Reflets dans un œil d’or s’est fait connaître à sa sortie pour sa photographie très marquée. Le réalisateur avait eu l’idée de tout montrer à travers l’œil d’or de son titre, avec une image très jaune à l’exception de quelques objets en couleurs naturelles dans chaque plan. Cette vision originale avait fortement déplu lors des essais et le film est finalement sorti avec des couleurs normales, ce qui ne l’a pas empêché d’être un désastre critique et public. Pourtant, l’adaptation du roman éponyme de Carson McCullers proposée par John Huston ne manque pas d’arguments en sa faveur. Plus de cinquante ans après sa sortie, c’est même la modernité de son propos qui frappe le plus, avec un traitement psychologique très intéressant. Avec deux acteurs impeccables à sa tête, Reflets dans un œil d’or mérite bien le détour.
L’intégralité du film se déroule dans un fort militaire de Georgie, un huis clos qui lui offre dès le départ l’unité de lieu digne d’une pièce de théâtre et surtout ce qui lui permet de sortir de toute temporalité. On est clairement dans la deuxième moitié du XXe siècle, les références constantes à la Seconde guerre mondiale suffisent à le prouver, mais on pourrait tout aussi bien être un siècle plus tôt, cela ne changerait pas grand-chose. Les personnages principaux sont tous issus de familles aisées, avec des maris officiers et des femmes au foyer qui passent leur temps chez elles avec serviteurs, ou bien à dos de cheval, ou encore à organiser des réceptions. Avec le climat typique du sud des États-Unis, on pourrait avoir le sentiment de se retrouver au milieu de plantations de coton. Le major Penderton délaisse sa femme Leonora et ignore son aventure à peine masquée avec son voisin, le lieutenant-colonel Langdon, dont la propre femme ne s’est jamais remise de la perte de leur enfant. Ce quatuor fonctionne de manière presque normale, comme si tout le monde s’accommodait de la situation ou en tout cas, faisait avec et fermait les yeux. Mais tout est bousculé par l’arrivée du soldat Williams, qui n’est pas insensible aux charmes de la belle Leonora, et qui ne laisse pas indifférent le major Penderton. Ce dernier fait tout ce qu’il peut pour réprimer son homosexualité, probablement depuis des années, mais l’intérêt de ce jeune soldat pour sa femme semble être la goutte d’eau de trop. Entre la jalousie affichée et sa frustration de ne pas être le sujet du désir du jeune homme, le militaire agit de manière un petit peu erratique. Alors qu’il est manifestement nul avec les chevaux, il tente de s’y remettre pour ne pas laisser sa femme seule avant son amant et peut-être aussi pour suivre et regarder Williams, qui aime se balader à cheval complètement nu. Tous ces fantasmes, le voyeurisme et la répression de l’homosexualité est parfaitement exploitée et c’est indéniablement un point fort du long-métrage réalisé par John Huston. Ses personnages sont bien construits et psychologiquement soignés, avec une modernité du traitement qui est notable. Il pouvait compter sur le talent de ses acteurs pour que toutes ces émotions soient bien rendues, Marlon Brando en tête. Il est excellent dans le rôle du major, on sent dès le départ qu’il bouillonne et qu’il est prêt à exploser, mais sa lâcheté est parfaitement rendue également. Face à lui, Elizabeth Taylor déploie un jeu haut en couleurs, plein d’hystérie et à la limite de l’absurde quand elle sort la cravache pour frapper son mari en plein milieu de sa soirée. Cette ambiance de mystère est sensible dès le départ d’ailleurs et l’image lisse et parfaite présentée dans les premières minutes de Reflets dans un œil d’or sonne d’emblée fausse. Le scénario se construit à partir de ce point de départ, et son évolution progressive jusqu’à l’explosion de violence finale, avec un rythme très lent, participe au succès du projet.
John Huston a une approche très frontale de son sujet principal, avec une représentation de l’homosexualité très charnelle par moments, ce qui peut surprendre dans un film destiné au grand public de 1967. C’est peut-être d’ailleurs ce qui explique l’échec de Reflets dans un œil d’or à sa sortie. Rien de choquant pour le spectateur contemporain, qui appréciera le traitement psychologique très moderne, en particulier sur la difficile répression de sa propre sexualité. Un long-métrage passionnant.