La première fois que j’ai entendu Stromae, je n’ai pas été séduit du tout. C’était à la télévision, l’artiste belge que tout le monde s’arrache passait au Grand Journal de Canal+ où il interprétait en live « Papaoutai », l’un de ses tubes ((Oui, c’est vrai, j’avais entendu avant « Alors on danse » — qui pourrait ne pas l’avoir entendu ? —, mais j’avais encore moins accroché et ce n’est pas mon titre préféré, loin de là.)). Sur scène, un grand jeune homme, très fin, très sec avec un enfant, autour de lui, d’autres couples père/fils. Un dispositif scénique qui étouffait la chanson : inspirée du clip par ailleurs très réussi, cette chorégraphie robotisée parasitait totalement l’essentiel, la musique. Surpris malgré tout par le succès de cet artiste, intéressé aussi par son profil atypique, j’ai écouté ses deux albums. Depuis, ils tournent presque en boucle et je dois dire que j’ai été totalement séduit par la grosse vingtaine de titres qu’il a composés à ce jour. Stromae, même pas 30 ans, est incontestablement un artiste passionnant !
Quand on aborde Cheese ou Racine carrée, ses deux albums, on est d’abord pris par la voix, plus que par la musique. Stromae chante avec une voix profonde et posée qui tranche avec son côté filiforme. La comparaison avec Jacques Brel a été utilisée beaucoup trop de fois et même si on peut comprendre le lien avec ce maître de la chanson, même si c’est assez flagrant sur certains morceaux — « Formidable » incontestablement —, c’est une comparaison qui reste un peu trop facile. Inutile de le comparer à tel ou tel autre artiste, Stromae a sa voix et on ne saurait la réduire à un hommage, fût-il aussi élogieux que Brel. Artiste à voix, le jeune Belge compose une musique électronique assez sobre pour la supporter. À quelques exceptions près, on est plus dans l’esprit de quelques beats qui donnent le rythme, mais la mélodie est le plus souvent portée par la voix. Les instrumentations restent de toute manière limitées, ce qui peut être très dangereux, mais qui fonctionne ici grâce à la présence exceptionnelle de la partie chantée. Le deuxième album marque malgré tout une évolution dans son style avec quelques ambiances enrichies et une inspiration élargie, notamment du côté de la « world music ». Les deux ont été conçus chez l’artiste, à Bruxelles, avec des moyens forcément limités, ce qui leur donne un côté bricolé très agréable. Sans donner dans le Lo-Fi — ils sont très bien produits —, cette modeste production permet à nouveau de mieux mettre en valeur le chanteur.
L’amour est comme l’oiseau de Twitter
On est bleu de lui, seulement pour 48 heures
D’abord on s’affilie, ensuite on se follow
On en devient fêlé, et on finit solo
Prends garde à toi
Et à tous ceux qui vous like
Les sourires en plastiques sont souvent des coups d’hashtag
Prends garde à toi
Ah les amis, les potes ou les followers
Vous faites erreur, vous avez juste la cote
— Stromae, Racine Carrée, Carmen
Quand on parle de Stromae, on parle toujours de ses paroles. N’étant jamais particulièrement attentif à cet aspect, je dois dire que je me suis surpris à les écouter malgré moi et il faut bien reconnaître que la plume de l’artiste est excellente. Qu’il joue avec les mots — le fameux « Tu étais formidable, j’étais fort minable » de la chanson « Formidable » — ou avec les références et les clins d’œil, ses paroles sont en général amusantes, terrifiantes (« Dodo »), mais toujours intéressantes. À cet égard, j’apprécie tout particulièrement « Carmen » qui reprend les paroles de Georges Bizet en les adaptant aux réseaux sociaux. Une excellente idée qui fonctionne parfaitement, beau travail de réécriture qui force le respect. Stromae a des choses à dire et il le fait bien, mais il n’est pas un artiste engagé pour autant et on peut profiter de sa musique sans écouter nécessairement ce qu’il nous dit. Les paroles sont comme un bonus qui vient s’ajouter à une musique de qualité, c’est ce que j’apprécie particulièrement.
Inutile de le nier, je regrette d’avoir découvert Stromae si tardivement et d’être resté si longtemps à l’écart parce qu’il était trop médiatisé. Le voir et l’entendre partout est parfois un peu pénible, mais il faut reconnaître que ce jeune artiste a du talent, beaucoup de talent même. Une belle plume, certes, mais surtout une magnifique voix que les instrumentations plutôt discrètes se contentent de souligner. Moins de trente ans, deux albums et plusieurs pépites déjà : Stromae est sans conteste un artiste à suivre…