The Revenant, Alejandro González Iñárritu

Alejandro González Iñárritu est un cinéaste de dispositifs. Chacun de ses films est motivé par une idée, que ce soit la juxtaposition de plusieurs histoires parallèles à ses débuts, ou bien le plan-séquence quasiment intégral de Birdman. Un an après, The Revenant ne fait pas exception, mais cette fois, le réalisateur mexicain a choisi de raconter une histoire de survie en milieu hostile, en la tournant dans un milieu hostile. Son dernier long-métrage a été tourné dans l’ordre chronologique du récit, exclusivement en lumière naturelle et surtout dans les environnements éprouvants au cœur de son histoire. Acteurs et techniciens ont ainsi tourné pendant des semaines dans le froid glacial du Canada, puis de l’Argentine, au cœur de décors immaculés, loin de toute civilisation. Un véritable défi, pour un résultat souvent spectaculaire, porté par un Leonardo Di Caprio plus époustouflant que jamais. The Revenant ne raconte paradoxalement pas grand-chose et Alejandro González Iñárritu exploite peut-être un petit peu trop son dispositif, mais en même temps, l’expérience est éprouvante et elle mérite sans conteste d’être vécue, de préférence sur grand écran.

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Adaptation assez libre d’un roman de Michael Punke, The Revenant est inspiré d’une histoire extraordinaire, mais dont on ne sait pour ainsi dire rien, ou presque rien. Dans les années 1830, un trappeur nommé Hugh Glass se fait connaître pour avoir survécu à l’attaque féroce d’un grizzli, l’une des menaces les plus dangereuses à l’époque et qui reste, encore aujourd’hui, une source de problèmes1. L’attaque est brutale, l’homme est lacéré de blessures très profondes et il est laissé pour mort par ceux qui l’entourent, mais il ne meurt pas. Un miracle qui a marqué les esprits en son temps et qui s’est transformé en légende transmise jusqu’à nous. Cette trame sert de cadre général au film d’Alejandro González Iñárritu, mais elle est suffisamment vague pour laisser de la place à une histoire plus romancée. De fait, le scénario imagine que le trappeur a connu une femme amérindienne avec laquelle il a eu un fils. L’intrigue se déploie par ailleurs autour de l’idée de vengeance, après le meurtre du fils en question par l’un des membres de l’équipage. Bref, The Revenant prend ses libertés par rapport à la faible réalité historique que l’on croit avoir conservé à ce jour, et ce n’est pas pour rien que le long-métrage revendique une inspiration et non une adaptation de l’histoire vraie. Pour autant, le scénario reste assez léger et l’intrigue n’est pas non plus très resserrée : sur plus de 2h30, le film est au fond assez contemplatif et il ne raconte pas beaucoup de choses. Non pas que l’on s’ennuie, pas du tout, le rythme est très bien dosé et les phases où il ne se passe quasiment rien ne durent pas et sont rapidement suivies de séquences d’action parfois très intenses. Alejandro González Iñárritu maîtrise son sujet et sait tenir en haleine les spectateurs, mais le cinéaste n’a pas grand-chose à montrer. On pourrait dire que le vide est le vrai sujet, mais c’est une justification un petit peu facile qui ne servirait qu’à masquer cette vérité : le dispositif exceptionnel qui a est déployé ici écrase un petit peu le film, comme s’il devenait plus important que le récit lui-même.

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Il faut dire que le réalisateur s’est dépassé encore une fois, avec ce long-métrage tourné exclusivement en décors naturels et presque sans aucun effet spécial. La scène d’attaque par l’ours s’est faite sans animal vivant, pour des raisons qui sont évidentes quand on voit cette séquence d’une brutalité rare, mais c’est bien la seule à « tricher » avec la nature. Tout le reste a été filmé au Canada, puis en Argentine quand le réchauffement est arrivé sur le tournage et l’équipe technique et les acteurs ont manifestement donné de leur personne sur ce projet. Dans le rôle principal, Leonardo Di Caprio est encore plus impressionnant qu’il ne l’est d’habitude et il pousse le concept d’acteur à des niveaux rarement atteints. Réaliser des séquences où il est nu avec des températures extérieures négatives n’a pas dû être une expérience plaisante, mais son jeu était aussi probablement plus simple. Nul besoin de simuler le froid, quand on a vraiment froid et la détresse qu’on lit souvent sur son visage est également plein de réalisme. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’a pas de mérite, non : difficile de savoir si l’acteur aura finalement son Oscar cette année, mais il ne le volerait pas, tant il est bluffant dans The Revenant. Alejandro González Iñárritu peut compter sur son acteur, mais il est aussi extrêmement présent, avec une mise en scène parfois virtuose et une photographie souvent sublime. Le choix de ne tourner qu’en lumière naturelle est payant, le long-métrage bénéficie d’une ambiance plus réaliste et quand la météo se gâte, on le ressent tout autant que les personnages. Par ailleurs, les placements et les mouvements de caméra contribuent à nous faire entrer au cœur de l’action, au point que l’on a parfois de la buée ou des tâches de sang sur l’image : l’effet est vraiment réussi. Dommage qu’à côté d’un tel réalisme dans l’ambiance générale, le scénario aille un petit peu trop loin dans les malheurs qui s’abattent sur son personnage principal. La légende basée sur l’histoire vraie est ce qu’elle est, mais comment croire qu’après de telles blessures, cet homme puisse être rétabli aussi vite sans vrai traitement et qu’il survive encore à une chute spectaculaire sur un arbre ?

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C’est sans doute la limite de l’exercice : The Revenant tient presque de l’expérience extrême, au détriment d’un récit vraiment fort. Pour le dire autrement, Alejandro González Iñárritu n’a peut-être pas autant envie de raconter une histoire que de montrer son dispositif, son héros maltraité et ses magnifiques plans de la nature sauvage et parfois cruelle. Mais qu’importe après tout. On ressort de la séance dans un état second, transporté par cette expérience hors du commun que l’on a l’impression d’avoir vécu avec le personnage et avec son acteur. C’est pourquoi The Revenant mérite d’être vu, ne serait-ce que pour voir Leonardo Di Caprio au sommet de son art et pour souffrir avec lui.


  1. À tel point que l’équipe de tournage a embauché des agents de sécurité pour surveiller les ours et les écarter en cas de besoin. Si vous avez déjà campé entre le Canada et les États-Unis, vous savez probablement qu’il y a des mesures à prendre pour ne pas attirer ces animaux sauvages, et toujours dangereux.