Par son sujet difficile, La Tête Haute peut faire craindre le pire, tomber dans le misérabilisme et ne jamais s’en relever. Et pourtant, le long-métrage d’Emmanuelle Bercot s’en tire finalement plutôt bien. Dans cette histoire sociale où la justice ne parvient pas à sauver un jeune délinquant de son enfance difficile et de lui-même, on découvre un système qui ne fonctionne plus vraiment, mais aussi un espoir ténu, mais bien réel, de rédemption. Le scénario n’est pas très original, c’est vrai, mais la mise en scène assez carrée de la cinéaste et surtout le talent de l’acteur principal, justement récompensé aux César, sauvent la mise. Très bien documenté et plutôt réaliste, La Tête Haute est un film pas aussi pessimiste et larmoyant qu’on pouvait le penser et même s’il tombe parfois dans la caricature, c’est dans l’ensemble une bonne surprise.
Emmanuelle Bercot ouvre son long-métrage dans une pièce que l’on croisera souvent : le bureau de la juge pour enfants, Florence Blaque. Face à elle, une mère de famille qui n’a manifestement pas vraiment conscience de ce qui lui arrive : toute jeune, les cheveux en bataille, elle est visiblement dépassée par ses deux enfants et en particulier par Malony, six ans et déjà un petit garçon bien agité. Elle n’en peut plus et le ton monte dans cette séquence qui se termine abruptement quand elle laisse les affaires de son fils et part. La Tête Haute ne s’attarde pas sur cette introduction et le plan suivant présente un Malony devenu adolescent, mais d’emblée, les enjeux sont posés. Dès l’enfance, ce garçon a dévié par rapport à la norme, il est placé dans des foyers qui ne font rien pour arranger son comportement violent et son échec de plus en plus patent. Un échec qui n’est pas seulement scolaire : c’est son intégration à la société toute entière qui est mis en jeu ici. D’ailleurs, le scénario d’Emmanuelle Bercot n’a de cesse d’évoquer cet échec, malgré toutes les tentatives du système judiciaire pour le remettre dans le droit chemin. Le film est une succession d’aides apportées au garçon depuis le bureau de la juge, puis la solution envisagée est mise en pratique jusqu’au moment où Malony craque à nouveau et il faut alors trouver une nouvelle solution dans ce bureau. On pourrait trouver que c’est un petit peu répétitif, mais ce faisant, La Tête Haute met bien en valeur le travail de la justice et du système éducatif associé aux jeunes délinquants. Catherine Deneuve est égale à elle-même et fait une excellente juge, tandis que dans le rôle de l’éducateur, Benoît Magimel est très convaincant, à la fois confident et grand-frère, et à la fois marqué par des problèmes anciens qui reviennent le hanter.
Il y a la justice et ses forces et surtout ses faiblesses, il y a le système éducatif traditionnel qui ne sait pas gérer les jeunes de ce type, mais le long-métrage s’intéresse surtout à un jeune. La Tête Haute n’est pas un documentaire, ni une œuvre générique, c’est d’abord le portrait d’un adolescent qui n’arrive pas à s’en sortir. Emmanuelle Bercot n’hésite pas à dépeindre un jeune violent, un petit monstre qui est son pire ennemi : même quand il va un petit peu mieux, comme dans ce centre pour jeune délinquant ouvert dans la campagne, il reste violent et parfois méchant. Pourtant, le scénario ne se contente pas de décrire un personnage monolithique et mauvais, c’est au contraire un portrait contrasté qui nous est proposé. Et si certains personnages du film tombent dans la caricature — c’est le cas de la mère, incarnée par une Sara Forestier un petit peu trop déglinguée pour être totalement crédible —, ce n’est certainement pas le cas de Malony. L’adolescent est un personnage complexe qui veut bien faire, qui aime vraiment sa mère et qui se lie d’une amitié profonde avec son éducateur, mais aussi avec la juge. Par ailleurs, son histoire d’amour et sa découverte de la sexualité apportent une dimension supplémentaire et une humanité bienvenue. La Tête Haute doit beaucoup à son interprète principal et on peut dire qu’Emmanuelle Bercot a eu la chance de dénicher ce Rod Paradot lors d’un casting sauvage. Il n’était pas acteur professionnel et pourtant, on a du mal à le croire quand on voit sa performance à l’écran. Alors même que c’est quelqu’un apparemment de très calme et mesuré dans la vie, il transmet sa colère et sa violence avec une force rare. S’il ne fallait garder qu’une raison de voir le long-métrage, il l’incarnerait sans aucun doute.
Fallait-il conclure La Tête Haute avec un happy-end qui semble un petit peu forcé et qui paraît étrange — un enfant à 17 ans, est-ce vraiment la solution ? —, on peut se le demander. Mais est-ce une raison pour autant de rejeter le film tout entier ? Emmanuelle Bercot plonge les spectateurs dans le système judiciaire et face à des métiers extrêmement difficiles qui forcent le respect. L’ensemble est bien documenté et très intéressant, mais on retiendra surtout du long-métrage son personnage principal, et son jeune interprète. Rod Paradot explose à l’écran, il est constamment sur la bonne note, entre violence aveugle et amour profond. Ne serait-ce que pour lui, La Tête Haute mérite d’être vu !