Le Rideau déchiré, Alfred Hitchcock

Alors qu’il était au sommet de sa gloire, l’échec commercial de Pas de printemps pour Marnie lui retire la confiance des studios de cinéma américains. Pour son film suivant, Alfred Hitchcock n’a pas d’autre choix que de faire des compromis, notamment sur le casting de stars qu’on lui impose sans qu’il ait son mot à dire. Il perd aussi son monteur, son chef-opérateur et surtout Bernard Herrmann, compositeur sur tant de projet en commun. Est-ce pour ces raisons que le réalisateur britannique délaisse quelque peu Le Rideau déchiré, son cinquantième long-métrage ? Non pas qu’il soit totalement raté, il conserve quelques marques du talent du cinéaste, mais c’est une œuvre assez mineure qui est loin de ce qu’il a fait de mieux.

L’affiche originale promet un film qui va nous déchirer de suspense, mais une fois n’est pas coutume, c’est presque de la publicité mensongère. Le suspense, en effet, n’est pas le point fort de cette nouvelle réalisation, qui aurait gagné à être raccourcie et qui multiplie les scènes un peu longues, mais surtout, qui peine à surprendre avec son intrigue assez téléphonée. Alfred Hitchcock essaie bien de ménager la surprise en filmant la première partie du point de vue de Sarah Sherman, assistante et fiancée du physicien américain Michael Amstrong, alors qu’ils sont en voyage en Europe du Nord pour des conférences. Dès les premières minutes toutefois, on comprend qu’il y a anguille sous roche et que le scientifique ne se comporte pas comme il devrait. Il est évasif, ne répond pas aux questions de sa compagne et elle devient très vite suspicieuse. On est au cœur des années 1960, alors que la Guerre froide fait rage et on comprend vite que c’est le sujet, d’autant que l’un des scientifiques un petit peu trop curieux vient d’Allemagne. Cela ne rate pas, Le Rideau déchiré se construit autour d’une intrigue très classique, à base d’espionnage, de contre-espionnage et d’attaques nucléaires. Le réalisateur essaie de créer la surprise avec une révélation au milieu de son film, mais on ne peut pas dire que le spectateur soit vraiment surpris par ce qu’il apprend. Ajoutons à cela une histoire d’amour qui n’est jamais vraiment crédible, la faute essentiellement au choix des deux acteurs principaux, bien trop éloignés du style du cinéaste pour que le tournage se déroule correctement.

De fait, Julie Andrews n’est jamais vraiment dans son personnage et Alfred Hitchcock n’a apparemment pas aimé travailler avec Paul Newman, l’un des représentants de la méthode actor’s studio qui voulait en savoir plus sur son personnage et ses motivations et pas simplement faire ce qu’on lui demandait. Leur couple n’est jamais crédible et ce n’est pas la musique bien trop caricaturale et appuyée composée par John Addison qui vient aider leurs scènes à deux, bien au contraire. À chaque fois, il surligne leur amour de façon si caricaturale que cela en devient ridicule, et on regrette d’autant plus l’ancien compositeur attitré de Hitchcock. On sait que ce dernier s’est vite désintéressé de ces deux acteurs qu’il n’avait pas choisi, et qu’il préférait s’occuper de Lila Kedrova dans le rôle très étrange d’une comtesse polonaise qui cherche à s’enfuir de RDA. La différence entre ces scènes plus légères et le reste du film est particulièrement visible, mais pas dans le bon sens, elle coupe l’intrigue principale et ne sert à rien… si ce n’est satisfaire les envies du réalisateur. Ces difficultés sont difficiles à oublier et Le Rideau déchiré en pâtit. Non pas que tout soit mauvais, il y a quelques bons moments et notamment la scène dans le théâtre rappelle pourquoi Alfred Hitchcock est connu, avec une montée en intensité très bien maîtrisée. Mêle alors, cette scène rappelle fortement celle de L’homme qui en savait trop, et cette relecture n’apporte rien de plus. La séquence dans le musée, uniquement rythmée par des bruits de pas, est une réussite indéniable en revanche, contrairement à la course-poursuite en bus, surtout ennuyeuse. Quant à la scène de meurtre que le cinéaste a voulu réaliste, elle s’étire un petit peu en longueur, même si elle reste intéressante à une époque où l’on montrait rarement la mort de façon aussi crédible et frontale.

Le Rideau déchiré sort en 1966, en pleine guerre froide, mais aussi en plein renouveau du cinéma hollywoodien et Alfred Hitchcock n’a peut-être jamais semblé autant en décalage. On pouvait trouver des excuses pour les fonds dessinés et les aspects irréels de la mise en scène de Pas de printemps pour Marnie, mais ici, le tournage exclusivement en studio fait avant tout et simplement daté. Le long-métrage n’a pas été bien accueilli à l’époque et même s’il reste intéressant aujourd’hui comme un témoignage de la fin d’une ère, ce n’est certainement pas la meilleure réussite d’Alfred Hitchcock.