George Lucas a fini par céder et vendre l’œuvre de sa vie. Contre un chèque de plus de quatre milliards de dollars, Lucasfilm et la saga Star Wars sont devenus la propriété de la Walt Disney Company. Avec cette acquisition, le studio va pouvoir exploiter l’une des licences les plus célèbres au cinéma, et on sait déjà qu’il a bien l’intention de rentabiliser au maximum ces milliards. L’univers de Star Wars va être exploité jusqu’à la moelle, mais en attendant les dérivés, la saga s’offre une conclusion avec une nouvelle trilogie, comme le voulait au départ George Lucas. Le réalisateur a commencé en 1977 avec l’épisode IV et avec la ferme intention de former une trilogie au cœur d’un ensemble de neuf films. Dans les années 2000, il a porté au cinéma la « prélogie », mais il n’avait jamais concrétisé la trilogie finale. Star Wars, Épisode VII : Le Réveil de la Force a la lourde tâche de relancer la saga pour une série de trois nouveaux films, mais cette fois, George Lucas n’a plus rien à voir avec le projet. Il est bien resté comme consultant, mais à l’en croire, les scénaristes n’ont gardé aucune de ses idées et il est resté sur la touche. C’est J.J. Abrams qui s’est chargé de la réalisation et en partie de l’écriture de ce volet qui se déroule une trentaine d’années après l’épisode VI. Le résultat est un étrange mélange de familiarité et de nouveauté, avec un film très respectueux de la trilogie historique… un petit peu trop pour son propre bien sans doute. Reste que son réalisateur, manifestement grand fan de Star Wars, offre à la saga un nouveau départ convaincant, qui donne envie d’en voir plus.
Vous n’avez pas vu le film ? Arrêtez-vous ici, allez le voir, et revenez lire ce qui suit après…
C’est la première fois qu’un film Star Wars a été écrit et réalisé sans George Lucas, même s’il était dans le coin pendant toute la production. On pouvait craindre que la relève ne soit pas à la hauteur du mythe, ou que le style inimitable de la saga soit oublié, mais il n’en est rien. Star Wars, Épisode VII : Le Réveil de la Force le prouve avec une introduction qui respecte scrupuleusement le cahier des charges. « Star Wars » en grosses lettres jaunes sur le fond de la musique mythique composée par John Williams — qui officie d’ailleurs toujours sur toute la bande originale1 —, puis la mise en place de l’intrigue avec un résumé qui situe l’action et enfin l’ouverture sur l’espace, avec une planète dans le lointain et un vaisseau spatial qui entre dans le champ. J.J. Abrams montre ainsi d’emblée qu’il connaît et respecte l’œuvre originale et tous les fans seront en terrain connu. Ce n’est pas la seule idée que le réalisateur a conservé d’ailleurs et on retrouve plusieurs marqueurs de la saga, comme ces transitions toujours très dynamiques. Mais au-delà de ce vocabulaire visuel, parfaitement conservé et à peine modernisé, cet épisode fait la part belle aux hommages et clins d’œil en tout genre. On retrouve quelques personnages connus, on y reviendra, mais aussi des éléments devenus cultes, comme le célèbre Faucon Millenium, le vaisseau qui était déjà au cœur de la trilogie originale et qui retrouve toute sa place ici. Star Wars, Épisode VII : Le Réveil de la Force fait preuve d’un sens du détail aiguisé et chaque scène est pleine d’éléments que l’on a déjà vus, que ce soit les petits robots cubiques chez les méchants, ou les écrans de contrôle quasiment identiques chez les gentils, ou encore les X-Wings légèrement retravaillés contre des Tie Fighters qui ressemblent à ceux que l’on connaissait. Autre excellente idée du réalisateur : disposer des carcasses de vaisseaux et de robots impériaux dans le désert, au début. On sent bien que c’est le travail de passionnés et les fans s’y retrouveront sans aucun doute : le sens du détail qui est mis en œuvre ici force le respect. Pour autant, ce respect pour la trilogie qui a lancé la saga est aussi une faiblesse pour ce nouvel épisode, qui reste parfois un petit peu trop bloqué à un hommage appuyé au lieu de chercher une nouvelle voie. Cela se voit dans le choix de maintenir à tout prix des personnages, comme C3PO qui n’a aucun autre rôle que de faire plaisir aux fans, au risque de tomber dans la parodie2.
