Avec The Lady, Luc Besson revient au biopic et au film historique. Film apporté sur un plateau par son actrice principale, manifestement très intégrée au projet, ce biopic est assez classique dans la forme sur Aung San Suu Kyi, une femme hors du commun qui a sacrifié sa vie et sa famille au profit de son pays et de la cause qu’elle défend. Luc Besson parvient plutôt bien à montrer le sacrifice de cette femme qui a tout donné pour que la démocratie arrive en Birmanie, mais The Lady pèche par excès. Le cinéaste tombe dans de nombreux clichés, il veut sans doute trop en dire et malgré son sujet passionnant, le film tombe sans conteste dans la catégorie des vite oubliés. Dommage…
Le parcours d’Aung San Suu Kyi est aussi atypique que méconnu, et c’est bien dommage. On sait peut-être qu’elle fut Prix Nobel de la paix en 1991, mais cette femme qui a donné sa vie à la défense de la démocratie en Birmanie a un peu tendance à disparaître dans notre société. Et pourtant, sa libération n’a qu’un an à peine et de nombreux opposants politiques sont toujours emprisonnés, alors que son pays n’est toujours pas une démocratie. Luc Besson a fini le tournage de son film avant la libération de son personnage principal. Pas de chance, même si les traditionnels textes qui clôturent le biopic évoquent ce dénouement plutôt positif. The Lady se concentre essentiellement sur les années de lutte et d’emprisonnement, entre 1988 et 2010, mais plus particulièrement les années où Michael Aris, son mari, est encore vivant, soit de 1988 à 1999. Onze ans tourmentés pendant lesquels Aung San Suu Kyi n’a pu voir son époux et ses deux enfants que deux ou trois fois au maximum. La junte birmane au pouvoir a tout fait pour la faire craquer, y compris en lui interdisant de voir son mari condamné par un cancer, mais rien n’y a fait. Dotée d’une force psychologique comme peu en ont, elle a tenu bon pendant toutes ces années, préférant sacrifier sa vie personnelle au profit de sa cause.
Inutile de le nier, on apprend des choses avec The Lady, beaucoup de choses même. À part peut-être pour les spécialistes de la Birmanie, l’histoire de Aung San Suu Kyi est trop mal connue et le film de Luc Besson est un témoignage à ce titre passionnant. Le personnage principal de l’histoire étant encore vivant, on imagine que les faits évoqués dans le film ont été vérifiés et sont globalement véridiques, tandis que Michelle Yeoh, l’actrice principale, proposerait une interprétation totalement convaincante. C’est d’ailleurs elle qui est venue voir Luc Besson, un scénario sous la main, preuve de son engagement face à un tel sujet. On comprend ainsi sans peine les raisons du film : la situation birmane reste aujourd’hui préoccupante, elle mérite d’être dénoncée. Ce statut de film militant pose toutefois problème. Le biopic est un genre déjà porté aux petites anecdotes ponctuant un récit nécessairement parcellaire, mais censé être significatif de toute une vie. L’engagement du film pousse encore cette tendance et The Lady donne à plusieurs reprises le sentiment gênant qu’il manque un morceau. Les ellipses sont nombreuses et si elles sont parfois bienvenues, elles sont aussi à d’autres moments plus gênantes : le film ne s’attarde ainsi pas du tout sur les motivations initiales d’Aung San Suu Kyi. La mère de famille britannique proteste d’abord, mais cède vite et on la retrouve rapidement sur un podium face à un million d’hommes et de femmes qui la soutiennent. Militantisme oblige, The Lady est également un film assez caricatural dans lequel l’opposante politique toujours parfaitement juste et droite s’oppose aux terribles militaires. Luc Besson ne pouvait évidemment pas filmer autre chose, mais cette opposition systématique est assez pesante et frustrante.
