Mini-série composée de huit épisodes, Sharp Objects pourrait tout aussi bien être un très long film de près de huit heures. Créée par Marti Noxon, cette adaptation d’un roman rédigé par Gillian Flynn a été réalisée entièrement par Jean-Marc Vallée et le cinéaste canadien apporte son univers et une cohérence rare dans une série. C’est en partie la clé de la réussite pour la création de HBO, mais il ne faudrait pas oublier le casting exceptionnel, une ambiance glauque à souhait et une intrigue policière qui sait maintenir une bonne dose de suspense jusqu’à la toute fin. D’ailleurs, mieux vaut regarder Sharp Objects en sachant le moins possible à son sujet, elle n’en sera que meilleure. Mais à condition de supporter son caractère extrêmement sordide, c’est indéniablement une série à ne rater sous aucun prétexte.
Camille Preaker, journaliste à Saint-Louis, est envoyée par son patron dans sa ville natale de Wind Gap, dans le Missouri, où une jeune fille a été tuée récemment. Elle n’a pas envie d’y aller et Sharp Objects montre dès le départ qu’elle souffre encore d’un traumatisme issu de son enfance et qui ne la quitte pas depuis. Elle a peur de retrouver sa vie d’antan, sa mère qui ne l’a jamais vraiment aimée et cette toute petite ville de province qu’elle a quitté dès qu’elle en a eu l’occasion. Ses premiers pas sont titubants, et pas seulement parce qu’elle est alcoolique, elle a du mal à cacher sa souffrance et elle ne parvient pas à trouver sa place dans cette communauté qui rejette celle qui est partie à la première occasion. Au milieu de cette mise en place compliquée, un deuxième meurtre a lieu, une deuxième fille et même si le meurtre n’a rien à voir, on suspecte immédiatement un serial-killer. La police locale aidée d’un détective venu de la ville essaie de trouver le meurtrier, alors que les ragots se lâchent sur deux suspects que tout semble désigner. En parallèle, la jeune journaliste aimerait signer enfin le grand article digne du Pulitzer que l’on attend d’elle, mais elle patauge au sein de cette famille qui la rejette en bloc, à l’exception d’Amma, sa demi-sœur très sage en apparence. La série de Marti Noxon se met ainsi rapidement en place, mais ce n’est pas une simple enquête policière comme on en a vu tant. Dès le départ, Sharp Objects s’impose comme une série d’ambiance qui rappelle d’ailleurs fortement une autre création de HBO, l’excellent True Detective qui partageait la même ambiance poisseuse du sud des États-Unis. Jean-Marc Vallée est parvenu à rendre à la perfection la répulsion ressentie par son héroïne face à sa ville natale. Tout est parfaitement déplaisant, le climat que l’on imagine torride et humide à souhait, les habitants et leurs préjugés, les traditions qui célèbrent le pire de l’histoire américaine, l’unique bar miteux qui fait office de seule activité pour toute la ville… Comme Camille, le spectateur ressent vite une envie pressante de fuir au plus vite, et ce n’est même pas encore le pire.
Le pire dans Sharp Objects, ce n’est pas la ville ou ses habitants, c’est plutôt la villa familiale et la mère de Camille, Adora. La famille est propriétaire de l’élevage de porc du coin, la seule activité économique digne de ce nom à Wind Gap et la source d’une belle fortune par le passé, mais qui a encore de beaux restes. La propriété est immense, la maison typique de ce coin des États-Unis est splendide et parfaitement entretenue, la famille dispose par ailleurs d’une servante à domicile depuis toujours et c’est aussi elle qui organise tous les ans un festival pour commémorer un fait historique pendant la Guerre de Sécession. Adora est la notable du coin, celle que le shérif informe en premier, avant même ses propres collègues souvent. Celle que l’on consulte en toutes circonstances, celle aussi qui aide généreusement les habitants en difficulté et notamment les deux filles tuées coup sur coup. C’est aussi une femme endeuillée depuis la mort de la sœur de Camille, bien des années auparavant, même si cette disparition hante la série et notamment son héroïne qui ne parvient pas à faire son deuil. Adora est beaucoup de choses, mais ce qui se voit le plus dans la série, c’est son rôle de mère, à la fois sévère et même dure avec Camille, et aimante et sur-protectrice avec Amma, sa dernière. C’est un personnage riche et qui s’enrichit constamment au fil de la saison, et il fallait une actrice de talent pour explorer toute sa complexité sans tomber dans la caricature. Sharp Objects est bien tombé avec Patricia Clarkson, majestueuse et impeccable dans ce rôle qui semble avoir été écrit pour elle. Son rôle n’aurait pas le même impact sans la présence de Camille à ses côtés, une femme complètement détruite par son enfance et sa vie de jeune adulte. Alcoolique et psychologiquement extrêmement fragile, scarifiée sur tout le corps, c’est une femme également très difficile à représenter de manière juste, sans tomber dans la caricature facile. Amy Adams y arrive à la perfection, l’actrice est incroyablement crédible et on ressent ses émotions avec une précision rare. Le succès de la série créée par Marti Noxon leur doit certainement beaucoup.
Du casting à l’intrigue, en passant par la réalisation, tout est parfaitement mené dans cette série de HBO. Sharp Objects est une pépite, une réussite en tous points, à tel point que l’on pourrait avoir du mal à la regarder. Disons-le, ce n’est pas une histoire très joyeuse et la réalisation de Jean-Marc Vallée peut donner le cafard. Mieux vaut éviter de tout regarder d’une traite, même si c’est tentant, le suspense étant bien dosé, avec quelques révélations bien placées ici ou là. Sharp Objects pourrait vous déplaire précisément parce qu’elle est offre une plongée assez rude dans un univers déplaisant, mais c’est bien là, in fine, le signe de sa réussite. Ne passez pas à côté.