Robin des Bois, héros hors la loi par excellence, symbole du défenseur des faibles contre les puissants, icône moderne du pourfendeur de la tyrannie. Bref, un personnage fort sympathique et qui a dépassé largement le cadre du mythe britannique médiéval. Ridley Scott le prouve avec son Robin des Bois, mais le résultat n’est pas tellement passionnant. Le réalisateur se répète et nous propose une épopée historique à la crédibilité douteuse. On ne s’ennuie pas vraiment, mais le spectacle peine à intéresser…
Ridley Scott aurait pu nous raconter le mythe Robin des Bois, nous montrer l’archer voler les riches propriétaires anglais ou l’Église pour redonner tout ça aux pauvres. Mais Ridley Scott est malin et choisit un autre angle qui ne manque pas de surprendre le spectateur qui, ayant vu la bande-annonce, ne s’attend pas du tout à cela. Robin des Bois ne raconte pas l’histoire de Robin des Bois, mais il raconte comment Robin Longstride, archer au service de sa majesté Richard Cœur de Lion (le fameux), est devenu Robin des Bois. C’est d’ailleurs bien simple, le film ne montre qu’une seule attaque dans les bois, alors que la majeure partie de la bobine est consacrée à sa vie d’archer anglais puis de gentilhomme prêt à tout pour bouter le François hors de l’île. Cette idée étonne, à tel point que l’on peut se demander à plusieurs reprises quand, enfin, Robin des Bois va arriver. Mais passée la surprise, il faut bien reconnaître que Ridley Scott a sans doute fait le bon choix : cet angle nouveau rafraichit un mythe déjà très exploité.
Si Robin des Bois ne parle pas de Robin des Bois, les sujets abordés par ailleurs sont nombreux. Le film ouvre en plein champ de bataille, alors que les troupes de Richard Cœur de Lion assiègent la dernière place forte française à encore résister. Le combat est difficile, mais tourne finalement à l’avantage des Anglais quand le roi est touché mortellement par une flèche. Robin et ses fidèles compagnons, lassés par de nombreuses années de guerres — ils ont participé aux Croisades, entre autres — prennent aussitôt la poudre d’escampette et récupèrent, chemin faisant, la couronne du roi. Robin usurpe alors l’identité d’un noble de Nottingham mort en France et il finit d’ailleurs par conclure avec Lady Marianne, veuve de ce dernier. En parallèle de l’idylle amoureuse, on suit un roi (Jean, frère du Cœur de Lion) novice et maladroit qui envoie le vil Godefroy lever les impôts dans le nord du pays alors qu’il travaille en fait pour les Français.
On le voit, le dernier film de Ridley Scott est très complet. Trop, peut-être, même si en soi l’idée de traiter de thématiques purement politiques n’est pas déplaisante, bien au contraire. Robin des Bois présente ainsi la cour anglaise, avec ses combines et ses luttes internes. On voit ainsi la Reine mère convaincre sa bru de convaincre son fils, on voit les nobles lutter pour le pouvoir. Plus intéressant encore, le film offre un aperçu des Royaumes à l’ancienne, avant la constitution d’un État moderne et fort, à une époque où les nobles locaux étaient très puissants et pouvaient imposer au Roi leur volonté puisque ce dernier avait finalement surtout besoin des premiers, et non l’inverse. La Grande-Bretagne est une île connue pour ses marges septentrionales difficilement maîtrisables, autant pour l’Angleterre que pour l’Irlande d’ailleurs. On voit ainsi les Barons du Nord se liguer contre le pouvoir royal et marcher vers Londres jusqu’à l’invasion française qui rappelle que rien ne vaut une bonne guerre pour construire une Nation. Le film évoque aussi la Magna Carta, document qui limite les droits du Roi ((Enfin, qui a tenté de limiter les pouvoirs du Roi, ne faisons pas de 1215 un 1789 avant l’heure, quand même.)) et assure à tous ses sujets une justice équitable (on est, rappelons-le, en 1215).
