Tolstoï, le dernier automne, Michael Hoffman

On se souvient de Léon Tolstoï pour ses grands romans, de Guerre et Paix à Anna Karénine, on le connaît moins aujourd’hui comme fondateur d’un mouvement de pensée politico-religieux et comme riche de père de famille qui a voulu terminer sa vie pauvre et ascète. C’est précisément ce Léon Tolstoï que Tolstoï, le dernier automne entend présenter en se concentrant sur la dernière année de la vie de l’écrivain. Ce biopic à l’ancienne est intéressant pour cet angle méconnu, mais Michael Hoffman réalise un long-métrage bien trop conventionnel pour rester dans les mémoires. Dommage, le sujet méritait mieux…

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Pour raconter les derniers mois de Léon Tolstoï, le film suit les pas de Valentin Bulgakov, un jeune homme qui suit la pensée de l’écrivain devenu prophète mystique et politique à la fois. Tolstoï a besoin d’un secrétaire personnel pour l’aider dans son travail et c’est Valentin qui est choisi par Vladimir Chertkov, confident et assistant de l’écrivain qui aide ce dernier à mettre en forme sa pensée et surtout à la diffuser dans toute la Russie. On est alors en 1910, la Première Guerre mondiale n’a pas encore eu lieu, pas plus que la révolution bolchévique qui suivit dans l’immense pays. Les Tsars exercent toujours leur autorité sur cette société encore très asservie et croyante. Tolstoï est alors vu comme un anarchiste un peu dangereux, surtout vaguement fou, mais le danger pour Valentin vient de l’intérieur. Quand il arrive dans la grande propriété de la famille, il rencontre « la comtesse », Sophie Tolstoï, épouse depuis 50 ans qui mène une lutte sans merci contre le tournant idéologique de la vie de son mari et surtout contre Chertkov qui veut faire entrer les œuvres de Léon Tolstoï dans le domaine public. Valentin a un peu de mal à trouver sa place entre les deux camps…

Le sujet de Tolstoï, le dernier automne est indéniablement très intéressant. Cet aspect de la vie de Léon Tolstoï n’est plus vraiment enseigné, on n’évoque ce nom que pour les énormes romans qu’il a publiés et non plus pour ses théories. Ces dernières se sont muées par la suite et on retient plus facilement ses réinterprétations, parmi lesquelles celle de Gandhi est certainement la plus connue. Michael Hoffman tenait en tout cas un sujet en or en opposant le mari et la femme, même si la réalité est plus complexe. Qu’importe, le sujet est bon et le film attaque directement. On suit les pas de Valentin, jeune idéaliste naïf et encore puceau, qui manque de s’évanouir quand il apprend qu’il va servir Léon Tolstoï. L’écrivain est un dieu pour lui, il adhère complètement à ses idées, au point de prôner lui aussi l’abstinence qui est érigée en précepte pour les tolstoïstes. Son aveuglement plait à Cherktov qui l’embauche et lui demande en même temps d’espionner la femme de l’écrivain, qu’il qualifie d’entrée comme ennemie à leurs valeurs. C’est en fait sur un véritable champ de mines que s’engage le jeune homme, ce qu’il ne tarde pas à découvrir en arrivant au manoir de la famille. Tolstoï, le dernier automne s’engage alors au cœur du conflit entre époux, un conflit qui rejoint en quelque sorte celui entre le tolstoïsme et la société traditionnelle et tsariste.

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Michael Hoffman a souhaité se concentrer sur les hommes, ce qui n’est pas une mauvaise chose, mais il en a oublié l’Histoire et les idées. Tolstoï, le dernier automne n’est pas un film idéologue, mais il ne donne pas aux spectateurs toutes les clés pour comprendre les tenants et les aboutissants. Le contexte est évacué en quelques cartons au début du film et il glorifie de manière assez étonnante son sujet, alors que la suite est justement moins positive. Si vous ne connaissez pas non seulement l’œuvre de Léon Tolstoï, mais aussi la pensée qui l’a occupée toute la fin de sa vie, vous risquez bien de vous perdre un peu. On voit vers la fin des dizaines de journalistes et des centaines de curieux, mais on ne sait pas au juste ce qui les attire. Le monde extérieur reste en fait largement ignoré et Tolstoï, le dernier automne ressemble à bien des égards à un huis clos. Il faut reconnaître toutefois que le cinéaste parvient à caractériser ses personnages et leurs relations. Comme l’affiche le signale bien, il est beaucoup question d’amour ici : Michael Hoffman se penche autant sur l’amour abimé et distant du couple Tolstoï que sur l’amour naissant de Valentin. Les évocations du passé frivole de l’écrivain sont bien vues pour signaler la distance entre l’homme et le courant de pensée qui est né de lui, mais qui le dépasse désormais largement. On regrette finalement que ce point ne soit pas plus creusé, au profit de l’histoire d’une histoire d’amour vieille de 50 ans qui se déchire, une histoire qui parvient parfois à émouvoir, certes, mais qui n’est pas aussi originale et intéressante que le sujet Léon Tolstoï.

Si le film de Michael Hoffman se laisse regarder sans déplaisir et s’il parvient même à intéresser, c’est d’abord par le succès des acteurs qu’il a rassemblé autour de lui. Le casting de Tolstoï, le dernier automne impressionne et on peut notamment saluer la prestation remarquable de Helen Mirren, impressionnante en furie russe qui aime toujours autant son mari et qui refuse d’être ainsi laissée sur la touche. Autour d’elle, Christopher Plummer est plus sobre dans le rôle de l’écrivain, Paul Giamatti est bon dans un rôle qu’il a semble-t-il incarné déjà mille fois, tandis que James McAvoy se débrouille particulièrement bien en jeune assistant qui perd sa naïveté. Avec de tels acteurs, on ne peut que regretter le traitement trop conventionnel de l’histoire et la mise en scène extrêmement académique, qui donne le sentiment de voir un vieux film. Sans compter les aberrations liées à la langue : ce film international, cofinancé par la Russie d’ailleurs, aurait mérité une VO russe (Tandis que la version DVD aurait mérité une VOST en 5.1, en lieu et place de cette stéréo qui dénote à côté de la traduction multi-pistes…). À défaut, Tolstoï, le dernier automne ne devrait pas hésiter entre le russe et l’anglais à l’écrit, comme c’est le cas ici. La reconstitution historique semble par ailleurs tout à fait correcte, notamment en ce qui concerne la ressemblance physique de Christopher Plummer avec le personnage historique qu’il incarne.

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Au total, Tolstoï, le dernier automne est bien trop académique et se concentre bien trop sur la seule histoire d’amour entre Sophie et Léon Tolstoi pour plaire totalement. Le long-métrage n’est pas déplaisant, quoiqu’un peu long, mais Michael Hoffman n’exploite pas vraiment un sujet pourtant passionnant. Dommage, mais ce film donne envie de (re)lire les romans de ce grand auteur…