Rogue One : A Star Wars Story, Gareth Edwards

En vendant finalement à Walt Disney, George Lucas n’a pas seulement cédé la saga Star Wars pour terminer son plan original en neuf films. Il a aussi vendu un univers entier et sans doute l’un des univers de science-fiction les plus développés qui soient. Le nouveau propriétaire a bien décidé d’exploiter au maximum cette licence et on peut compter sur un film tous les ans. Il y a douze mois, c’est J.J. Abrams qui relançait la saga avec Star Wars, Épisode VII : Le Réveil de la Force, un volet très classique, peut-être même trop classique, en tout cas parfaitement dans la lignée de ce que l’on connaissait. Cette année, la saga est mise temporairement de côté en attendant l’épisode VIII prévu pour la fin de l’année 2017. Avec Rogue One : A Star Wars Story, Gareth Edwards signe le premier film dans l’univers, mais pas directement dans la saga, même s’il est très lié à la trilogie initiale. Cette préquelle qui se déroule juste avant l’épisode IV est le premier d’une série de trois films à côté, des spinoffs dans le jargon hollywoodien. Un pari risqué, pour un premier volet convaincant. L’univers reste totalement familier et les clins d’œil appuyés rappellent régulièrement que l’on est bien devant un film qui appartient à la galaxie Star Wars, mais ce sont des personnages le plus souvent nouveaux, des planètes que l’on ne connaît pas, une histoire nouvelle. Gareth Edwards s’en sort bien avec ce film nettement plus sombre que la saga, alors que la guerre fait rage et que le nouvel espoir n’est pas encore apparu. Rogue One : A Star Wars Story prouve que l’univers riche mérite plus qu’une trilogie additionnelle et cette première variation donne envie d’en voir d’autres !

On s’attend à la musique si connue de John Williams pour lancer ce nouveau film Star Wars. On s’attend à l’introduction mythique avec ses lettres jaunes qui défilent sur le fond étoilé pour nous donner un contexte1. Bref, on s’attend à un nouvel épisode de la saga… mais Gareth Edwards n’est pas là pour ça et il le fait savoir. Il introduit son film avec un bref passage dans l’espace, mais nous plonge directement en pleine action comme George Lucas aimait le faire, mais cette fois sans contexte. C’est d’ailleurs l’une des meilleures idées de Rogue One : A Star Wars Story et si vous avez vu le film sans rien savoir à son sujet la première fois, vous avez pu découvrir un univers très familier, mais dont on ne nous dit rien. Il n’y a pas de date, pas de point de repère dans la saga, uniquement un vaisseau qui ressemble furieusement à ceux de la trilogie originale et une esthétique similaire. Les vêtements, les interfaces très cubiques… on sent instinctivement que l’on est plus proche de la trilogie (épisodes IV à VI) que de la prélogie (épisodes I à III) et quand l’intrigue se met en place, on finit par en avoir confirmation. Mais pendant quelques minutes, le scénario se contente de nous montrer une séquence sans la situer précisément et c’est une excellente chose. On se concentre sur les personnages, sur cette famille manifestement cachée sur une planète isolée et que l’Empire menace à nouveau. Sur cette fillette qui part se cacher et que l’on retrouve bien des années plus tard, quand elle est jeune femme. Petit à petit, on comprend que Rogue One : A Star Wars Story se concentre sur plus de deux heures sur un élément clé dans la saga, le vol des plans de l’Étoile noire. C’était évacué en quelques lignes dans les explications de Star Wars, Épisode IV : Un nouvel espoir et ce long-métrage répond au fond à une question très simple : comment et par qui ces plans ont-ils été volés ?

Même s’il n’appartient pas à la saga principale, Rogue One : A Star Wars Story n’en est pas très éloigné pour autant et il s’apparente presque à un épisode trois et demi. Son objectif n’est pas de combler le vide entre l’épisode III et le IV, mais bien de s’attarder sur un point bien précis dans la saga, le vol des plans de l’Étoile Noire construite par l’Empire et capable de détruire une planète entière. Ce spinoff fonctionne presque en parallèle des évènements de la trilogie originale et il croise souvent la route de ses personnages. Gareth Edwards lance ainsi plusieurs clins d’œil pas vraiment discrets à l’œuvre de George Lucas, par exemple en montrant dans l’un des plans C3PO et R2D2 en pleine discussion. Et naturellement, il reprend aussi quelques personnages importants dans Star Wars, au premier rang desquels Dark Vador, qui joue un rôle certes mineur, mais néanmoins notable. D’autres personnages de l’épisode IV ont aussi retrouvé leur rôle par la magie des images de synthèse : on aperçoit la princesse Leïa, mais c’est surtout le général Tarkin qui est présent régulièrement à l’écran. Au-delà des personnages, on retrouve aussi tout ce que les fans connaissaient par cœur et apprécieront sans doute, l’arsenal de l’Empire et des Rebelles et les combats qui rappellent immanquablement ceux de la première trilogie. À la neige de Star Wars, Épisode V : L’Empire contre-attaque répondent ici les plages, mais on retrouve sinon les mêmes quadripodes TB-TT. Pareil dans l’espace, où les fameux X-Wings s’opposent au TIE. On est en terrain connu, sans pour autant être trop proche des originaux comme on pouvait le reprocher l’an dernier pour le film de J.J. Abrams. Au contraire, Gareth Edwards s’en sort plutôt bien à cet égard et il parvient à créer des personnages différents et intéressants. Mention spéciale à l’héroïne, Jyn Erso, incarnée par une Felicity Jones parfaitement juste. Ce n’est pas une princesse, plutôt une anti-héroïne qui s’est trouvée au mauvais endroit au mauvais moment, mais qui fait ce qu’il faut. Son incarnation est très bonne et c’est un plaisir d’explorer d’autres voies narratives, notamment dans sa relation compliquée avec son père.

