« Ce spectacle peut heurter la sensibilité des personnes qui placent leur foi au-dessus de leur sens de l’humour. » Ce message diffusé au milieu des habituelles recommandations pour éteindre les téléphones portables et ne pas filmer diffusées en début de spectacle met directement dans l’ambiance. Crise de foi, le dernier spectacle de Sophia Aram, évoque la religion — ou plutôt les religions — sans pincettes et il vaut mieux, de fait, l’éviter quand on a des convictions religieuses fortement ancrées. À condition que l’on accepte que l’on puisse dire du mal de Dieu et des trois religions du Livre, ce spectacle est à mourir de rire, un vrai bonheur.
« Je suis de culture musulmane. Enfin, je suis à la religion musulmane ce que Ferrero Rocher est à la diplomatie. » Sophia Aram est née dans la banlieue parisienne, mais ses parents sont Marocains et elle a été élevée dans un environnement assez marqué par la religion. Comme elle le raconte dans son spectacle, elle commence à douter des enseignements familiaux assez jeune, quand elle fait la rencontre de l’altérité religieuse sous la forme de Sandrine, une camarade de cinquième qui va au catéchisme. La jeune fille apprend alors que Dieu a créé le monde en une semaine, ce qui ne manque pas de la surprendre et c’est l’occasion des premiers doutes. Et si Adam était gay ? Si la Terre a été créée par Dieu il y a 6500 ans comme le disent les créationnistes, où broutaient les dinosaures ? C’est cela Crise de foi, des dizaines de question qui remettent en cause, de façon faussement naïve, les trois religions. Si l’humoriste s’en prend évidemment à son enfance, à sa grand-mère qui a collé sur son palais une datte qu’elle avait elle-même mâchée, à sa tante Fatiha qui a une peur maladive de Dieu ou encore à la mère de son voisin qui fait la morale à son fils à trois ans, pas de jaloux, les deux autres religions du Livre en prennent aussi pour leur grade. La religion juive qui interdit à ses fidèles toute action quand c’est shabbat, même quand leur survie est en jeu et les Chrétiens qui considèrent comme une évidence la virginité de Marie et l’eau transformée en vin, mais qui rejettent en bloc la thèse des enfants de Jésus : tout y passe.
Sophia Aram est extrêmement efficace pour tordre le cou aux croyances et superstitions. Ses idées ne sont pas radicalement nouvelles, mais elles sont très bien menées dans ce spectacle qui s’apparente tantôt à un stand-up (« Je ne sais pas si vous avez remarqué, mais… »), tantôt à une construction plus élaborée, avec chansons et personnages. Si l’humoriste réussit vraiment à faire rire sur les religions, elle n’est jamais aussi bonne que dans ces personnages, ou plutôt ces caricatures, qu’elle interprète. Si vous avez connu ses chroniques au Fou du Roi, à France Inter, vous connaissez déjà ses interprétations qui troublent par le réalisme de leur intonation. Sophia Aram n’a aucun accent, mais elle sait parfaitement prendre un accent et rendre un personnage crédible en quelques intonations. L’accent parisien de l’ange, la voix sur-aigüe de Sandrine sont parfaitement maîtrisés, mais le clou du spectacle reste la voix de la québécoise qui présente une émission de téléréalité où trois représentants des trois religions sont enfermés dans une station spatiale et surtout Fatiha. Cette femme maghrébine qui décide de pratiquer les trois religions en même temps pour avoir toutes ses chances au paradis est à mourir de rire et il faut saluer les talents d’actrice de Sophia Aram. Si sa voix suffit à camper un personnage, ses mimiques ajoutent encore une couche et ce sont elles qui font éclater de rire une salle.
Crise de foi est composé exclusivement de personnages féminins, et c’est un spectacle assez féministe. Sophia Aram exprime à plusieurs reprises son incompréhension devant une religion manifestement conçu par et pour les hommes et ses arguments sont imparables. Citations de la Bible à l’appui, elle se moque des préceptes manifestement conçus par des hommes, même quand il s’agit de protéger les femmes. L’un des interdits bibliques empêche les hommes de toucher aux femmes pendant leurs règles et l’artiste d’ajouter qu’ils auraient pu aussi demander à ces dernières si elles ont vraiment envie de quoi que ce soit, pendant leurs règles. Sophia Aram relève très justement que la religion considère que Dieu dirige les hommes et que les hommes dirigent les femmes, ce qu’elle ne manque pas de fustiger. À cet égard, le plus frappant est peut-être sa prière de remerciement adressée à Dieu. L’humoriste se déclare volontiers athée, mais elle veut quand remercier Dieu dans son one-woman-show pour une raison très précise : avoir pensé, en créant la femme, à la doter d’un clitoris. Des remerciements qu’elle nuance toutefois d’emblée : « Il aurait pu diffuser le manuel d’utilisation plus largement… » Même en parlant de sexe de façon aussi crue, Sophia Aram reste toujours fine et très intelligente ; ses textes sont parfaitement bien écrits, mais elle sait aussi jouer avec son public et l’actualité, ce qui est toujours agréable dans ce genre de spectacle.
Pendant près d’une heure trente, on rit de bon cœur et même parfois plus encore. Le constat est sans appel : Sophia Aram est une excellente humoriste qui parvient très bien à la fois à habiter des personnages féminins extrêmement drôles et à dénoncer les bêtises imposées par la religion. Crise de foi n’est pas un spectacle militant pour ou contre une religion, c’est un stand-up qui exploite à merveille la religion pour faire rire, avec finesse et dérision. À condition d’accepter que Dieu, Jésus, Noé et les autres se fassent tailler un costard, c’est un spectacle à ne pas rater s’il passe près de chez vous… S’en prendre aux religions n’est pas chose facile et il convient d’encourager le courage de Sophia Aram qui persiste sur ce terrain depuis plusieurs années.