Quand Quentin Dupieux sort un film nommé Réalité, on se doute bien qu’il y aura un problème quelque part. De fait, la réalité est une notion très relative dans le dernier long-métrage du cinéaste et si l’on cherche un film cohérent, on en sera pour ses frais, comme toujours. Quentin Dupieux, qui a quand même été capable de créer un film entier sur un pneu serial-killer avec Rubber, n’a pourtant jamais été aussi cohérent. À cet égard, Réalité est presque un film grand public, c’est en tout cas une œuvre parfaitement cohérente et surtout extrêmement plaisante. À ne pas rater, à condition du moins d’accepter de lâcher prise et de ne pas chercher à tout comprendre.
Réalité commence comme un film tout à fait normal, avec une intrigue parfaitement compréhensible qui se met en place progressivement. Certes, il y a déjà quelques éléments étonnants — ce présentateur d’une émission culinaire avec un costume de rongeur, ce sanglier tué avec une VHS dans les intestins, le producteur qui se contredit en permanence… —, mais on reste à peu près dans la normalité. On suit ainsi Jason, caméraman qui veut se reconvertir dans le cinéma et qui apporte à Bob, un producteur de renom, son idée de film. Nommé Waves, ce projet assez loufoque envisage un scénario de science-fiction où les télévisions prennent le pouvoir et tuent tous les humains. Ces débuts assez normaux ne sont toutefois qu’une apparence, et la folie habituelle de Quentin Dupieux reprend vite le dessus. De manière assez subtile, le cinéaste introduit des éléments qui ne devraient pas exister, sans donner d’explications. Fidèle à la réputation de son concepteur, Réalité est un long-métrage absurde, mais qui prend son absurdité très au sérieux. Si l’on adhère, on le trouvera très drôle, avec quelques moments vraiment hilarants, mais il ne s’agit pas à proprement parler d’une comédie. On est plus proche du nonsense à l’anglaise, avec un sérieux que n’auraient pas renié les Monty Python, par exemple. Pour cette raison, quand l’histoire commence à déraper, on ne comprend pas ce qui se passe, d’autant que le scénario donne longtemps des justifications rationnelles qui paraissent, un temps, crédibles.
Dans un premier temps au moins, Réalité justifie ses accès de folie par des raisons plus ou moins logiques. Cet homme travesti qui roule en jeep et amène des fleurs à un vieux, avant de les jeter par terre en disant qu’il n’en avait rien à faire ? Un rêve, détaillé et justifié le lendemain par l’homme en question avec sa psy. Cette petite fille qui trouve une VHS bleue dans le ventre d’un sanglier ? Un tournage de film. Les amateurs de récits au premier degré seront vite déçus pourtant : si on peut expliquer une scène en disant que c’est un rêve, comment se fait-il qu’un autre personnage, présent dans le rêve, le mentionne dans ce qui est censé être la réalité ? Très vite, les situations s’entremêlent jusqu’à former un ensemble totalement incohérent : Jason a une idée de film… qu’il retrouve à l’identique dans une salle de cinéma. Son film a-t-il été déjà tourné ? Ce n’est pas possible, il n’a même pas écrit son scénario et cherche encore son cri, le plus grand cri de l’histoire du cinéma. On finit par ne plus rien y comprendre et d’ailleurs, toutes les histoires lancées initialement en parallèle finissent toutes par se croiser de manière totalement absurde… du moins en apparence. Car, c’est bien là le tour de force de Réalité, tout n’est pas aussi stupide qu’on pourrait le croire. Contrairement à certaines de ses anciennes productions, Quentin Dupieux n’a pas, cette fois, qu’une idée qu’il lance un peu au hasard, et qu’il ne peut pas forcément porter assez loin pour tenir la distance. Non, son scénario est pour une fois extrêmement bien construit et on peut tout à fait le reconstituer avec une vision attentive. Le récit avance avec des cercles et des univers parallèles qui finissent par se rejoindre et derrière la cacophonie générale, on peut in fine découvrir un ordre savamment orchestré. Une belle prouesse, qui permet au film de tenir la distance.
Pour que Réalité puisse faire rire, il faut qu’il soit le plus sérieux possible. Pour cela, Quentin Dupieux peut compter sur ses acteurs, qui sont tous excellents. On retiendra surtout la prestation impressionnante d’Alain Chabat, parfait dans un rôle absurde interprété précisément comme il fallait, mais ce n’est pas la seule réussite. Jonathan Lambert en producteur capricieux est, lui aussi, excellent et tous les autres rôles secondaires ont eux aussi le sérieux nécessaire. Au total, c’est bien la cohérence du projet qui frappe : Réalité n’est pas qu’une blague potache qui amuse quelques minutes, c’est un film très drôle de bout en bout. Et un long-métrage qui n’est, en plus, pas si stupide qu’il n’en a l’air. Si une pointe d’absurdité ne vous fait pas fuir, vous auriez tort de rater cette réalité…