du mariage de l’agent de la CIA qui aide James Bond dans de nombreux épisodes. Les deux hommes sont bons amis, mais le marié et son témoin sont interrompus par la brigade anti-drogue qui a mis la main sur le dangereux trafiquant Franz Sanchez. Ils partent ensemble l’arrêter, mais l’agent 007 est officiellement en congé et doit se cantonner à un rôle de spectateur, première particularité de ce Permis de tuer et premier refus d’obtempérer de la part de son héros qui décide d’aider Felix Leiter malgré tout. Le générique passé, un épisode traditionnel serait parti sur tout autre chose, pas celui-ci. Bien au contraire, le film tout entier est construit à partir de ce mariage et surtout de ses conséquences.
James Bond ne revient pas à Londres, il ne va pas non plus au siège du MI6 pour recevoir son ordre de mission de M, comme c’est le cas dans quasiment tous les épisodes de la saga. Dans Permis de tuer, c’est le MI6 qui vient à 007, mais pas en ami : pour la première fois, John Glen filme l’arrestation de l’agent pour sa désertion. Juste après le mariage, alors qu’il devait arrêter ses congés et reprendre du service, James apprend la disparition du trafiquant qu’il avait arrêté avec Felix et il revient s’assurer que tout va bien. Le spectateur s’en doute bien, ce n’est pas le cas et l’agent retrouve la nouvelle femme de l’agent de la CIA morte dans la chambre nuptiale, tandis que l’ami de James Bond est retrouvé à moitié mort, une jambe en moins du fait d’un requin. Devant cette nouvelle, l’agent 007 perd ses moyens et entre dans une rage folle. Là encore, c’est une première pour James Bond : en quinze films, l’agent a eu des occasions de s’énerver, mais jamais de partir aussi loin de ses ordres et de son organisation. Constatant que la police locale, corrompue, ne fera rien, il part lui-même venger son ami et il suit ainsi les traces de Franz Sanchez pour le tuer. M a beau venir pour essayer de le ramener à la raison et à sa mission suivante, rien n’y fait et le héros de Permis de tuer préfère non seulement risquer sa vie, mais aussi risquer celle des autres pour venger Felix. Une quête dévastatrice qui surprend par sa modernité tout en trahissant un tout nouveau personnage.
Timothy Dalton n’a pas tout à fait joué comme il le souhaitait dans Tuer n’est pas jouer et la marque de l’ère Roger Moore se sentait encore, avec notamment une bonne dose d’humour. Cette fois, c’est fini : le succès aidant, le nouvel acteur a carte blanche et Permis de tuer est entièrement construit autour de sa lecture de l’agent 007. Fini le personnage flegmatique qui réagit avec humour et détachement face à tout ce qui l’entoure, place à un homme froid et violent, un homme qui cherche à se venger, envers et contre tout. James Bond n’hésite plus à tuer, il le fait même parfois avec un certain plaisir, une satisfaction personnelle du moins, comme lorsqu’il jette celui qui a trahi Felix Leiter aux requins. Le sang coule beaucoup plus dans cet épisode que dans tous les autres, les morts s’accumulent et l’agent n’est plus vraiment discret et secret : il avance au contraire comme un rouleau compresseur vers Franz Sanchez. La bonne idée du scénario toutefois est de faire que le trafiquant ignore pendant la majeure partie de Permis de tuer qui est vraiment Bond. Ce dernier se fait remarquer en jouant des millions dans le casino de son ennemi, puis il l’aide volontairement ou non, notamment en déjouant les plans des services secrets chinois ou en dénonçant un traitre dans l’organisation de Sanchez. Une façon intelligente d’avancer qui éloigne cet épisode des films d’action qui florissant à l’époque et qui en fait un véritable James Bond, malgré ses originalités et malgré un ton en rupture.
De fait, Permis de tuer conserve tous les attributs classiques de la saga, même s’ils sont souvent détournés ou largement modifiés par rapport aux épisodes traditionnels. James Bond ne se rend pas au siège du MI6, certes, mais le scénario trouve un moyen astucieux pour faire apparaître les personnages qui s’y trouvent habituellement. M vient raisonner l’agent secret, Moneypenny apparaît dans une brève séquence au MI6 tandis que Q joue un rôle important, peut-être le plus important dans toute la saga. Alors que le personnage interprété pour la quatorzième fois par Desmond Llewelyn se contente traditionnellement de fournir à 007 ses armes et gadgets pour l’épisode, il joue ici un rôle prépondérant et aide l’agent en fuite sur le terrain. Il est l’égal d’une James Bond girl ou d’un Felix Leiter qu’il remplace en quelque sorte ici. John Glen n’en oublie pas non plus les gadgets, même s’ils sont tous ici mortels. Avant Casino Royale, on retrouve déjà l’idée du pistolet — masqué ici en caméra — qui ne s’active qu’entre les mains de l’agent. Le tube de dentifrice qui sert d’explosif complète l’arsenal, tandis que le Polaroid n’est pas assez mortel pour trouver place dans l’intrigue. Outre les gadgets, les filles sont aussi présentes, mais elles n’ont pas leur rôle habituel dans Permis de tuer. L’agent ne couche avec aucune, mais il s’appuie constamment sur l’une d’entre elles qui finit par être à son niveau, une idée moderne que l’on peine à retrouver dans la suite de la saga… Ajoutons que si le réalisateur n’a pas pu mettre en scène la traditionnelle Aston Martin comme il l’avait fait dans Tuer n’est pas jouer, la séquence avec les camions d’essence est impressionnante et très bien réalisée, même si elle a parfois recours à des idées absurdes (James réussit à conduire son camion comme une moto…).
Permis de tuer opère une rupture à plusieurs niveaux dans la saga James Bond. Pour la première fois, l’agent secret agit non seulement seul, mais en outre contre son organisation. Il agit aussi sous le coup d’une impulsion irrationnelle, même si son comportement est froid et calculé comme d’habitude. John Glen compose en tout cas un épisode différent qui n’est pas sans rappeler Au service secret de sa Majesté, trente ans auparavant tout juste. Les deux films partagent de nombreux points communs et en particulier celui d’arrêter la carrière d’un James Bond. Faute de succès, Timothy Dalton est remercié et même si Pierce Brosnan composera un agent 007 réussi, on ne peut s’empêcher de se demander ce que la saga aurait apporté en continuant sur cette voie avortée…