Silence, Martin Scorsese

En projet depuis près de trente ans, Silence est peut-être l’un des films les plus importants pour Martin Scorsese, en tout cas l’un de ceux qui ont passionné le plus le cinéaste. Il a découvert le roman japonais à l’origine du projet en 1988, à la sortie de La Dernière Tentation du Christ, ce qui n’est en rien un hasard. Dans la longue filmographie du réalisateur, la religion n’est jamais très loin et ce nouveau long-métrage l’aborde de front. En racontant la fin du catholicisme apporté au Japon par les Jésuites au XVe siècle du point de vue du dernier prêtre catholique, Silence n’est certainement pas une œuvre facile et légère. Pendant 2h40, Martin Scorsese embarque ses spectateurs dans un périple éprouvant et parfois passionnant, mais qui ne parvient pas à sortir d’un prosélytisme agaçant. Le résultat est sans doute trop long, mais aussi intense.

Sans perdre de temps, Martin Scorsese ouvre son film en montrant les persécutions réservées par le pouvoir japonais aux catholiques. On est au XVIIe siècle et la religion venue de l’Occident par le biais des Portugais n’est plus autorisée sur l’archipel. Près d’un siècle après l’arrivée des Jésuites et après la conversion de plusieurs dizaines de milliers de Japonais, le Bouddhisme est la seule religion autorisée et un inquisiteur sème la terreur dans la région de Nagasaki où les missionnaires ont eu le plus de succès. Les convertis sont forcés d’abjurer leur foi sous peine de mourir dans d’atroces souffrances et la première scène de Silence montre l’une des méthodes de torture avec de l’eau bouillante versée lentement sur les prêtres et leurs fidèles qui refusent l’apostasie. L’un de ces prêtres est le père Ferreira et le film ne montre pas s’il renonce à sa foi ou non, c’est d’ailleurs tout l’enjeu de ce qui suit. On découvre à la place le protagoniste principal, le père Rodrigues, accompagné du père Garupe. Ces deux Portugais ont été éduqués par Ferreira et ils veulent retourner au Japon pour savoir si, comme le dit la rumeur, il a renoncé à la foi ou si c’est un mensonge envoyé par l’État. Voilà le point de départ de Silence, le début d’un long et dangereux périple au sud du Japon, alors que les derniers chrétiens survivent tant bien que mal, cachés. Le scénario de Martin Scorsese suit les pas de Rodrigues en quête de son mentor et ce périple devient un voyage initiatique qui remet en cause sa foi. Cet homme encore jeune ne comprend pas pourquoi il n’a pas de signe plus fort de son dieu, pourquoi le silence est assourdissant face à ses prières. Quand il retrouve le père Ferreira, ce dernier, loin de renforcer sa foi, instille encore davantage de doute puisqu’il s’est lui-même converti au bouddhisme. Le jeune prêtre va-t-il se convertir lui aussi ? C’est tout l’enjeu pour les autorités et c’est ce parcours qui intéresse en priorité le cinéaste. Andrew Garfield est très bien dans le rôle principal et l’acteur gagne en profondeur et en maturité, même s’il peine un petit peu à convaincre dans ce rôle de prêtre portugais, la faute sans doute déjà au choix de la langue anglaise.

L’opposition entre deux religions est quelque chose d’assez commun dans l’histoire et malheureusement, cela s’est rarement mal passé. On connaît assez mal la christianisation japonaise de cette époque, mais Silence rappelle bien que la lutte contre cette nouvelle religion s’est terminée dans le sang. Les autorités faisaient tout pour traquer les prêtres et les forcer à abandonner leur foi, faire acte d’apostasie, notamment en marchant sur les représentations de Jésus ou de Marie. Un symbole très fort à cette époque, surtout pour les convertis japonais qui considéraient les objets religieux avec énormément de respect et même de crainte. Des croyants servaient souvent d’exemple et la cruauté n’avait alors aucune limite : pendaison à l’envers avec une entaille pour que la mort soit plus lente, crucifixion sur le rivage jusqu’à ce que mort s’ensuive, décapitations surprises, torture à l’eau bouillante… Martin Scorsese montre frontalement cette violence et surtout cette terreur et son long-métrage est indéniablement d’une intensité rare. Comment la foi peut-elle survivre dans ces conditions ? C’est la question que se pose le personnage principal quand il arrive sur place et on comprend aisément qu’il a sous-estimé la situation. Croire dans le Japon des années 1630, c’est renoncer à vivre et opter pour une survie permanente. Naturellement, le père Rodrigues doute énormément et ses questionnements sont certainement la partie la plus intéressante du film. Malheureusement, Silence a trop souvent tendance à tomber dans la caricature et même parfois dans le prosélytisme. L’œuvre originale adopte le point de vue d’un catholique, mais le long-métrage aurait considérablement gagné à adopter un positionnement moins caricatural pour le camp adverse. L’inquisiteur est un personnage un petit ridicule et surtout, le bouddhisme n’est qu’à peine esquissé le temps d’une scène, comme si cette foi ne méritait pas plus d’attention. Le plus gros problème naturellement, c’est que Martin Scorsese oublie totalement que les Portugais ont débarqué avec leur religion et ont voulu l’imposer par tous les moyens, y compris par la force en armant certains convertis. Cela n’excuse pas les horreurs commises par la suite contre les Catholiques, mais c’est un élément de perspective que Silence semble totalement oublier au profit d’un traitement beaucoup plus monolithique. C’est dommage et c’est encore pire avec la dernière image du long-métrage qui retire toute possibilité de douter sur le parcours du personnage principal. Pourquoi ne pas avoir laissé la question ouverte ? Un choix décevant, parce qu’il renforce ce sentiment de prosélytisme1.

Silence n’est pas un mauvais film, techniquement c’est même une excellente réalisation. Les paysages souvent embrumés sont magnifiques, la direction d’acteur est du meilleur niveau et même si le long-métrage aurait gagné à être plus court, il ne paraît jamais trop long. Martin Scorsese est un excellent réalisateur, il n’y a aucun doute à avoir de ce côté, c’est plutôt le scénario qui pose problème. Le roman original était écrit du point de vue de ce prêtre catholique, c’est donc normal que son adaptation suive également cet angle. Mais fallait-il en faire une œuvre aussi aveugle à l’absolutisme jésuite qui reniait largement la culture locale ? Fallait-il faire des catholiques des victimes et ridiculiser les bouddhistes ? Silence aurait été une œuvre plus subtile et mesurée, mais ce n’est pas la voie choisie par le cinéaste.


  1. Un sentiment que l’avant-première mondiale organisée au Vatican ne dissipe pas vraiment. Est-ce vraiment bon signe, quand l’Église catholique approuve de la sorte un film ?