This Is Us, Dan Fogelman (NBC)

This Is Us s’est lancé un sacré pari : suivre le quotidien d’une famille américaine à travers les générations. La série se concentre sur les Pearsons, les deux parents et leurs trois enfants, mais elle s’étend aussi aux générations d’avant et à celles qui viennent après, et elle s’intéresse aux enfants à plusieurs âges différents. Le coup de force de la création de Dan Fogelman est de le faire en même temps. Les époques se déroulent en parallèle et non pas de manière chronologique, un tour de force brillamment illustré par un pilote qui laisse croire que l’on voit des scènes qui se déroulent à la même époque alors que 36 ans les séparent. Ce concept pose les bases, mais This Is Us ne serait pas une bonne série sans de bons personnages et c’est justement sans doute l’un des meilleurs arguments de la production de NBC. En prenant le temps de poser des psychologies à travers les âges, Dan Fogelman pose des personnalités crédibles et attachantes. Malgré quelques facilités ici ou là, une excellente série à ne pas rater.

Malin, Dan Fogelman ouvre son pilote sur une citation de Wikipedia qui évoque le nombre d’humains nés le même jour sur Terre et suggère des liens entre eux. Quand on découvre ensuite les anniversaires de quatre personnes différentes, on suppose que la série va s’intéresser à cet étrange phénomène, mais ce n’est pas le cas. This Is Us commence avec le 36e anniversaire de Jack, Kevin, Kate et Randall, respectivement le père et les trois enfants de la famille Pearson. D’emblée, la création de la NBC exploite l’une de ses spécialités, avec un mélange des époques sur des séquences qui ne se déroulent pas en parallèle, mais avec plusieurs dizaines d’années d’écart. Cette idée est centrale dans chaque saison, on bascule constamment d’une époque à l’autre, avec toujours les mêmes personnages. Le pilote se concentre sur les deux parents et leurs trois enfants le jour de leur naissance, mais l’univers s’étend au fur et à mesure pour intégrer les conjoints, les parents et les enfants de ce noyau dur de cinq personnages. On remonte le temps, on avance dans le futur et on navigue en permanence entre les différentes périodes de la vie de cette famille. Quelques épisodes se focalisent sur un fait en particulier, par exemple quand on se rend au Vietnam pour comprendre ce qui s’est passé pour Jack et son frère. La majorité préfère toutefois brasser les générations, avec régulièrement un thème qui les réunit toutes. Thanksgiving, une naissance, le poids de Kate, les doutes de Kévin, l’anxiété de Randall sont autant de sujets qui peuvent faire office de fil rouge au sein d’un épisode. Jouant sur toutes les combinaisons envisageables, This Is Us peut aussi envisager un même fait sous plusieurs angles, comme ce tryptique, un épisode pour chaque triplet. Cette virtuosité dans la gestion des époques est assez bluffante et les scénaristes parviennent à toujours offrir un résultat cohérent et fluide, une gageure.

Ce dispositif ne prend son sens que si l’on s’intéresse aux personnages et c’est fort heureusement bien le cas. This Is Us imagine une galerie d’Américains « moyens ». On sent que le jeu de mot sur le titre — « This is us » pour dire « C’est nous », mais aussi « This is US », « Ce sont les États-Unis » — a inspiré cette collection de personnages qui progressent socialement, accomplissant l’archétype de l’American Dream. Jake Pearson vient d’un milieu pauvre, mais blanc, ce qui lui permet de s’en sortir malgré tout en enchaînant les petits boulots jusqu’à trouver une carrière capable d’offrir un confort matériel à sa famille. Rebecca, sa femme, est issue d’une famille aisée avec laquelle elle est fâchée, mais qui lui a assuré une tranquillité d’esprit. Leurs enfants s’en sortent tous remarquablement dans la vie, surtout Kevin qui devient une star hollywoodienne et qui est riche à ne plus savoir qu’en faire, et aussi Randall, qui mène une carrière brillante qui lui permet de mener une vie fastueuse. Même Kate, sans véritable carrière, est à l’abri du besoin et ne connaît jamais les difficulté de ses parents. Cette ascension sociale exemplaire est contre-balancée par d’autres exemples et c’est l’un des points forts de la création de Dan Fogelman, d’ailleurs. Socialement ouverte et sensible, This Is Us brasse les cultures et milieux sociaux et met aussi en avant les avantages procurés par une société fondamentalement raciste aux Blancs. Les Afro-Américains, nombreux dans la série, doivent systématiquement lutter plus pour obtenir quoi que ce soit et la série n’hésite pas à affronter ce climat anxiogène et dénoncer les hypocrisies de la société nord-américaine par la même occasion. Sans aller jusqu’au brûlot politique, on reste sur une série télévisée grand public après tout, il faut saluer cet effort sur la diversité, tout en notant sa timidité sur d’autres valeurs. La représentation de la diversité sexuelle reste assez légère, avec un personnage bi qui meurt trop rapidement et l’un des enfants gay qui n’a pas encore l’opportunité de s’assumer pleinement. Le blocage des plus gros tabous américains est bien visible, avortement en tête : il n’en est jamais question sur les quatre premières saisons, alors que c’est un sujet qui pourrait être abordé une bonne dizaine de fois.

