Strictly Criminal, Scott Cooper

La mafia a inspiré tant de cinéastes pour tant de films et quelques chef-d’œuvre que l’on ne voit pas bien comment on pourrait renouveler le genre. Strictly Criminal1 apporte une forme de réponse : tout en filmant une histoire vraie dans le Boston des années 1970 et 1980, Scott Cooper reprend la traditionnelle formule des gangsters et de la police, mais sans distinguer les deux camps. Il n’y a pas de gentils ou de méchants ici, il y a des mafieux et le FBI qui devrait les combattre, mais qui se trouve en fait à les aider pour mieux combattre la mafia italienne incrustée dans la ville. Les seuls personnages qui essaient de bien faire sont secondaires, la majorité ferme les yeux, quand ils n’aident pas activement la bande des Bulger. À l’arrivée, une œuvre ambitieuse et divertissante, mais qui souffre de quelques défauts qui l’empêchent d’atteindre le meilleur.

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« Le plus grand gangster de l’histoire américaine. » proclame l’affiche française du film, comme l’ont déjà fait avant elle des dizaines d’autres affiches de films. L’histoire américaine est pleine de gangsters de légende et James « Whitey » Bulger, dit Jimmy, en est un parmi d’autres. Mais il faut bien reconnaître que ce petit gangster du Sud de Boston a eu un parcours qui force le respect : sorti de plusieurs années en prison, il parvient à s’imposer très rapidement à la tête du crime organisé de la ville. Pour cela, il a éliminé la mafia traditionnelle en place, originaire d’Italie comme souvent, mais ce qui est surprenant, c’est qu’il ne l’a pas fait lui-même. En devenant indic pour le FBI, le gangster a réussi à éliminer son concurrent et à prendre par la suite sa place sans se faire repérer, puisque son statut lui garantissait une protection. C’est malin et ça a très bien marché pendant près de vingt ans, que Strictly Criminal raconte à partir d’un livre publié dans les années 2000. Si vous n’aviez jamais entendu parler de Jimmy, vous apprécierez encore plus le film qui avance de façon très chronologique, et permet ainsi de réaliser l’avancée du criminel et surtout de l’inaction totale des forces de l’ordre. Scott Cooper montre bien comment un agent du FBI, ami d’enfance du gangster, parvient à s’imposer comme héros en arrêtant la mafia italienne grâce aux informations remises par Whitey. Et comment cette gloire lui vaut la sympathie de tout le FBI, ou du moins suffisamment d’arguments pour détourner les regards de son protégé. Alors même que les crimes s’accumulent autour du mafieux, l’agence n’ouvre aucune enquête et fait taire systématiquement tous les témoins qui critiquent Jimmy. C’est très impressionnant de voir l’aveuglement collectif et c’est probablement ce qui est le plus fascinant dans le film.

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Strictly Criminal est avant tout l’histoire de James Whithey et de son ascension. Sur ce point, Scott Cooper ne s’éloigne pas vraiment des classiques genres et on retrouve quelques points clés de tout film sur la mafia, même si on n’a pas le parcours complet. Le choix d’attaquer juste avant l’apogée du clan est plutôt judicieux pour avancer plus rapidement et on ne traîne ainsi pas sur l’enfance du personnage. En revanche, on retrouve bien la notion de territoire, le quartier solidaire autour de sa mafia et surtout les oppositions raciales. Les origines, italiennes pour les uns, irlandaise pour les autres, sont toujours au cœur des discours et des enjeux. Au fond, si Jimmy accepte d’aider le FBI, c’est d’abord pour se débarrasser de la mafia italienne, et si le FBI accepte de fermer les yeux, c’est que les Italo-américains étaient alors un symbole très fort du crime organisé. Tout ceci est bien rendu et à défaut de faire dans l’originalité à tout prix, le long-métrage pose ses personnages avec assurance et le casting est plutôt convaincant. Johnny Depp dans le rôle principal retrouve enfin un jeu sobre qui lui avait fait défaut ces dernières années et l’acteur est excellent, mais malheureusement un petit peu handicapé par le mimétisme forcé. Ses postiches, ses fausses rides, sa perruque et surtout ses lentilles bleues qui ne bougent jamais… tout ceci fait faux et on a le sentiment de voir un cadavre du début à la fin. C’est vraiment dommage d’avoir combiné un jeu précis à un costume aussi outrancier, mais encore une fois, ce n’est pas vraiment de la faute de l’acteur. À ses côtés, Joel Edgerton dans le rôle de l’agent du FBI en fait un petit peu trop et sa culpabilité crève à l’écran : ce n’est pas crédible. Benedict Cumberbatch dans le rôle du frère sénateur est bien meilleur, mais on retiendra surtout les hommes de main du mafieux, tous excellents. Jesse Plemons, W. Earl Brown ou encore Rory Cochrane incarnent à merveille ces hommes qui sont à la fois volontairement aux côtés du gangster, mais qui ne le veulent pas forcément et certaines scènes sont même touchantes.

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Le dernier film de Scott Cooper ne restera probablement pas dans les annales, même si quelques scènes sont particulièrement mémorables, à l’image de ce diner où le gangster menace tout le monde « pour rire », mais en étant mortellement sérieux. Ou de cette autre séquence à l’hôpital, juste avant la mort de son fils. Strictly Criminal marque ainsi des points et son angle sans camp gentil est intéressant, mais si le cinéaste ne manquait pas d’ambition, le résultat manque sans doute d’un petit quelque chose. Peut-être d’un acteur principal plus naturel qui aurait pu mieux transmettre une émotion. Peut-être d’une mise en scène moins conventionnelle et passe-partout. Quoi qu’il en soit, on ne s’ennuie pas et cette histoire vraie méritait d’être connue.


  1. Black Mass en anglais. Parce que. Au moins peut-on apprécier le fait que Strictly Criminal reprend une citation directe du long-métrage…