Soul, Pete Docter

Devenu un film de Noël à cause de circonstances externes1, le Pixar de 2020 n’est pourtant pas une dans la veine la plus traditionnelle du studio. Soul est au contraire une œuvre très originale qui traite de la mort et de ce que l’on peut accomplir dans la vie de manière assez frontale et sans détour. Par son sujet et son traitement qui émerveillera les enfants tout en parlant aux adultes, la dernière réalisation de Pete Docter rappelle fortement sa précédente, Vice Versa. Les âmes remplacent les émotions, dans ce film d’animation très riche, tant sur le fond que sur la forme. À voir, de préférence sans rien lire de plus à son sujet.

Jon Garner est un professeur de musique dans un collège, mais son rêve depuis petit est de jouer professionnellement du jazz au piano, sa passion. Alors qu’une opportunité s’ouvre enfin à lui, à quarante ans et après des années de galères et de petits boulots, il tombe dans une bouche d’égouts et se retrouve en route vers l’au-delà. Quand il essaie de fuir, il termine dans un endroit étrange, où les jeunes âmes sont formées avant de descendre sur Terre pour créer une nouvelle vie. Soul a un don pour révéler très progressivement toute la complexité de son univers. Le dernier long-métrage du studio Pixar débute sur ce qui ressemblerait presque à un drame banal, l’histoire d’un prof de musique qui passe ses journées avec de mauvais élèves qui ne veulent pas être là après avoir échoué à devenir un joueur de jazz professionnel. Ce pourrait être un film indépendant et le réalisme des graphismes atteint un tel niveau désormais que l’on pourrait aisément oublier que c’est un long-métrage tourné en images réelles. La chute subite du personnage principal ouvre toutefois une toute autre voie, avec la découverte d’un univers fantastique et d’une animation très différente, éthérée et colorée. Toute cette partie avec les âmes a été un défi pour les animateurs de Pixar, qui ont inventé de nouvelles techniques pour représenter ces formes pas toujours nettes et mélanger des méthodes d’animation différentes. La richesse de Soul est difficile à imaginer avant de le voir, il y a de multiples idées et ce qui impressionne le plus finalement n’est pas tant le monde réel reproduit avec réalisme — on a l’habitude de le voir ainsi chez Pixar —, mais bien plus ces expérimentations. Âmes toutes en rondeur, contrôleurs en fil de fer qui se fond dans le décor ou encore cet étonnant bateau pirate rose fluo… Pete Docter ose et cela paye, c’est un plaisir de tous les instants.

Comme toujours chez Pixar, cette débauche de moyens est avant tout au service d’une histoire. La mort qui s’accompagne de la peur de ne pas avoir accompli ce que l’on voulait durant sa vie, la découverte de sa passion et d’une raison de vivre sont des thématiques que l’on n’associe pas fréquemment à l’animation, mais le studio sait les manier pour tous les publics et il le prouve ici encore. Le sujet est grave et le traitement sérieux, mais avec ce qu’il faut de touches comiques et d’éléments mignons pour ne perdre personne. L’idée de l’inversion des âmes est peut-être convenue, elle fonctionne néanmoins très bien et offre de bonnes opportunités pour remettre en cause notre monde. On peut regretter le happy-end final un peu gros et juger que Soul aurait été plus fort en se tenant à la description de la fin d’une vie, mais cela ne gâche en rien le reste et il fallait sans doute faire ce compromis pour ne pas choquer les plus jeunes. D’autres scénaristes auraient été tenté d’accorder plus de place à 22, notamment une fois sur Terre, mais cette erreur est évitée ici et on reste concentré sur ce quarantenaire joueur de jazz. Sacré défi que de faire une œuvre grand public qui traite notamment de l’amour du jazz ! C’est un genre méconnu et souvent mal-aimé, mais le film parvient très bien à le rendre intéressant et accessible, sans tomber dans la musique d’ascenseur. On sent la passion du réalisateur derrière et ce choix original est, à nouveau, payant. Plus audacieux encore, Pixar fait appel à Trent Reznor et Atticus Ross pour signer la bande-originale, une décision qui semble bien éloignée du genre et qui fonctionne pourtant à merveille. Toutes les séquences avec les âmes sont mises en musique par le duo, avec leur touche spécifique que les amateurs reconnaîtront aisément et aussi avec une liaison parfaite avec le jazz terrestre. Comme pour l’animation, c’est une décision à contre-courant qui paye.

Loin des films faciles taillés pour les plus jeunes, Soul aborde des sujets difficiles avec un traitement très original. Pete Docter poursuit son travail initié avec Vice Versa et on retrouve aussi son goût pour la question de la vie et de la mort qui était déjà au cœur de Là-Haut. Face à la frilosité trop courante dans l’animation grand-public, cette audace tranche, y compris au sein même de Pixar qui a eu trop tendance à se reposer sur des licences connues ces dernières années. Soul est bien plus riche et intéressant, espérons que le studio continue sur cette bonne lancée !


  1. La pandémie a décalé sa sortie prévue initialement au cœur de l’été, jusqu’au 25 décembre 2020. Et puisque les cinémas sont toujours fermés, c’est uniquement sur Disney+ que l’on peut le voir.