Deux familles, deux générations, quinze années et trois histoires différentes. L’ambition de The Place Beyond the Pines, le deuxième long-métrage de Derek Cianfrance, a de quoi impressionner et effrayer en même temps. Ce drame familial teinté de polar est passionnant sur le papier, un peu moins sur le grand écran et le cinéaste n’a pas toujours su canaliser son ambition pour un résultat en demi-teinte. Ce film est toutefois traversé de beaux moments qui justifient de le voir et si tous les films méritent d’être découverts sans a priori, The Place Beyond the Pines doit être vu l’esprit vierge, sans lire de critique, ni même ne synopsis qui en dit trop.
The Place Beyond the Pines commence avec Luke, un motard talentueux qui gagne sa vie grâce à un spectacle itinérant autour d’un « globe de la mort », cette boule de métal dans laquelle des cascadeurs motorisés tournent très rapidement dans un ballet aussi époustouflant que dangereux. De passage dans une petite ville de l’État de New York, il retrouve Romina, une fille avec qui il a eu une relation passagère, un an auparavant. Cette découverte le bouleverse et le personnage de Derek Cianfrance change du tout : l’homme insouciant et libre qui avait plaqué Romina sans donner de nouvelle décide de s’impliquer dans l’éducation de son fils. C’est pour cette raison qu’il cherche à gagner de l’argent le plus rapidement possible et qu’il commence à braquer des banques : The Place Beyond the Pines tisse peu à peu les liens avec Avery Cross, un jeune policier qui se trouve un jour à poursuivre Luke après un braquage. La poursuite se termine dans une maison où le policier tue le malfrat, officiellement en légitime défense, mais le spectateur sait comme le policier que les choses ne sont pas aussi simples. Avery culpabilise d’avoir tué le père d’un enfant de un an, comme lui, mais il vit avec cette culpabilité jusqu’à la fin de sa vie. Derek Cianfrance n’hésite pas à fermer son long-métrage sur une ultime partie située une quinzaine d’années après et qui étudie les conséquences toujours de cet acte qui a tout déclenché. Trois films en un, c’est un peu le pari de The Place Beyond the Pines qui étale sur près de 2h30 ces trois parties certes reliées, mais finalement très différentes. Un procédé original qui permet au cinéaste de filmer deux, voire trois générations, mais un procédé qui gêne aussi la narration et l’alourdit inutilement. Dans ce film qui aurait gagné à être raccourci et concentré sur moins d’éléments, le triptyque s’avère assez artificiel finalement et il n’apporte pas beaucoup de chose tout en constituant un fardeau pour Derek Cianfrance qui donne le sentiment d’avoir été écrasé par son film. Le scénario devient en outre un peu trop prévisible, tandis que l’on ne croit pas une seconde aux retrouvailles des deux familles à la fin.
Tout n’est pourtant pas à jeter dans The Place Beyond the Pines. Au contraire même, le film s’offre quelques très beaux moments, des séquences réussies qui maintiennent l’intérêt du spectateur à défaut de sauver totalement l’œuvre de Derek Cianfrance. La première partie centrée sur le personnage de Luke ne manque pas de charme, même si elle rappelle parfois un peu trop Drive, la moto ayant simplement remplacé la voiture. Il faut dire que Ryan Gosling a exactement le même rôle dans les deux films et si l’acteur parvient à merveille à jouer un personnage mutique, très sérieux et en même temps intriguant, sa composition sent la redite et on n’est plus aussi impressionné que chez Nicolas Winding Refn. Ne boudons pas notre plaisir toutefois : The Place Beyond the Pines offre alors quelques plans magnifiques dans l’obscurité et la musique composée par Mike Patton ajoute juste ce qu’il faut pour créer une ambiance enivrante. Ce n’est pas très original, mais cela fonctionne et on peut ainsi lister une poignée de scènes qui sont vraiment bien. On retiendra, à la fin, la rencontre vraiment touchante entre Avery et Jason, le garçon qu’il a privé de père une quinzaine d’années plus tôt. Annoncée depuis longtemps par un scénario trop prévisible, cette scène avait de quoi effrayer, mais Derek Cianfrance évite les pièges et filme une rencontre sobre et très émouvante, où un prénom ou une photo en disent bien plus que de longs discours. Il faut au passage saluer le travail de Bradley Cooper, parfaitement juste dans ce rôle très sobre de policier naïf qui n’accepte pas l’injustice et qui n’hésitera pas à dénoncer ses collègues s’il pense que c’est la chose juste. Eva Mendes fait dans la sobriété dans le rôle de Romina et Dane DeHaan déjà croisé dans Chronicle, est touchant en Jason. De bons points donc avec un casting sans faute, mais The Place Beyond the Pines n’en est pas moins bloqué par sa structure trop rigide et le bilan ne peut qu’être en demi-teinte. Dommage, avec un film plus court et moins systématique, peut-être construit sur quelques flashbacks plutôt que cette chronologie systématique, le cinéaste aurait pu tourner un grand film.
Loin du chef-d’œuvre, The Place Beyond the Pines est un film intriguant par sa structure en triptyque, un choix original et intéressant, mais qui s’avère aussi être son principal handicap. Derek Cianfrance n’a semble-t-il pas réussi à gérer correctement cette idée qui a alourdi l’ensemble et même provoqué quelques incohérences. On ne croit pas vraiment au temps qui est passé dans l’acte final et les liens entre les trois parties sont souvent artificiels. En bref, The Place Beyond the Pines a des défauts, trop pour en faire un bon film, mais ce n’est pas pour autant un mauvais long-métrage. Un entre deux en somme, qui reste encourageant pour la suite de la carrière du jeune cinéaste.