Mais l’hommage pose aussi un problème plus profond. Star Wars, Épisode VII : Le Réveil de la Force introduit de nouveaux personnages principaux, c’est vrai, et ce volet est l’occasion de passer le flambeau de l’ancienne génération à la nouvelle. Les trois acteurs principaux de la trilogie ont repris chacun leur rôle, Harrison Ford dans celui de Han Solo, Carrie Fisher pour incarner à nouveau Leia et Mark Hamill dans le rôle de Luke Skywalker. Ils sont encore là, mais ils ne sont que des personnages secondaires face à la relève, avec à nouveau un trio. On a Rey (Daisy Ridley), ferrailleuse sur une planète désertique qui découvre des aptitudes hors du commun, mais aussi Finn (John Boyega), un ancien stormtrooper qui refuse d’obéir aux ordres, déserte et rejoint la résistance, ainsi que Poe (Oscar Isaac), l’un des meilleurs pilotes de la résistance. Ce sont probablement eux qui vont être les personnages principaux de cette trilogie de conclusion et c’est très bien de ne pas rester avec les anciens héros, désormais bien âgés3. Néanmoins, le nombre de points communs qu’ils entretiennent avec les anciens héros est troublant et de manière plus générale, Star Wars, Épisode VII : Le Réveil de la Force est étrangement similaire à l’épisode IV. Énumérer la liste des points communs serait fastidieux, mais voici les plus significatifs : on commence à chaque fois sur une planète désertique, où un droïde muni de plans essentiels doit se débrouiller seul avant d’être rejoint par un local qui ne rêve que de découvrir l’univers ; l’ennemi et la résistance s’affrontent autour d’une planète qui est aussi une arme avec le même point faible ; entre le bien et le mal, on découvre des liens familiaux qui pourraient faire basculer l’issue du conflit. J.J. Abrams aimait-il tellement Star Wars, Épisode IV : Un nouvel espoir qu’il s’est senti obligé de calquer l’intrigue de son film ? On aurait aimé un petit peu plus d’originalité et plus d’idées nouvelles pour éviter de tomber dans la redite. Les ennemis sont-ils si stupides pour se faire avoir une troisième fois avec une arme supposée indestructible ? Fallait-il à tout prix créer un lien familial pour Kylo Ren, le chevalier du côté obscur de la Force ?
Hommage appuyé à la trilogie originale et notamment à l’épisode IV, hommage trop appuyé sans doute, Star Wars, Épisode VII : Le Réveil de la Force n’est pas un mauvais film dans la saga, loin de là. Sur le plan cinématographique, il écrase incontestablement la prélogie réalisée par George Lucas et qui est objectivement assez médiocre sur le plan technique. Les progrès permis par l’informatique offrent au long-métrage des effets bien plus réussis et on a une vision plus réaliste que jamais de l’univers. J.J. Abrams a, en outre, fait le choix judicieux de ne pas reposer que sur les ordinateurs, mais de tourner au maximum en studio avec des maquettes et cela paye : le rendu est bien supérieur à ce que l’on avait vu dans les années 2000 et à bien des égards, ce nouveau film ressemble vraiment à la trilogie originale, mais modernisée. D’ailleurs, si la familiarité avec l’univers de la saga est indéniable, le film est aussi fondamentalement différent. On ne retrouve plus cette simplicité et même cette légèreté des premiers épisodes qui sont sortis et on n’est plus vraiment dans l’univers du conte. Il n’y a même plus de princesse, Leïa est désormais une générale, un changement symbolique qui se traduit aussi par un changement d’ambiance très profond. Au fond, c’est aussi ça la modernité : Star Wars, Épisode VII : Le Réveil de la Force est un épisode beaucoup plus sombre que tous les précédents, puisque la noirceur de l’histoire se conjugue à un traitement visuel beaucoup plus réaliste. Il n’y a aucune restriction en France et des enfants peuvent certainement le voir sans problème, mais quand on le compare avec les six films précédents, on ne retrouve plus cette touche enfantine qui a toujours été maintenue, même dans l’épisode III qui était par ailleurs assez sombre sur le fond. J.J. Abrams n’a pas imaginé un nouveau Jar Jar Binks — on peut l’en remercier d’ailleurs — et la seule concession est le nouveau droïde, BB8, qui prend la relève de R2D2 et qui a quelques éléments comiques qui ajoutent une touche de légèreté. Reste que dans l’ensemble, on est sur une vision beaucoup plus noire, où le nouvel ennemi n’est rien d’autre que la réincarnation des Nazis4… on a vu plus réjouissant.
