On se méfie toujours des films inspirés d’histoire vraie. Cette caution permet souvent d’excuser des films paresseux, où montrer la vérité devraient suffire. Pride présente non seulement une histoire vraie, mais le deuxième long-métrage de Matthew Warchus, connu outre-Manche en tant que metteur en scène plutôt que cinéaste, entre aussi dans la catégorie aux contours flous des « Feel Good Movies », ces films qui sont censés vous aider à vous sentir bien. On sentait venir la catastrophe, et pourtant Pride s’en sort vraiment bien. Est-ce seulement parce que l’on ignorait tout de son sujet — l’alliance surprenante de quelques gays et de mineurs pendant les grandes grèves de lire Thatcher —, ou est-ce parce que le réalisateur a trouvé le ton juste, avec des personnages hauts en couleur très drôles et un sujet touchant ? Quoi qu’il en soit, on sort de la salles heureux, c’est vrai, et touché aussi par ces hommes et ces femmes si différents, qui se sont battus pour une cause qui n’était pas la leur. À ne pas rater.
Pride se déroule sur une année, entre deux gay prides londoniennes. Le film commence alors que Joe, tout juste 20 ans, se rend pour la première fois à la manifestation. Le jeune homme se sait homosexuel, mais dans l’Angleterre du milieu des années 1980, il est bien le seul à le savoir. Sa famille n’est évidemment pas au courant, et les plus folles rumeurs courent sur les gays et lesbiennes alors que le SIDA avance inexorablement. Matthew Warchus n’a besoin que d’un plan ou deux, quelques images qui suffisent à rappeler à quel point le climat était hostile aux homosexuels. Une vieille qui porte un panneau sur lequel on lit « Vous irez en enfer », un homme qui crache en direction de la manifestation… on est encore loin de l’ouverture de nos sociétés actuelles. Sans compter les forces de l’ordre qui se moquent ouvertement et cherchent plus à envenimer la situation qu’à faire respecter l’ordre. À la même époque, la grève des mineurs se poursuivait depuis plusieurs semaines et certaines régions, comme le Pays de Galle, commençaient à avoir du mal à tenir face à un gouvernement qui ne voulait rien entendre. Entre les difficultés financières des mineurs sans fiches de paie pendant plusieurs mois d’affilée, et la répression policière aussi intense qu’injuste, le climat social en Grande-Bretagne à cette époque-là n’était pas calme. Pendant cette première manifestation, Joe tombe sur un groupe d’activistes menés par Mark, qui a cette étonnante intuition. Les mineurs et les homosexuels ne sauraient être plus éloignés en tant que groupes sociaux, mais ils ont réunis par un même ennemi : le gouvernement et ses émanations, de la police à la presse. Fort de ce constat, il crée un groupe de soutien et commence à révolter de l’argent en faveur des mineurs, l’idée étant de leur offrir de quoi tenir en poursuivant, coûte que coûte, leur grève, tout en nourrissant leurs familles. Une bien belle idée, mais ces jeunes idéalistes avaient sous-estimé un facteur : le monde minier de cette époque est profondément machiste, et aucun syndicat ne veut de cet argent connoté gay et lesbien. Pride raconte alors comment Mark et les autres, loin de se décourager, contactent directement un village paumé dans le Pays de Galle, et partent leur donner l’argent, sans intermédiaire.
Quittant Londres, Matthew Warchus nous emmène alors dans les régions minières de Galle, et surtout dans un village monotone de la région. Pride montre alors la confrontation de deux groupes que tout, mais vraiment tout, oppose. D’un côté, une poignée de gays et lesbiens qui n’ont jamais connu que le monde des villes, et pour qui cet univers minier est totalement étranger. De l’autre, un village exclusivement composé de mineurs, qui voit d’un très mauvais œils l’arrivée de ces drôles de types. À une époque où l’on pensait encore que le SIDA pouvait être transmis par un simple contact, bien avant un rapport sexuel, l’hostilité est latente. Pourtant, petit à petit, les deux groupes apprennent à se connaître et même à se respecter. Le film n’évite pas les questions difficiles et montre bien que cette relation entre mineurs et homosexuels reste très fragile : il suffit ainsi d’un article dans la presse pour qu’elle vole en éclat. Le réalisateur souligne parfaitement bien la peur du qu’en dira-t-on dans ces petites communautés refermées sur elles-même, mais aussi l’immense solidarité au sein du village. Ces mineurs n’ont rien à faire en temps de grève, si ce n’est passer du temps entre eux dans le pub qui fait aussi office de salle des fêtes du village. Cette société régie par des règles immuables — les femmes dansent, les hommes boivent accoudés au bar — présente un contraste saisissant avec les jeunes Londoniens qui aiment faire la fête, qui dansent et qui s’habillent avec des couleurs réservées en théorie aux habits du dimanche des femmes. Pride offre presque une analyse sociologique de cette société et de l’explosion sociale provoquée par l’irruption des activistes gays, mais Matthew Warchus signe une comédie, et il ne l’oublie jamais. Son film n’est pas seulement passionnant, il est aussi très drôle et le scénario met en scène quelques Galloises vraiment hilarantes, notamment le temps d’un passage à Londres qui restera dans les mémoires. On s’amuse beaucoup et le film assure bien son rôle de comédie : ces femmes qui n’ont jamais rien connu et découvrent d’un coup le Londres nocturne et gay… c’est gonflé et vraiment drôle.
Trente ans après les faits, cette époque peut paraître lointaine aujourd’hui. Les mines ont disparu du paysage au Pays de Galle, mais les couples homosexuels peuvent se marier au Royaume-Uni. Et au fond, c’est peut-être ça le vrai sujet de Pride, en tout cas le plus important. Au-delà des luttes sociales pour la préservation d’un secteur sur le déclin, le film de Matthew Warchus montre comment, en aidant un autre groupe social défavorisé, quelques activités gays et lesbiens ont fait avancé leur cause dans la société. Quand les mineurs viennent grossir les rangs de la Gay Pride de 1985 pour remercier la communauté homosexuelle de leur aide, on assiste à un moment historique fort où une partie de la société britannique reconnaît la normalité de l’homosexualité. Pour cette raison, les dernières images de Pride sont très émouvantes : la comédie devient brutalement le témoignage poignant et indispensable que des hommes et des femmes se sont mobilisés pour faire avancer une cause qui n’était même pas la leur. En aidant des mineurs qui ne voulaient même pas d’eux pour défendre un travail et une vie qui leur étaient totalement étrangers, ces homosexuels ont obtenu en échange le soutien de ces mineurs pourtant hostiles à leur cause à la base. Que l’on se sente concerné — c’est notre cas — ou pas, qu’importe : on ne peut qu’être touché par Pride qui, non content d’être une comédie sociale réussie et très drôle, est aussi un très beau film sur l’engagement. Une réussite !