Le Roi, David Michôd

David Michôd change à nouveau de genre. War Machine démontait l’effort de guerre américain en Afghanistan, Le Roi nous plonge au XVe siècle, au cœur de la Guerre de cent ans entre l’Angleterre et la France. Le roi du titre, c’est Henri V d’Angleterre, celui qui a obtenu la victoire lors de la célèbre bataille d’Azincourt en Normandie, mais ce n’est pas vraiment tout cela qui intéresse le cinéaste. Adapté de plusieurs pièces de William Shakespeare sur la monarchie anglaise de l’époque, ce long-métrage surprend par son ambiance sombre, sa lenteur et son rejet systématique de tout héroïsme. Loin d’être le blockbuster faussement spectaculaire que l’on pouvait attendre, Le Roi est un drame historique passionnant.

Comme pour mieux éloigner le risque de signer un biopic, David Michôd élimine presque complètement toute introduction historique. Son film commence en précisant que l’on est en Angleterre quelque part au XVe siècle, mais c’est absolument tout. Si vous n’avez pas quelques notions d’histoire, vous ne saurez jamais que le roi d’alors est Henri IV, le premier roi de la maison de Lancastre après avoir pris le pouvoir aux mains de Richard II. Vous ne saurez pas non plus que la Guerre de Cent ans fait rage depuis dizaines d’années entre la France et l’Angleterre. Vous ne comprendrez pas forcément pourquoi Henri IV est en conflit avec les Gallois et à peu près tout le monde dans le pays. Ni pourquoi les réactions du Dauphin français sont considérées comme des actes de guerre par la cour anglaise. Le scénario n’essaie même pas d’expliquer tout cela, mais au fond, ce n’est pas très grave. Le Roi n’est pas un biopic, comme en témoignent d’ailleurs les libertés prises avec la réalité historique telle qu’on croit la connaître, en tout cas telle que Shakespeare l’a rapportée1. On sent très bien que le projet s’attache avant tout à montrer comment Hal, le fils du aîné du roi d’Angleterre, est resté éloigné du trône jusqu’au moment où il n’a pas eu le choix de monter dessus. Puis comment on devient un souverain par la force des choses, et surtout comment ce rôle peut être ingrat et solitaire.

Ce n’est pas un programme très joyeux, et Le Roi embrasse sa noirceur avec force. La photographie, déjà, ne contient quasiment aucune couleur et sur certaines scènes, on est presque sur du noir et blanc. Cette image désaturée n’est pas très originale et elle sert souvent à mettre en avant une volonté de faire réaliste, sans se soucier du véritable réalisme de ce qui est raconté derrière. Ce n’est pas aussi artificiel ici, et David Michôd accorde la photographie sur l’esprit de son film. Le héroïsme n’a jamais sa place ici, le roi n’est jamais valorisé, que ce soit pour Henri IV ou son successeur, et la guerre est toujours présentée de manière négative. Avant de partir en France, l’histoire se concentre sur la succession assez pitoyable. Le roi désigne le frère cadet de Hal comme son successeur, mais ce dernier est si persuadé qu’il doit prouver sa grandeur qu’il meurt bêtement sur un champ de bataille. À la mort du roi, c’est donc Hal qui devient Henri V alors qu’il n’avait rien demandé. Il essaie de mener une politique apaisée en calmant les dissensions internes, mais la réalité des conflits entre son pays et la France revient vite et il faut bientôt traverser la Manche à nouveau. Jusque-là, le rythme est resté assez lent, le film modeste. Ce n’était pas une manière de mettre en valeur une suite spectaculaire, bien au contraire, c’est le rythme choisi par le réalisateur. Même en pleine bataille d’Azincourt, Le Roi refuse obstinément l’héroïsme2 et le film présente un combat dans la boue plus ridicule qu’autre chose. C’est plus proche de la réalité historique et c’est aussi une bonne manière de montrer à quel point tout cela n’a pas de sens. C’est sur cette idée que se concentre finalement David Michôd, avec une fin assez cruelle et qui enterre encore plus sûrement toute idée d’héroïsme.

Le choix de Thimothée Chalamet pour incarner Henri V avait de quoi surprendre sur le papier, mais il est l’acteur idéal pour incarner ce roi qui ne voulait pas être roi. Son jeu est impeccable pour révéler la solitude de cette position et le jeune acteur est parfaitement à l’aise dans ce nouveau rôle. Le Roi est une œuvre qui parvient à surprendre à plusieurs reprises, par ses multiples ellipses qui tiennent les explications historiques et le biopic éloignés, par son refus obstiné de l’héroïsme et des grands moments, par sa longueur et son rythme lent. David Michôd ne séduira sans doute pas tout le monde par ces choix, mais vous serez récompensés si vous acceptez de vous laisser porter.


  1. Deux grosses différences entre Le Roi et les pièces de théâtre : le rôle du frère de Hal qui devait récupérer la couronne est totalement nouveau dans le film, et Sir John est totalement oublié et banni dès lors que le roi accède au trône. 
  2. À part une fois ou deux sur la bande-originale, qui semble oublier l’ambiance du film et lance des envolées lyriques qu’on attendrait dans un blockbuster traditionnel. Un peu dommage, même si cela reste fort heureusement limité.