Star Wars se débarrasse de son créateur avec ce nouvel opus et ce n’est peut-être pas si mal. George Lucas est un conteur hors pair et un excellent technicien, mais un piètre scénariste et un réalisateur assez banal et en laissant les rênes de la saga, il lui offre la possibilité de repartir sur de meilleures bases. Sur le plan technique, la mission est totalement réussie : J.J. Abrams est un bien meilleur réalisateur et aussi un meilleur scénariste, avec des dialogues enfin à la hauteur et une intrigue bien menée. C’est aussi un fan absolu, cela se voit, et cela lui joue des tours : Star Wars, Épisode VII : Le Réveil de la Force aurait mérité une histoire plus originale que celle-ci qui, si on la résume, consiste à suivre celle de l’épisode IV. Mais puisqu’il fallait passer le flambeau, on peut pardonner à ce volet de transition, en reconnaissant que le travail effectué est d’un très bon niveau et en espérant que la suite trouve une voie plus originale. L’univers de Star Wars est d’une richesse infinie et il y a de quoi faire pour avoir une trilogie finale à la hauteur. En attendant d’en savoir plus, le réveil de la Force est un blockbuster mené tambour battant, prenant du début à la fin et avec une base prometteuse qui donne envie d’y revenir. La suite en 2017 : on a hâte !
Ajout du 1er janvier 2016
Après la première séance, j’ai écouté la bande-originale de John Williams. Elle ne m’avait pas marqué la première fois au cinéma, je la trouvais même très fade. À l’écoute, je me suis rendu compte qu’elle était pourtant beaucoup plus riche qu’elle n’en avait l’air et je me suis mis à l’écouter en boucle. En retournant au cinéma voir le septième épisode de la saga Star Wars, je la connaissais pour ainsi dire par cœur. Et Star Wars, Épisode VII : Le Réveil de la Force m’est apparu sous un autre jour, où son principal défaut, l’excès de répétition qui conduit J.J. Abrams à réaliser quasiment un remake de l’épisode IV, n’était plus aussi gênant du tout.
Comme dans tous les épisodes précédents, la musique est omniprésente dans cet épisode et les scènes vraiment silencieuses restent plutôt rares. Il y a de nombreux moments sans musique — après tout, l’album de la bande-originale ne dure qu’une heure vingt, il manque une heure environ pour remplir le film —, mais une scène commence ou se termine le plus souvent avec l’orchestre au grand complet. Et revoir le film dans ces conditions m’a fait penser à un opéra, sans chansons, mais avec une musique composée autour de quelques thèmes associés à des personnages, comme John Williams l’a toujours fait, comme Wagner le faisait déjà avant lui. Comme les grands opéras, Star Wars, Épisode VII : Le Réveil de la Force s’inspire d’un mythe, sauf que cette fois, le mythe serait précisément le quatrième épisode. On sait que George Lucas a puisé volontairement dans plusieurs contes et mythes fondateurs pour écrire son histoire et au fond, il a lui-même créé un nouveau mythe qui a servi de base ici. En revoyant le film, les points communs trop nombreux avec Star Wars, Épisode IV : Un nouvel Espoir sont beaucoup moins gênants et on a tout loisir pour se concentrer sur les variations, nombreuses. Et on peut aussi mieux apprécier le travail de J.J. Abrams pour créer des personnages et poser les fondations d’une nouvelle trilogie.
