La Roue du Temps, Rafe Judkins (Prime Video)

La Roue du temps, c’est d’abord une grande saga littéraire avec pas moins de 14 volumes qui constituent l’un des univers de heroïc-fantasy les plus riches de ces dernières années. Face au succès du genre au cinéma et à la télévision, il était évident que les romans de Robert Jordan allaient passer à leur tour à la case adaptation et c’est Prime Video qui s’en est chargé. La première saison se consacre en gros au premier roman, L’Œil du Monde, si bien qu’il y a potentiellement de quoi lancer une immense série de quatorze saisons. En attendant de savoir si Rafe Judkins pourra tenir la distance si longtemps, ces dix premiers épisodes restent sur une note mitigée. D’un côté, la profondeur de l’univers est latente et les personnages pourraient être intéressants. De l’autre, l’hommage constant à J.R.R. Tolkien est trop marqué, les effets spéciaux sont ratés et le manichéisme un peu trop enfantin. La Roue du temps pourrait devenir une bonne série, mais on n’y est pas encore.

L’inspiration du Seigneur des Anneaux est évidente et Robert Jordan n’essaie même pas de la cacher dans ce premier roman qui débute au sein d’un petit village, calme avant la tempête. Pas d’anneau pour venir rompre la tranquillité des lieux, mais l’arrivée soudaine de trollocs, des créatures à mi-chemin entre l’homme et la bête, qui détruisent le village et s’en prennent en particulier à quelques individus. Moraine, une sorte de magicienne, emmène avec elle quatre jeunes du village qui étaient la cible des créatures et commence une quête qui se termine non pas dans le Mordor, mais un lieu sans vie tout de même, contrôlé par le Ténébreux. C’est la guerre du bien contre le mal et même littéralement de la lumière contre l’obscurité, dans un univers peuplé de créatures mystiques et où la magie domine. Si vous avez déjà lu l’œuvre de Tolkien ou vu les adaptations de Peter Jackson, vous serez en terrain connu et c’est le premier défaut de la série créée par Prime Video. Que le roman s’inspire d’une œuvre précédente, c’est une chose, mais que son adaptation s’inspire elle aussi d’une œuvre précédente, cela commence à faire beaucoup. Il y a des plans qui semblent des copies parfaites de ceux de l’adaptation cinématographique du Seigneur des Anneaux et chaque décor semble tiré tout droit de la Nouvelle-Zélande réimaginée par le cinéaste. Les grottes de la Moria trouvent ici leur écho dans le passage entre deux portails, tandis que la citadelle à la fin est une copie carbone du gouffre de Helm. L’inspiration va si loin que l’on retrouve même des idées et détails : l’ombre qui suit les héros dans le premier, les femmes et les enfants qui fuient dans le second. Sans même parler des clones des Nazgûl, ces êtres maléfiques sans yeux et sous capuche qui dirigent les trollocs et qui sont représentés exactement comme dans les films de Peter Jackson. Ce manque d’imagination est gênant, d’autant que la version proposée par Prime Video est systématiquement inférieure.

La faute en premier lieu à des effets spéciaux qui ne sont pas à la hauteur de l’ampleur de l’univers décrit. La Roue du temps multiplie les lieux et nous fait traverser des pays entiers, la série a ainsi nécessité des dizaines de décors différents. Tant que l’on en reste aux plans rapprochés, cela passe correctement, mais les réalisateurs ont eu la mauvaise idée de multiplier les plans larges qui coincent vite. Même face à la trilogie de Peter Jackson qui a dépassé son vingtième anniversaire, on a l’impression de voir une œuvre datée, avec des décors qui ressemble à des décors peints à l’ancienne, mais en version numérique. Ce n’est pas très heureux et il y a beaucoup de séquences ainsi. Il y a aussi des choix artistiques malheureux, à l’image de ces arbres tous réguliers dans la forêt maudite vers la fin, ils enlèvent tout réalisme à la séquence. La gestion de la magie en lignes fines est bien trouvée en revanche, même si l’opposition entre noir et blanc qui se retrouve ici encore manque de subtilité. En matière d’effets spéciaux ratés, il faut donner la palme aux trollocs, censés être des créatures entre les humains et les animaux, alors que l’on voit les humains sous des costumes de plastique. C’est gênant de voir cela dans une création qui a bénéficié manifestement d’un beau budget et on peut espérer que la suite sera mieux soignée, mais à l’issue de cette première saison, ce n’est clairement pas le point fort de La Roue du temps. Dommage aussi que la complexité de l’univers imaginé par Robert Jordan soit aussi caricaturale ici, avec une opposition un peu bête entre deux camps radicalement opposés, sans nuance. Pourtant, on voit entre les scènes qu’il y aurait matière à faire plus complexe : les tensions internes aux Aes Sedai sont intéressantes et leurs motivations pas aussi claires qu’on ne pourrait le croire. De même, l’idée que le dragon réincarné puisse être positif ou négatif est bonne, mais elle n’est jamais exploitée dans cette saison.

Il fallait bien poser les bases toutefois et on peut accorder à Rafe Judkins le bénéfice du doute. Adapter une œuvre aussi ample et complexe demande forcément des arbitrages et peut-être que cette première saison n’était qu’une mise en bouche avant d’entrer dans le cœur de l’univers par la suite. Les bases sont là, le casting plus ouvert et la place proéminente accordée aux femmes sont autant de bons points : on pourrait avoir quelque chose de bien mieux. On le souhaite, mais la deuxième saison sera alors déterminante. Si La Roue du temps ne corrige pas le tir autant sur la forme que le fond, la dernière création de Prime Video se fera rapidement oublier…

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