Si The Lady s’avère aussi souvent frustrant sur le plan politique, c’est peut-être parce que le véritable sujet du film n’est pas là. De manière très inattendue, ce biopic n’adopte pas tant le point de vue du personnage principal, que celui de Michael, le mari d’Aung San Suu Kyi. Luc Besson passe ainsi très rapidement toute la fin de l’histoire, après la mort de Michael, comme si cette période de lutte continue sur fond d’emprisonnement quasiment ininterrompu pendant plus de dix ans n’avait aucune importance. Elle en a eu évidemment pour la lutte de la femme politique, mais elle n’en a pas eu pour la femme tout court. Au-delà de son message politique, The Lady est d’abord et avant tout une histoire d’amour… Un amour d’ailleurs assez fou qui conduit un homme et des enfants à accepter le sacrifice d’une épouse et d’une mère. À deux reprises au moins, Aung San Suu Kyi laisse le choix à Michael : elle peut continuer seule la lutte, puis elle peut l’abandonner pour rejoindre son époux avant qu’il ne soit trop tard. Ce dernier refuse de laisser sa femme changer pour lui et il l’incite à poursuivre coûte que coûte le combat. The Lady cerne bien le personnage de Michael d’ailleurs et le spectateur ressent avec lui la douleur du sacrifice qu’il accepte tout en étant en permanence mort de trouille qu’il arrive quelque chose à sa bien-aimée. Il faut le voir se démener auprès des Nations-Unies, du comité pour le Prix Nobel de la Paix ou même de la junte birmane pour sauver sa femme… Étrangement, le film de Luc Besson ne parvient pas au même résultat pour son sujet principal : Aung San Suu Kyi est moins crédible, elle semble bien trop rigide, il manque un peu de chaleur humaine. On nous dit qu’elle est colérique, mais The Lady la montre toujours parfaitement imperturbable. C’est dommage après tout, pour un biopic…
The Lady n’échappe malheureusement pas aux clichés habituels du genre. La séquence d’ouverture qui évoque comme il se doit le choc de l’enfance est particulièrement ratée : son côté choc ne convient pas du tout à l’esprit du film qui, fort heureusement d’ailleurs, s’apaise par la suite. Cette scène n’est que clichés et elle laisse craindre le pire, mais Luc Besson se calme par la suite. On regrette toutefois les multiples plans de paysages façon cartes postales qui, s’ils sont parfois assez beaux, n’apportent rien et créent au contraire un aspect toc assez perturbant. Dommage aussi que le film tende un peu au tire-larme sur la fin : le sacrifice d’Aung San Suu Kyi est de fait émouvant, mais fallait-il vraiment en faire des tonnes avec notamment un accompagnement musical lourd, si lourd ? La bande originale, voilà bien un autre cliché pénible de The Lady : composée quasiment exclusivement de nappes violoneuse, elle ménage quelques notes censées évoquer l’Asie qui forme un thème assez simpliste pour le film. De temps à autre, Luc Besson change de registre musical et c’est alors parfait… mais trop rare hélas. Qui dit biopic dit aussi performance d’acteurs et il faut reconnaître que celle de Michelle Yeoh est réussie dans le genre mimétisme. L’acteur qui interprète son mari (et le frère de ce dernier !), David Thewlis, n’est pas en reste. Rien à redire donc, mais c’est un peu le minimum attendu pour une superproduction Besson…
Luc Besson n’est pas passé loin d’un bon film. The Lady aurait gagné à ne s’intéresser qu’à une période plus courte ou mieux encore, à devenir The Lady’s Sir et à se concentrer sur la vie de l’époux d’Aung San Suu Kyi. Ce choix moins conventionnel aurait peut-être permis au cinéaste de proposer un film vraiment passionnant, mais en l’état The Lady s’avère assez décevant. On ne s’y ennuie pas, on apprend même des choses fort intéressantes, mais cinématographiquement, il ne se passe pas grand-chose digne d’intérêt. Dommage…