Cette familiarité distante est bien trouvée, mais elle bloque aussi Rogue One : A Star Wars Story à proximité de la trilogie originale, alors qu’un spinoff pourrait partir vers tout autre chose. Walt Disney essaie probablement de ménager la chèvre et le choux, d’exploiter sa licence pour proposer autre chose, tout en offrant aux fans des points de repère pour ne pas les dépayser totalement. Et pourtant, plus encore peut-être que dans les sept films qui composent actuellement la saga, le long-métrage de Gareth Edwards montre à quel point l’univers est riche et offre des possibilités. On découvre de nombreuses planètes pour la première fois et des microcosmes entiers qui seraient probablement suffisants pour initier de nouvelles histoires, sans forcément nouer de liens avec l’Empire et les Rebelles. Il y aurait beaucoup à faire et on peut espérer que le propriétaire actuel de la licence ait le courage de s’éloigner encore davantage de la saga initiée par George Lucas, mais à défaut, Rogue One : A Star Wars Story prouve aussi que l’on peut varier sur le mode de la narration. Même si son intrigue se déploie juste avant l’épisode IV, l’ambiance n’est pas du tout la même et loin de l’insouciance du conte, on est ici dans une sale guerre bien réelle. Les morts sont omniprésents, y compris et même surtout dans le camp des gentils… qui n’est pas si bien défini lui-même. La noirceur est très tendance depuis quelques années à Hollywood et la saga Star Wars n’y échappe pas. Force est de constater que le réalisateur n’applique pas une couche de noir gratuitement, mais embrasse bien au contraire une réalité souvent bien sombre. Sur ce point, c’est un sans faute : les premiers essais de l’Étoile de la Mort sont bien plus impressionnants que dans l’épisode IV où une planète entière disparaissait en un clin d’œil. Ici, on est dans le domaine de la bombe nucléaire et les dommages sont à la fois immenses et terrifiants. Les Rebelles n’ont pas tout à fait le beau rôle et Gareth Edwards laisse une belle place aux doutes et aux trahisons avec le personnage de Saw Gerrara, passionnant lui aussi, tout en montrant que les deux camps commettent des atrocités. Sans compter que l’un des personnages clé est un assassin, un sale type bien différent du sympathique contrebandier des premiers films. Même l’humour si typique dans la saga est quasiment absent, et quand il ressort sous les traits d’un droïde2, c’est sous la forme d’un humour noir, cynique et même mortifère par moments.

Rogue One : A Star Wars Story n’est pas parfait, il se focalise peut-être un petit peu trop sur l’action et son intrigue trahit par moment sa simplicité, avec quelques séquences qui tiennent plus du remplissage et des personnages secondaires un petit peu inutiles3. Quelques défauts, donc, mais Gareth Edwards est parvenu à trouver sa voie dans un univers d’une richesse inouïe, tout en imposant un autre style et surtout une noirceur inégalée. La guerre des étoiles est extrêmement meurtrière, mais George Lucas tenait le conflit à bonne distance et il évitait de montrer ses personnages empêtrés dans la complexité de n’importe quel conflit humain. Rogue One : A Star Wars Story montre au contraire des hommes et des femmes ordinaires, en combat jusqu’à la mort pour un idéal qui n’est souvent qu’un prétexte meurtrier. C’est la force de ce premier spinoff, présenter la réalité brutale d’une sale guerre où il n’y a pas toujours de victoire bien nette. Malgré quelques défauts donc, Gareth Edwards signe une œuvre passionnante et spectaculaire, à ne pas rater.


  1. Le titre du film apparaît brièvement en lettre jaunes, mais creuses, et sans texte. Une manière de lancer un clin d’œil de plus à la saga, sans faire exactement la même chose. C’est une idée récurrente, on y reviendra, mais on peut aussi noter que c’est le cas sur le plan de la mise en scène. Gareth Edwards ne reprend pas, ou très peu, les éléments de langage visuel imposés par George Lucas, comme les transitions en mouvement d’un plan à l’autre. 
  2. Ce droïde ennemi reconfiguré par les Rebelles est à la fois un très bon personnage et l’un des défauts du film. D’un côté, c’est une excellente idée d’utiliser ce robot qui sait tout et doté d’un humour noir grinçant et d’une conscience très cynique. Mais en même temps, il ne correspond pas tout à fait à l’univers de Star Wars où les robots ne parlent pas (R2D2 ou BB8) ou alors agissent de façon nettement plus robotique (les droïdes de la prélogie, C3PO). Ce robot est un petit peu trop conscient et fluide pour correspondre à ceux que l’on voit dans la trilogie. 
  3. Tant que l’on en est aux reproches, John Williams n’est plus aux commandes et cela s’entend. Michael Giacchino fait un très bon travail, mais il ne trouve aucun thème vraiment marquant et les seuls moments que l’on retient dans la bande-originale, ce sont ceux qui reprennent les compositions de John Williams.