Skins, Jamie Brittain et Bryan Elsley (Channel 4)

Énorme succès et véritable phénomène de société à sa sortie, Skins dresse le portrait de trois générations de lycéens à Bristol. La création d’E4, filiale de Channel 4, a surpris à l’époque par son ton très libre et sa peinture d’une adolescence constamment plongée dans l’alcool, les drogues et le sexe. À défaut d’être réaliste, la série a réussi à brasser des questions que l’on ne voyait pas souvent à l’écran, sur l’homosexualité, la religion ou encore le deuil. Jamie Brittain et Bryan Elsley signent au bout du compte une œuvre inégale, gonflée quitte à en faire trop et tomber dans le glauque forcé parfois, mais qui offre aussi de très beaux moments. Skins n’est pas parfaite, mais elle mérite d’être vue.

Les deux premières saisons de Skins se concentrent sur les deux dernières années d’une bande de lycéens de Bristol. Chaque épisode s’attache initialement à un personnage, même si le groupe n’est jamais loin, ces jeunes passant tout leur temps ensemble. Le tournage réalisé avec de petites caméras offrent par moment à la série des allures de documentaires, mais cette impression de réalisme disparaît vite, face au quotidien totalement incroyable de ces jeunes de 16 ou 17 ans. Ils ne passent quasiment jamais de temps à l’école ou à leurs études, ils font la fête presque tous les jours, boivent beaucoup, testent toutes les drogues qui leur passent sous la main et baisent dès qu’ils le peuvent. Dans la première saison, la virginité de Syd est un problème à résoudre et tous les personnages s’adonnent fréquemment au sexe, souvent entre eux d’ailleurs. Ajoutez à cela une absence remarquable d’adultes et vous obtenez un mix assez improbable sous le vernis d’hyper réalisme qui ressort notamment de la mise en scène. Mais surtout, Jamie Brittain et Bryan Elsley ne veulent pas d’une série d’adolescents propres sur eux, ils font au contraire tout pour s’éloigner du modèle policé qui aurait été la norme jusque-là. Leurs personnages sont au contraires sales et ils se comportent salement, laissant des maisons totalement saccagées ou encore dormant dans leur propre vomi. C’est assez glauque, et il y a clairement un cap à franchir dans la première saison, comme si les créateurs avaient été si obsédés par leur désir de créer des personnages trash qu’ils en avaient oublié qu’ils devaient aussi raconter une histoire. Persévérez, la suite vaut le détour, avec un scénario qui ose suivre des pistes plus sombres qu’on l’aurait imaginé. La mort d’un parent est un premier choc assez marquant, mais celle d’un personnage principal par la suite est encore plus osé et intéressant, par ce qu’il montre du traitement du deuil chez des adolescents. Avec Maxxie et Anwar, les scénaristes travaillent aussi sur le question de l’homosexualité et de son rejet par la religion, islamique en l’occurrence, le temps d’un arc narratif passionnant, quoi qu’un petit peu court par rapport au reste. On ne peut pas reprocher à Skins de ne pas aborder les sujets qui fâchent en tout cas et la série de Channel 4 ne recule pas d’avant les plus difficiles.

Quand la troisième saison commence, tous ces personnages que l’on avait appris à connaître et apprécier disparaissent et sont remplacés par une nouvelle génération de lycéens. Ce n’est clairement pas le choix le plus simple de la part des créateurs, mais c’est aussi ce qui permet à Skins de se focaliser exclusivement sur ces deux dernières années de lycée et la transition entre l’adolescence et l’âge adulte. On redécouvre ainsi une nouvelle bande et de nouveaux personnages, dans le même cadre et avec l’esprit de la série qui est connu et qui ne nécessite pas d’être présenté à nouveau. Cela permet aux scénaristes de s’éloigner du glauque un peu systématique des deux premières saisons et de se pencher davantage sur la psychologie des personnages en la creusant davantage. Ce duo de saisons est à cet égard plus réussi, avec des histoires plus riches et sérieuses, sans renier l’esprit trash des débuts. On apprécie tout particulièrement le parcours difficile d’Effy, qui évoque les problèmes psychologiques que ces jeunes peuvent rencontrer avec beaucoup de précision. Jamie Brittain et Bryan Elsley donnent parfois un petit peu le sentiment de fairer varier la même recette, avec cette fois un couple lesbien qui cède la place à Maxxie, mais les personnalités et les intrigues sont suffisamment différentes pour que cène soit pas un problème. C’est moins vrai avec la dernière génération, découverte dans la saison 5. On reprend les mêmes et on recommande ? Ce serait injuste de le résumer ainsi et la dernière bande a aussi des idées intéressantes, avec notamment le personnage androgyne de Frankie qui est très réussi. Malgré tout, on commence à toujours retrouver les mêmes ficelles et la répétition des caractères types ou de passages obligés lasse un petit peu. Pour compenser, ces saisons sortent du cadre strict de Bristol, ce qui n’est pas une aussi bonne chose qu’escompté. Tout le développement à partir du Maroc de la sixième saison n’est pas très heureux, en particulier, il semble forcé et casse quelque peu la dynamique de groupe. Si vous aimez l’esprit Skins, ce dernier duo de saisons reste intéressant malgré tout, avec des personnages que l’on finit par apprécier. Par contre, vous pouvez éviter la septième saison, qui reprend quelques personnages marquants des saisons précédentes pour raconter d’autres histoires à Londres. Il ne reste plus rien de l’esprit original et ces trois récits n’apportent vraiment pas grand-chose… autant s’en tenir aux six premières saisons.

Skins reste une œuvre attachante, malgré ou bien grâce à ses défauts. On sent que ses concepteurs ont cherché à se distinguer au maximum des productions standards de la télévision, quitte à en faire trop, surtout au début. Jamie Brittain et Bryan Elsley trouvent toutefois un bon équilibre par la suite et quand ils laissent à leurs personnages de la place pour exister psychologiquement, ils peuvent créer quelque chose de très beau. En fonction de vos affinités avec tel ou tel personnage, certains épisodes vous paraîtront un peu vides ou longs. C’est inévitable avec une série chorale comme celle-ci, mais avec le recul, les six saisons principales de Skins sont passionnantes et méritent le détour.