Cela dit, This Is Us se rattrape pleinement sur la qualité d’écriture de tous ses personnages. C’est indéniablement son plus gros atout : sur quatre saisons de dix-huit épisodes chacune, la création de la NBC a tout le temps nécessaire pour établir des profils psychologiques crédibles et offrir à tous ses acteurs le temps nécessaire pour créer des avatars crédibles. Il n’y a pas réellement d’exception, l’énorme casting rassemblé par Dan Fogelman pour incarner tous ses personnages à diverses époques de leur vie est excellent. Dans les rôles des parents, Milo Ventimiglia et Mandy Moore sont d’autant plus admirables qu’ils doivent traverser les époques sans compter sur plusieurs acteurs. Les maquilleurs aident bien en rajeunissant et vieillissant les deux acteurs, un travail réalisé avec beaucoup de goût et sans trop en faire au passage, mais la crédibilité de leur jeu est essentielle pour que cela fonctionne. Et c’est bien le cas, la jeune Rebecca chanteuse qui refuse d’avoir des enfants n’a plus rien à voir avec la vieille Rebecca grand-mère qui s’inquiète toujours pour ses enfants devenus grands, ni avec la jeune maman qui ne parvient pas à faire le deuil de son enfant mort-né. Les trois enfants adultes ont aussi une place centrale et c’est aussi une bonne pioche, que ce soit Justin Hartley pour Kevin, Chrissy Metz dans le rôle de Kate ou encore Sterling K. Brown pour incarner Randall, l’enfant adopté pour remplacer le triplet mort-né. Les trois acteurs trouvent leur propre voie et ils sont tous convaincants, mais le plus impressionnant est peut-être le choix des jeunes acteurs qui doivent les incarner dans leur enfance, puis dans leur adolescence. Chaque enfant a trois, puis quatre acteurs différents et This Is Us a réussi le pari fou de les accorder tous. Le Randall enfant, constamment stressé et anxieux, colle parfaitement au Randall adulte. Le Kevin enfant, socialement à l’aise et en même temps en quête constant d’attention, est idéalement associé au Kevin adulte, star adulée pleine de doute. Et la Kate enfant, mal dans sa peau et si empathique, se retrouve dans la Kate adulte, complexée par son poids et en quête d’amour. Tout concorde et le travail en amont, autant de recherche sur les personnages que d’écriture sur le scénario, est spectaculaire.

This Is Us n’est pas une série parfaite pour autant. On pourrait critiquer son utilisation caricaturale de musiques à base de guitare sèche ou de piano solo. Autre défaut, une tendance permanente à vouloir faire « monter la sauce », en créant des suspenses pas toujours bien maîtrisés, notamment autour de la mort de Jack. Les petites entourloupes scénaristiques, quand on croit que deux séquences se déroulent au même moment alors qu’elles sont séparées, sont amusantes une fois ou deux, mais elles deviennent vite caricaturales. Tous ces petits défauts n’enlèvent toutefois rien à la vision d’ensemble : Dan Fogelman a parfaitement atteint son objectif de représenter une famille américaine crédible à travers les époques. En ce sens, la création de NBC est une réussite éclatante et il est bien difficile de faire la fine bouche. Ne passez pas à côté de This Is Us, vous ne regretterez pas le voyage.