Plaire, aimer et courir vite, Christophe Honoré

Sorti quasiment un an après 120 battements par minute, le dernier long-métrage de Christophe Honoré allait forcément attirer les comparaisons. Mêmes années 1990, même milieu homosexualité, même SIDA qui s’empare de la communauté gay et tue des jeunes par millier face à un monde médical impuissant. Pourtant, Plaire, aimer et courir vite n’a absolument rien à voir avec la réalisation de Robin Campillo. Quand ce dernier embrassait la dimension sociale et politique de la maladie en s’intéressant aux combats d’Act-Up Paris, Christophe Honoré préfère imaginer une histoire d’amour rendue impossible par l’attente de la mort. Entre éducation sexuelle et fin de vie, son drame est aussi beau et intense qu’il peut être terrifiant : à ne pas rater.

Dès l’ouverture, on sent que la maladie rode, même si on ne connaît pas encore le sujet du film. Ce n’est pas dit explicitement, mais ce générique au pas de course, où les noms défilent sans que l’on ait parfois le temps de les lire, génère d’emblée une ambiance oppressante. Il faut aller vite, il ne faut surtout pas perdre une seconde, le temps est compter : Christophe Honoré n’a besoin que de très peu de moyens pour instiller ce sentiment que rien ne va durer. Plaire, aimer et courir vite prend par la suite plus de temps pour poser ses personnages principaux. D’un côté, Jacques, écrivain parisien qui a du mal à écrire et qui est hanté par sa mort à venir, inévitable, même si le long-métrage ne révèle pas tout de suite qu’il souffre lui aussi du SIDA. Il est encore bien vivant, mais il ne semble plus avoir de raison de vivre, en tout cas pas d’aimer. Ce n’est pas son fils, Loulou, qui suffit à le ramener à la vie, pas plus que ses conquêtes. Il a eu quelques histoires d’amour par le passé, dont une avec Marco qui l’appelle un soir pour lui demander un toit, alors qu’il ne lui reste que quelques jours ou semaines à vivre. Quand il se rend pour le travail à Rennes, il croise Arthur, jeune de 22 ans qui lui fait de l’œil. On pourrait parler de coup de foudre, même si le scénario évite les clichés de comédies romantiques. Arthur assume son homosexualité, mais elle n’est qu’attraction sexuelle pour lui et comme il le dit lui-même, il n’a pas le sentiment de tromper sa copine quand, très régulièrement, il va baiser avec des anonymes sur un parking sombre de la ville. Quand il croise le regard de Jacques, il se passe quelque chose pourtant. Il insiste pour le voir et le revoir, lui donne son numéro et son adresse et il tombe amoureux. Jacques aussi, mais il refuse de céder à cet amour qu’il considère impossible, puisqu’il se sait mourant. Le titre semble lancer la question : pourront-ils courir suffisamment vite pour vivre cet amour avant qu’il ne soit trop tard ?

La gestion du temps est particulièrement intéressante dans ce film. On a déjà évoqué le générique d’ouverture très rapide, comme s’il ne fallait pas perdre de temps à lister ceux qui ont fait le film et qu’il fallait s’intéresser à l’histoire aux plus vite. Par la suite pourtant, Christophe Honoré baisse nettement le rythme, avec une longue scène d’introduction qui est secondaire par rapport à l’intrigue principale. Plaire, aimer et courir vite dure plus de deux heures et son générique de fin est également réduit à la plus simple expression, c’est donc un long-métrage assez long. Mais pourtant, on n’a jamais vraiment conscience du temps qui passe. Le spectateur est pris par l’histoire et les personnages et il ne verra jamais le temps passer. L’histoire, quant à elle, avance souvent à une vitesse indéterminée. Combien de temps se passe-t-il exactement entre la première scène et la toute dernière ? On sait que c’est plus que quelques jours, mais entre trois semaines et trois mois, c’est moins clair. Le réalisateur se contente au départ de donner une date, 1993, et il prend ensuite grand soin de masquer au maximum le temps qui passe. Il y a des repères ici ou là, une semaine d’attente avant l’hospitalisation de Jacques, ou bien Arthur qui se plaint de ne pas avoir du nouvelles pendant des semaines. Mais il est frappant de constater que l’intrigue amoureuse paraît interrompre toute notion de durée, comme si elle était hors du temps. C’est un effet très fort, notamment parce qu’il permet d’oublier la maladie avant de la faire surgir encore plus fort, mais aussi parce qu’il laisse au spectateur le soin de reconstituer une histoire d’amour intense. On en voit quelques brides avec des séquences passionnées et sensuelles — chapeau au passage à Pierre Deladonchamps et surtout Vincent Lacoste, deux acteurs hétérosexuels qui incarnent avec naturel ces personnages gays et nus dans plusieurs scènes1 —, mais on a le sentiment que l’essentiel est masqué. Ou alors n’y a-t-il eu que ces rares heures de vie commune avant la fin, bien trop rapide dans tous les cas ? Le long-métrage conserve une part de mystère, mais laissera toujours un sentiment amer à la fin, brutale et terrible.

Le SIDA est présent et au cœur des esprits, mais à l’arrière-plan dans Plaire, aimer et courir vite. Le réalisateur n’a pas cherché à créer un film sur la maladie, comme pouvait l’être 120 battements par minute, c’est une histoire d’amour sur fond de maladie. D’ailleurs, c’est comme si le SIDA n’existait pas pour Arthur, qui ne laisse jamais transparaître de peur, ni même de doute à ce sujet. Christophe Honoré dessine les contours d’une très belle histoire d’amour que la mort vient contrarier et on sent que le cinéaste a aussi recréé l’univers de sa jeunesse et a probablement puisé dans ses souvenirs pour écrire ses personnages. Plaire, aimer et courir vite est une œuvre complexe, passionnante et poignante, qui mérite le détour même si elle peut aussi être très difficile à regarder.


  1. Même si on ne peut pas s’empêcher de se demander si Christophe Honoré ne pouvait pas trouver d’acteurs gay pour incarner ces rôles ? Un acteur peut interpréter n’importe quel personnage, évidemment, mais c’est si courant dans ce sens et si rare dans l’autre.