Non pas que le nouveau Star Wars soit parfait, non, il subsiste de nombreux défauts encore et le manque d’originalité reste un problème qu’il faut soulever. Mais on peut aussi noter que Star Wars, Épisode VII : Le Réveil de la Force établit des personnages qui peuvent être très convaincants. À la deuxième vision, c’est Rey que l’on admire le plus : de sa longue mise en place sans parole extrêmement réussie jusqu’à sa découverte de la Force à la fin — même si on peut dire, à raison, que son initiation est un petit peu trop rapide et facile —, elle a une présence et on oublie totalement Daisy Ridley, l’actrice excellente, pour ne voir que son personnage, comme si elle était destinée depuis toujours à entrer dans l’univers de la saga. Autour d’elle, tous les personnages ne sont pas autant à l’aise, à commencer par Oscar Isaac qui ne semble jamais tout à fait dans son élément. Mais il n’empêche, J.J. Abrams impose un trio prometteur et il ouvre de nombreuses portes pour les épisodes suivants. On a envie d’en savoir plus sur Rey bien sûr, mais même le personnage de Kylo Ren, judicieusement présenté comme un adolescent immature, est également prometteur. Et puis cet épisode ne répond strictement à aucune question géopolitique, il y a là aussi de quoi creuser à l’avenir.
À l’arrivée, le sentiment de répétition reste réel, mais cette nouvelle variation autour de l’épisode fondateur devenu mythe était peut-être ce qu’il fallait pour relancer la saga sur de bonnes bases. Et en revoyant Star Wars, Épisode VII : Le Réveil de la Force, on apprécie beaucoup mieux le travail effectué sur ce film, on oublie un petit peu le côté répétitif pour mieux se concentrer sur un long-métrage techniquement assez impressionnant et surtout très respectueux de l’esprit de la trilogie originale. Tout l’enjeu pour Rian Johnson qui prendra la relève sur l’épisode VIII est de ne pas rester dans l’hommage et dans la variation, mais de porter la saga vers de nouveaux horizons. L’univers de Star Wars est bien assez riche pour cela et il y a énormément de choses à faire. En attendant de savoir ce que Walt Disney Company nous réserve, la bande originale peut bien tourner en boucle…
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- Au passage, John Williams n’a pas trouvé de thème musical fort, comme il l’avait fait dans la trilogie originale bien sûr, et même dans la prélogie. Ici, la bande originale reprend quelques thèmes connus dans la saga et varie autour, mais elle reste assez fade dans l’ensemble. ↩
- La voix de C3PO est aussi troublante : alors que c’est Anthony Daniels, l’acteur historique, qui donne sa voix au robot, on a vraiment le sentiment qu’elle est différente. C’est sans doute une conséquence du vieillissement de l’acteur, mais c’est troublant, comme si ce n’était pas le vrai personnage. ↩
- Les trois acteurs ont vieilli et cela se voit. Harrison Ford, du haut de ses 73 ans, est sans doute celui qui fait le plus « papy ». ↩
- On aurait d’ailleurs aimé une idée plus originale, parce que les méchants calqués sur les Nazis, ce n’est quand même pas très original. On verra ce que le reste de la trilogie propose, mais cet épisode est très peu politique, ce qui est un petit peu dommage. Pour le moment, les deux camps sont très caricaturaux, entre bien et mal, mais peut-être que la suite leur offrira plus d’épaisseur. ↩