Le Silence des agneaux est le premier long-métrage au cinéma qui se consacre au personnage de Hannibal Lecter, mais le film de Jonathan Demme a été adapté du deuxième volet de la saga littéraire signée Thomas Harris. Plus étonnant encore, l’histoire n’est pas du tout centrée sur le cannibale le plus connu de l’histoire du cinéma : il apparaît même pas une demi-heure à l’écran et on suit surtout l’enquête menée par Clarice Starling, agent spéciale du FBI qui cherche un autre serial-killer. Mais même s’il n’est pas le héros, c’est bien Hannibal Lecter que l’on retient, et il faut dire que sa prestation glaçante reste l’une des plus fortes qui soient. Le Silence des agneaux est un thriller intense et brillamment composé, un classique qui ne vieillit pas.
Clarice Starling n’a pas encore terminé la formation du FBI, mais elle est déjà envoyée en mission pour interroger un serial-killer enfermé dans un asile psychiatrique depuis plusieurs années quand le film commence. Hannibal Lecter s’est fait une sacré réputation après avoir tué quatorze personnes et surtout les avoir mangées. Cet ancien psychiatre est aussi un professionnel extrêmement performant, qui est resté totalement opaque pour le FBI. Il refuse de répondre et il n’a pas son pareil pour troubler tous ceux qui viennent l’interroger en inversant les rôles. La future agente ne sait pas trop dans quoi elle s’engage en acceptant cette mission, mais elle y va quand même et la stratégie de son supérieur fonctionne : le psychopathe ne rejette pas la nouvelle venue et accepte même d’échanger. Le Silence des agneaux commence ainsi sur la collaboration des deux personnes, collaboration qui devient pressante quand le FBI se lance dans une course contre la montre pour retrouver une femme kidnappée par Buffalo Bill, un autre serial-killer qui dépèce ses victimes après les avoir tuées. Jonathan Demme construit son film en passant d’un tueur à l’autre, d’une enquête à l’autre, avant de les réunir quand on découvre que Hannibal connaît l’autre tueur. Le long-métrage avance ainsi comme un thriller, avec une course générale qui se termine par une scène d’une incroyable intensité, quand Clarice tombe au cours de son enquête sur la maison du meurtrier. Cette séquence dans le sous-sol de la maison est restée célèbre, et pour cause : elle est parfaitement construite pour créer le suspense nécessaire, et on n’en ressort pas indemne.
Malgré tout, on reste avant tout concentré sur un seul personnage et le fait qu’il ne soit pas au cœur de l’intrigue n’y change rien. Hannibal Lecter devrait être un personnage secondaire, mais il écrase Le Silence des agneaux de sa présence et de sa force psychologique et ce n’est pas pour rien que l’Académie des Oscars a salué le travail d’Anthony Hopkins en tant qu’acteur principal, et non secondaire. Dès que l’on croise le regard du tueur, dans sa cellule sombre au fond de l’établissement où il est retenu, on sent la puissance du personnage, sa perversité aussi. L’acteur a trouvé le ton exact pour apporter à son jeu toute la crédibilité nécessaire et on a beau savoir que l’on est au cinéma, on ne peut pas s’empêcher de sentir un frisson dans le dos quand on le voit pour la première fois. Plus tard, Jonathan Demme n’hésitera pas à montrer le cannibale en action, le visage ensanglanté après avoir mordu quelqu’un, mais ce n’est même pas ce qui est le plus fort. Il suffit à Anthony Hopkins d’un regard et de quelques mots prononcés avec cette voix empruntée, pour glacer le sang de quiconque… à commencer par celui de Clarice. Leurs échanges dans la prison sont extrêmement forts, renforcés par des plans très serrés qui forcent les spectateurs à entrer dans l’intimité des personnages. L’effroi de la jeune femme est sensible et on doit aussi saluer le travail de Jodie Foster, qui compose un rôle tout en fragilité, mais aussi avec de la vigueur. Après un tel affrontement, le reste paraît un petit peu fade et le deuxième serial-killer affiché dans Le Silence des agneaux peine à se mettre au niveau. Mais qu’importe, il n’en faut pas plus pour constituer une légende et sur ce point, Jonathan Demme a rempli son contrat à la perfection.
Un film peut-il tenir entièrement grâce à un personnage presque secondaire ? Avec Le Silence des agneaux, Jonathan Demme prouve que c’est possible et on retient plus son Hannibal Lecter que le reste de l’intrigue, quand bien même il s’agit d’un thriller intense et prenant. Mais comment lutter face à un tel monstre, à qui Anthony Hopkins a donné une épaisseur incroyable avec un jeu au fond très sobre ? Qu’importe au fond les raisons, le résultat est un film passionnant et qui reste toujours aussi puissant. On a vu des milliers de long-métrages sur des serial-killers, on en a vu un paquet qui sont beaucoup plus gores, mais on n’en a jamais vu d’aussi intense que celui-ci. Le Silence des agneaux n’a pas démérité sa réputation !