Squid Game, Hwang Dong-hyeok (Netflix)

Squid Game appartient à cette catégorie d’œuvres qui s’apprécient pleinement en ne sachant rien à leur sujet. Si vous n’avez pas encore vu la dernière série à la mode de Netflix, arrêtez votre lecture immédiatement et regardez-la en ignorant le maximum à son sujet… à condition de tolérer la violence physique et psychologique. C’est un prérequis important, tant elle est au centre, tant de l’intrigue que de l’image. Derrière le phénomène se cache une création sud-coréenne au concept intriguant et un divertissement très efficace, à condition de ne pas y regarder de trop près. Hwang Dong-hyeok reprend l’idée pas la plus originale, mais toujours aussi forte, du jeu à mort relevé ici d’un message social plutôt inattendu. En neuf épisodes, Squid Game se regarde d’une traite comme un long-métrage rallongé, avec l’envie constante d’y revenir grâce aux rebondissements plus ou moins inattendus. Un succès facile à comprendre…

Le jeu de la pieuvre qui a donné son titre à la série est décrit dans un prologue en noir et blanc. C’est un jeu de rue qui a connu son heure de gloire dans la Corée du Sud des années 1970, un jeu d’attaque et de défense autour d’un territoire dessiné à la craie à même le sol. Un jeu enfantin, même si sa violence est soulignée dès cette introduction, un indice fort pour la suite des événements. Hwang Dong-hyeok prend son temps toutefois pour poser son décor et ses personnages. On découvre tout d’abord Gi-hun, le personnage principal qui est au plus bas, endetté jusqu’au cou, incapable de subvenir aux besoins de sa famille et qui vit aux crochets de sa mère qu’il vole pour des jeux d’argent. Un portrait bien peu reluisant et d’emblée un discours presque politique que l’on n’attendait pas dans cette série Netflix. La vision de la société sud-coréenne est en effet loin d’être idyllique et le créateur n’a de cesse de montrer ses pires aspects, notamment en ce qui concerne l’argent. C’est le véritable sujet de Squid Game : jusqu’où pourriez-vous aller pour de l’argent ? En l’occurrence, êtes-vous prêt à tuer pour quelques dizaines de millions de wons, ou tout du moins à accepter l’argent sachant que des centaines sont morts pour vous permettre de l’empocher ? Le jeu au cœur de la série fait affronter 456 coréens endettés comme Gi-hun, des hommes et des femmes qui ont tout perdu et qui sont prêts à tout pour s’enrichir. Ils ont répondu à une invitation pour un jeu mystérieux dont ils ignorent tout, si ce n’est qu’il peut les rendre riche. Au départ, ils sont naturellement prudents et même méfiants quand ils réalisent qu’on les a endormis pour les emmener sur un lieu inconnu. Mais le jeu est libre, tout le monde a le choix de signer le contrat de décharge qui stipule aussi qu’abandonner n’est plus une option une fois la partie commencée. C’est un faux-choix pour la majorité, si endettée qu’elle ne peut plus vivre normalement, mais cela reste un choix et même quand les participants découvrent que l’élimination passe par la mort, ils décident en grande majorité de continuer. Squid Game ne recule pas devant une violence souvent frontale, mais jamais gratuite. Alors même que le jeu soumet ces hommes et femmes à des conditions inhumaines, avec des morts violentes et une propension à les dresser les uns contre les autres ou à imposer une torture psychologique insoutenable, les joueurs persistent et signent pour la somme qui attend les gagnants. Le message est intéressant, car il ne s’agit pas de stigmatiser les personnages avec une morale simpliste. Même quand Hwang Dong-hyeok révèle l’envers du décor, avec ces riches qui viennent du monde entier pour parier sur des joueurs qui s’entretuent, il ne cherche pas à enlever la responsabilité de chacun et surtout, il n’oublie jamais de rappeler celle de la société. La violence n’est pas toujours là où on le croit, ou plus exactement, elle n’est pas seulement là où on le croit. Les inégalités sociales peuvent aussi représenter une source de violence et elle peut même être plus importante encore que les morts pendant le jeu. Sans atteindre le niveau d’un documentaire en sociologie évidemment, on peut saluer cette finesse d’analyse qui n’était pas évidente sur le papier.

Malheureusement, cette finesse n’est pas celle qui prévaut pendant le jeu lui-même. Hwang Dong-hyeok a manifestement douté de l’intelligence de ses spectateurs et les explications inutiles ont tendance à alourdir l’ensemble. Par ailleurs, Squid Game repose sur de multiples rebondissements, mais les révélations sont trop souvent faciles à deviner bien en amont. De l’affrontement final en duo à l’identité de l’organisateur en noir, en passant même par le sort réservé au vieil homme : le spectateur attentif aura régulièrement une longueur d’avance qui peut être désagréable. Néanmoins, ne soyons pas trop durs : le divertissement reste plaisant même dans ces conditions, notamment grâce à l’esthétique particulière imaginée pour la série, toute en couleurs vives et formes géométriques. Le personnel tout vêtu de rouge est d’ores et déjà devenu une icône, ce qui en dit long sur le succès de la série de Netflix, mais aussi de sa réussite formelle. Malgré ses défauts, Squid Game mérite amplement le détour !