Rick et Morty pourrait être résumée en deux mots seulement. La série d’animation suit les aventures de Rick, grand-père doublé d’un scientifique aussi génial qu’amoral, et de son petit-fils de 14 ans, Morty. Ce point de départ sert de colonne vertébrale à toute la création de Dan Harmon et Justin Roiland, cinq saisons et plus de cinquante épisodes diffusés à ce jour. Il n’y a pas plus que cela, mais cette base génère une histoire d’une richesse telle qu’elle donne le tournis. À partir de ce duo et de la petite famille qui entoure Morty et son grand-père, Rick et Morty exploite les plus grands thèmes de la science-fiction et un grand nombre de questions philosophiques, le tout avec un traitement absurde, un sens appuyé de la blague scatologique et un goût assumé pour la violence crue. Un cocktail improbable et de fait, à tout essayer, tout ne fonctionne pas. Néanmoins, la création d’Adult Swim mérite le détour, tant elle s’avère riche et passionnante sur sa totalité.
Rick est un alcoolique, nihiliste extrême, sans aucun sens moral et prêt à tout pour assouvir ses envies, mais aussi un génie complètement fou qui a inventé un appareil capable de créer un portail de téléportation. Grâce à lui, il peut se déplacer instantanément n’importe où sur la Terre, mais aussi dans cet univers, ou encore dans n’importe quel autre univers. Dès le pilote, Dan Harmon et Justin Roiland envoient la sauce et posent leur ambition, démesurée. Rick et Morty ne recule devant aucune idée et pousse au contraire tous les grands concepts de la science-fiction à leur paroxysme. Sa plus grande forte est de ne pas avoir peur d’affronter des thèmes difficiles, en particulier le multivers, qui est rarement bien exploité dans la fiction. Comme le voyage temporel, qui fait d’ailleurs son apparition de temps en temps, c’est un concept compliqué, surtout pour le format court d’un film. Une série traditionnelle peut mieux s’en tirer, à l’image de ce qu’a pu en faire Fringe, mais il n’y a rien de traditionnel ici. Le principe des univers parallèles avec une infinité de possibilités est très vite posé par les scénaristes qui l’exploitent dans la foulée à de multiples reprises et pour des idées assez folles. S’il y a une infinité d’univers, il y a aussi une infinité de versions des Rick et Morty. Qui sont les « vrais » personnages que l’on apprend à connaître, épisode après épisode ? Cette question n’a aucune importance et Rick et Morty le revendique haut et fort quand l’un de ses épisodes fait basculer les deux personnages d’un univers à un autre, pour remplacer ceux qui étaient là auparavant en les tuant et en les enterrant dans le jardin familial. Si vous aviez encore un doute sur le fait qu’il s’agit d’une série d’animation pour adultes, voilà qui devrait vous le confirmer : il n’y a aucun interdit ici, et n’espérez pas trouver un salut dans la religion, brutalement détruite dès le pilote.
Ce jusqu’au-boutisme est le point fort de cette création portée par Adult Swim et les amateurs de science-fiction seront aux anges face au nombre d’idées qui ont inspiré un épisode ou un autre. Outre le multivers qui revient régulièrement, il y est régulièrement fait mention d’intelligence artificielle, de clonage, de batailles spatiales, de téléportation ou encore de voyage temporel. Il n’y a aucun interdit et plus les saisons avancent, plus les scénaristes vont loin et partent dans des délires toujours plus immenses. Un épisode peut être entièrement consacré à tester une seule idée et la pousser à un extrême qui vous laissera bouche bée. Pour donner un exemple parmi la myriade offerte par les cinq premières saisons, évoquons cet épisode où Rick tente de remonter à sa réalité et croise de multiples versions de lui-même, dans des univers où il n’est plus un humain, mais où le fascisme finit toujours pas l’emporter. Décrire plus que le principe général de Rick et Morty est très difficile, tant on est dans la catégorie « il faut le voir pour le croire ». S’il y a bien une chose que l’on ne peut pas retirer à Dan Harmon et Justin Roiland, c’est bien de tout tenter, de ne jamais s’arrêter à une idée parce qu’elle est improbable ou difficile. L’animation est d’ailleurs une évidence quand on y pense : sans elle, comment mettre en scène un univers où les boîtes aux lettres sont vivantes, ou représenter ce personnage secondaire mi-homme, mi-oiseau, qui tombe amoureux d’une lycéenne sur Terre ? L’inventivité visuelle est d’ailleurs un point fort de la série, qui n’hésite pas à multiplier les styles et expérimenter, à nouveau, quitte à partir dans toutes les directions, sur la forme comme sur le fond. Et c’est peut-être aussi là une limite qu’il faut avancer : à force de tout essayer, il y a forcément des ratés. Quelques épisodes tombent à l’eau, à cause d’un problème de rythme ou d’une idée pas drôle qui ne fonctionne pas. Cela arrive, mais on est vite emporté par l’épisode suivant, qui s’avère brillant à sa manière. Dans l’ensemble, le bilan reste ainsi positif et on tolère parfaitement les quelques moments creux, compensés sans peine par le reste.
Si le concept de base est simple, le résultat est d’une rare complexité. Rick et Morty surprend aussi par son humour d’une noirceur totale, non pas seulement parce qu’il repose sur une violence crue, aussi et surtout parce qu’il est la base d’une mélancolie marquée. Assez discrète dans les premières saisons, elle se déploie au fil du temps pour prendre de plus en plus de place. C’est aussi une autre piste que les deux créateurs ne se refusent pas : ce n’est pas parce que la série est comique qu’elle doit faire rire à chaque fois. Et d’ailleurs, elle n’hésite jamais à faire de la politique et dresser un portrait au vitriol des États-Unis. Au bout du compte, c’est bien la preuve de sa richesse et de sa complexité et mieux vaut cette prise de risque constante qu’une fiction ennuyeuse. Rick et Morty est une création attachante précisément parce qu’elle ose tout et on a hâte de découvrir les futures expérimentations qui sortiront des cerveaux de Dan Harmon et Justin Roiland.