Tout ceci est fort intéressant et aurait pu apporter au film un contexte politico-historique bienvenu. Malheureusement, ce serait oublier que Robin Hood n’est qu’un mythe et Robin des Bois est finalement dans un entre-deux qui ne lui convient pas vraiment. On a d’un côté un aspect historique totalement assumé par le réalisateur et qui rappelle fortement son travail sur des films comme Gladiator ou Kingdom of Heaven. D’ailleurs, la bataille qui ouvre ce film rappelle furieusement celle qui ouvrait Gladiator, à quelques détails technologiques près. Les combats sont impressionnants et ouvrent et referment le film tout en lui offrant du rythme. C’est efficace, mais comme toujours totalement exagéré. Le Moyen-Âge a inspiré l’imaginaire heroïc-fantasy et ça n’est sans doute pas totalement une coïncidence si l’on retrouve aussi des plans du Seigneur des Anneaux dans ce Robin des Bois. Sauf qu’il s’agit en l’occurrence de fantastique et nullement de réalité historique : comment imaginer des armées aussi monstrueuses à une époque où les pays comptaient une poignée de millions d’habitants (même si le XIIIe siècle constitue une sorte d’apogée après plusieurs siècles de croissance démographique) ? Le summum est évidemment le débarquement français sur les côtes anglaises, l’exact inverse du débarquement normand au point que les barges de débarquement ont sans doute été récupérées sur le tournage de Il faut sauver le soldat Ryan.
À l’image de cette scène de débarquement surréaliste, Robin des Bois multiplie les anachronismes en tout genre. Ils ne concernent pas vraiment la technique, la reconstitution étant de grande qualité malgré les exagérations d’usage, mais plutôt les messages modernes donnés aux actions des personnages. Le plus flagrant concerne évidemment Robin, constitué d’emblée par un carton héros défenseur des gentils pauvres contre les méchants riches. On assène immédiatement le message au spectateur et ce dernier n’aura d’autres choix que de s’y plier. Quand on apprend finalement que c’est le père de Robin (un modeste artisan, forcément) qui a initié le mouvement de résistance et rédigé la fameuse charte, on hésite à en rire. La révolution bolchévique n’a jamais été aussi proche que quand Robin fait son discours sur le champ de bataille, un discours vibrant en faveur de la Liberté, la Justice et tout ça ((Avec une très belle image dans l’esprit, pour le peuple, sa maison est son propre château. C’est très bô.)). C’est assez ridicule et cela décrédibilise totalement la piste politique que semblait pourtant suivre le film. Le comble est sans doute atteint avec la communauté post-soixante-huitarde qui conclut le film, au ridicule manifestement assumé… Heureusement que le film s’arrête à ce moment précis.
Dès lors, que reste-t-il à Robin des Bois ? Une épopée comme Ridley Scott sait bien les faire, et comme il a déjà d’ailleurs fait à plusieurs reprises. Ce film ressemble souvent à un patchwork de ses travaux précédents, et je veux bien sûr ici penser à Gladiator et Kingdom of Heaven. On a donc droit aux batailles meurtrières, aux grandes chevauchées dans la plaine, au siège de château (avec huile bouillante, s’il vous plait) le tout étant accompagné de l’infernale musique de circonstance. Je ne comprends pas qu’un blockbuster épique ne puisse se penser qu’avec une musique vaguement classique et vaguement martiale, avec des chœurs pour bien signaler les moments émouvants. Ça n’est jamais franchement pénible à regarder, ça se laisse regarder d’un œil distrait surtout au cœur du film où les combats se raréfient pour laisser place à une histoire d’amour bien peu palpitante notamment parce qu’elle est comme sur des rails et ne laisse place à aucune forme de suspense. Russel Crowe est toujours là et fait toujours le même rôle, tout comme le vil Mark Strong qui semble n’être capable de jouer que des rôles de méchants. Tout ceci bien filmé, certes, mais n’est-ce pas le minimum syndical quand on s’appelle Ridley Scott ?
Ridley Scott avait de bonnes idées avec Robin des Bois. Se concentrer sur la formation du mythe est certainement la meilleure, mais les implications politiques n’étaient pas bêtes en soi. Malheureusement, il n’a pas oublié que son film à grand spectacle devait ratisser large et le résultat est beaucoup plus proche du blockbuster vite oublié que de la fresque historico-politique qui aurait été, à mon sens, bien plus intéressante. Ça n’est pas mauvais — on parle de Ridley Scott quand même —, mais ça n’est pas bon non plus et le film paraît assez long. Sans doute parce que l’on a déjà vu toutes ces images avant, chez le même réalisateur d’ailleurs. Le blockbuster épique gagnerait à innover un peu…
Avis également mitigé d’Alexandre, même s’il est globalement plus satisfait par le film que moi ((Il cite aussi judicieusement un critique des Inrocks qui voit en Lady Marianne une Jeanne d’Arc inversée qui complète le débarquement inversé. C’est bien vu…)). Les avis sont d’ailleurs apparemment plus positifs (même si peu nombreux, tous les blogueurs sont manifestement occupés à Cannes) : Cinemateaser et Excessif saluent ainsi la relecture du mythe. Même la presse papier a apprécié que ce soit pour les Inrockuptibles ou chez Télérama. Décidément, je ne devais pas être d’humeur ce soir…