Porco Rosso, Hayao Miyazaki

Quand il réalise Porco Rosso, Hayao Miyazaki est encore largement inconnu dans le monde, mais il est déjà une star au Japon depuis l’énorme succès de Mon voisin Totoro. Avec cette nouvelle production, le réalisateur change de sujet et d’ambiance, mais conserve son style reconnaissable entre tous. Moins versé dans le fantastique, même s’il reste des notes extraordinaires dans ce long-métrage, le film est aussi ancré dans une réalité historique très précise, et assez éloignée du Japon. C’est en effet la mer Adriatique et l’Italie des années 1920 qui offrent à Porco Rosso son cadre, d’ailleurs souvent splendide. Prétexte pour exploiter les avions qu’il aime tant, l’œuvre de Miyazaki fait aussi office de plaidoyer contre la bêtise de la guerre, tout en racontant une histoire d’amitié pleine de tendresse. Une réussite qui n’a pas pris une ride.

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Porco Rosso a pour personnage principal un cochon, au sens littéral du terme. Mais comme toujours chez Hayao Miyazaki, cette étrange idée n’est jamais remise en cause, elle n’est même pas questionnée. Le film commence sur une séquence où le héros s’en prend à des pirates de l’air qui viennent justement de voler un navire de croisière, prenant or et jeunes filles en otage. La scène est rythmée et elle permet au film de mettre en valeur à la fois la maîtrise technique et le courage de ce personnage, même si d’entrée de jeu, il est présenté comme un mercenaire intéressé avant tout par l’argent. Ce n’est pas le héros traditionnel que l’on attendrait d’un film pour les enfants, mais le long-métrage n’est pas non plus un film d’animation pour les enfants. Comme toujours avec ce réalisateur, la complexité est de mise est même si les plus jeunes seront attendris par la très belle relation établie entre Porco et Fio, seuls les plus grands comprendront tous les enjeux, notamment historiques. Car, contrairement à la majorité des films du studio Ghibli, Porco Rosso est ancré dans une réalité objective et dans un passé historique qui était probablement très exotique aux yeux des Japonais : celui des années 1920, en Italie. Un cadre parfait pour permettre à Hayao Miyazaki de brasser les thématiques qui lui sont chères, de l’aviation à la bêtise de la guerre. Bien des années avant Le vent se lève, le réalisateur exploite cette même veine réaliste en apparence et il traite des mêmes sujets. Mais comme souvent, ce vernis de réalisme ne doit pas tromper et le fantastique n’est jamais très loin.

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On le disait plus tôt, le fait que le héros soit un cochon n’est jamais un sujet. À un moment donné, la fille mécano qui l’accompagne lui pose la question, mais le personnage répond avec une histoire qui ne répond pas vraiment. Et même alors, la question est posée sans sous-entendu négatif, uniquement par curiosité. D’autres personnages sont moins tendres et se moquent du personnage, mais Porco Rosso ne remet jamais en cause cette animalité et fait comme si elle était parfaitement banale. Au fond, savoir pourquoi cet ancien homme est devenu un cochon n’a aucune importance et c’est bien pour cette raison que Hayao Miyazaki ne nous montre pas plus ce qu’il devient à la toute fin. C’est le premier signe que le fantastique cher au cinéma du studio japonais n’est jamais loin et le fait que l’un des personnages secondaires ressemble fort aux sorcières que l’on voit dans les autres films n’est probablement pas innocent. Néanmoins, le scénario ne donne aucune explication, rationnelle ou fantastique, et on comprend bien que ce n’est pas son sujet : on accepte cette touche anormale dans un univers par ailleurs très sensé. Il y a bien quelques éléments bizarres, à commencer par ces pirates de l’air d’ailleurs, mais dans l’ensemble, on a une vision assez réaliste de l’Europe des années 1920, nonobstant le Japonais parfait parlé par tous ces Italiens. On sent aussi que Porco Rosso est l’occasion, pour son concepteur, de laisser libre cours à sa passion pour l’aviation. L’une des séquences se déroule ainsi dans un atelier de conception de Milan et on sent à cette occasion le sens infini du détail et tous les plans, toutes les pièces sont probablement réalistes, jusqu’au moteur siglé Ghibli qui rappelle l’origine du nom donné au studio1.

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On pourrait dire que Porco Rosso est un film d’animation atypique dans l’œuvre de Hayao Miyazaki, mais y a-t-il vraiment une réalisation plus typique qu’une autre parmi les onze longs-métrages qu’il a réalisé ? Certes, on a ici un ancrage dans une réalité historique très précise, et une réalité qui n’appartient pas à l’univers japonais. Mais cela ne veut pas dire que le fantastique n’est pas présent, il est plus discret. Certes, le traitement est plus adulte, avec un réquisitoire assez marqué contre la guerre en général et contre la montée des fascismes, évoquée à de nombreuses reprises ici. Mais Porco Rosso parlera aussi aux plus jeunes avec ce personnage féminin qui ajoute une dimension très humaine à l’ensemble, d’autant que l’on peut aussi compter sur une histoire d’amour discrète, mais réelle. À l’arrivée, Hayao Miyazaki compose une œuvre bien plus équilibrée qu’on ne pourrait le croire. Et comme toujours, c’est une vraie réussite, touchante et souvent belle… à voir et à revoir.


Annexe : images de préparation

Ces dessins sont issus du catalogue de l’exposition Dessins du studio Ghibli passée par Paris l’an dernier. Chaque dessin est un « layout » utilisé pendant la production pour préparer une séquence, à la fois en termes de mise en scène et de préparation des mouvements ou de l’action. Le catalogue ajoute aussi que le projet avait commencé comme un court-métrage destiné à une compagnie aérienne, avant de se transformer en long-métrage à part entière.


  1. Pour nommer sa nouvelle entreprise, Hayao Miyazaki a utilisé sa passion de l’aviation. Ghibli, c’est le nom d’un avion de reconnaissance utilisé par l’Italie pendant la Seconde Guerre mondiale. Outre l’aviation, on retrouve ici le pays qui a, semble-t-il, passionné l’artiste. Au passage, c’est aussi l’une des très rares fois où le nom de Ghibli apparaît dans un long-métrage du studio. A priori, c’est même la seule fois avec une mention dans Kiki la petite sorcière