Le Terre à Terre à Brighton

Ouvert depuis plus de vingt-cinq ans, Terre à Terre peut revendiquer son statut d’icône à Brighton. Ce restaurant situé dans les ruelles historiques qui s’étendent derrière le fameux Pavillon Royal n’est pas très impressionnant de l’extérieur et vous ne viendrez pas ici pour le cadre exceptionnel. C’est plutôt la cuisine qui fait la renommée des lieux, puisque cette adresse est exclusivement végétarienne. Ni poisson, ni viande à la carte, voilà qui devait être un choix audacieux quand le restaurant a ouvert en 1993, surtout quand on en juge à la cuisine traditionnelle locale. Que des légumes donc, mais pas une cuisine triste pour autant. Bien au contraire, Terre à Terre puise dans les traditions du monde entier pour établir une carte audacieuse et savoureuse… une vraie réussite !

Comme dans tous les restaurants anglo-saxons, vous trouverez une longue carte de plats en tout genre et vous pouvez très bien vous contenter d’une assiette généreuse, surtout pour un déjeuner. Dans la tradition plus française, Terre à Terre propose aussi un menu complet, composé d’une entrée, d’un plat et d’un dessert, pour 34,5 £ par convive. C’est naturellement cette proposition complète qui nous attire, avec trois suggestions pour chaque étape du repas. Précisons que ce menu dit « Festif » change de temps en temps, a priori au moins une fois par an. Par défaut, tous les plats sont végétariens, ils peuvent intégrer des produits laitiers ou des œufs, mais chaque assiette peut être déclinée en version vegan, voire sans gluten dans certains cas. Même en restant à l’offre végétarienne, nous avons besoin d’un petit peu de temps pour découvrir chaque plat, puisqu’il n’y a aucune proposition simple sur ce menu. Nous choisissons deux entrées sans trop savoir à quoi nous attendre, et nous n’avons pas été déçus, les deux étaient des surprises. D’un côté, du lavash — une galette fine originaire d’Arménie — frit pour former une sorte de biscuit apéritif généreusement recouvert d’épices orientales. Il était accompagné de deux sauces, un caviar d’aubergines grillées au bon goût de fumé et relevé par du cumin, et ce qui ressemblait à du poivrons, mais qui était en fait un « skordalia » au citron confit salé. Un joyeux mélange d’influences, pour un résultat étonnamment équilibré et plein de saveurs. C’est une entrée réussie, mais la plus intéressante des deux est l’onigiri, une boulette de riz japonaise, frit et avec un cœur coulant de miso coréen. L’accompagnement était tout autant surprenant, avec du choux rouge, du céleris, du riz gluant et encore une tuile de tapioca saupoudrée de nori, l’algue japonaise qui sert notamment à faire les makis. Sur le papier, cela ressemble à un fourre-tout incompréhensible, mais ici aussi, l’équilibre est au rendez-vous, c’est fin et délicieux, avec un joli jeu sur les textures.

Le repas se poursuit avec deux plats principaux à nouveau très différents. D’un côté, un rosti aux pommes de terre et oignons, accompagné d’épinards simplement fondus au beurre et en velouté, ainsi qu’un œuf mollet. C’est une variation sur un classique et c’est très bien réalisé, mais pour le coup peut-être pas trop original, contrairement à l’autre assiette. Encore une fois, Terre à Terre semble avoir réuni une dizaine d’ingrédients et autant d’inspirations sans cohérence, mais ce n’est pas le cas et cette assiette automnale, autour des champignons et des légumes anciens, était une réussite spectaculaire, rien de moins. Le boudin noir végétarien composé de cèpes et de salsifis se rapproche de la texture de celui à base de sang que l’on retrouve dans les petits-déjeuners complets en Grande-Bretagne. Son goût est excellent, et accompagné du jus de champignon associé au plat, c’est même une tuerie. Pour accompagner cet élément principal, une myriade d’ingrédients variés et répartis dans l’assiette de manière à ne jamais avoir deux fois de suite la même chose en bouche. Il y a une purée de légumes anciens, peut-être du céleris, il y a un gros morceau de panais grillé, des petits légumes en pickles qui viennent ajouter de l’acidité, une fondue de girolles… C’est vraiment une assiette difficile à décrire, mais elle est très originale et parvient à associer toutes ces saveurs pour former une harmonie. Un grand plat qui justifie à lui seul de passer au restaurant ! Le repas se termine sur une note de gourmandise extrêmement généreuse, et même régressive pour ces churros à tremper dans du chocolat chaud ou un caramel au beurre salé à tomber par terre. L’autre dessert est plus inventif, c’est un entremet au chocolat noir, bien crémeux et au goût profond de cacao, associé à un sorbet aux cranberries et à du praliné pur. Dur de résister, même si à ce stade du repas, on commence à avoir un petit peu de mal à enchaîner les bouchées, mais impossible d’en laisser une seule miette !

Pour magnifier ses produits végétariens, Terre à Terre n’hésite pas à piocher partout, avec une liberté que l’on aurait du mal à retrouver en France. Un même plat peut associer sans problème des saveurs de plusieurs cultures différentes, pour former un tout qui n’a rien du bazar gastronomique que l’on pourrait craindre. On sent que les propriétaires ont des années d’expérience et qu’ils savent parfaitement associer ces cuisines pour trouver une nouvelle voie originale et délicieuse. À deux, avec deux verres de vin et deux cafés, la note tourne autour de 100 £, un tarif très raisonnable pour la qualité proposée. Si vous passez à Brighton et que vous voulez une pause entre deux petits-déjeuners au bacon et autres fish and chips, c’est l’adresse parfaite !