Le Tombeau des lucioles, Isao Takahata

Le Tombeau des lucioles est peut-être un film d’animation produit par les studios Ghibli, mais il n’est absolument pas destiné aux enfants pour autant. Pour sa cinquième réalisation, Isao Takahata adapte une nouvelle semi-autobiographique qui plonge les spectateurs dans le Japon de la Seconde guerre mondiale et le fait avec une violence assez rare pour un dessin-animé. Il y a bien encore quelques moments quasiment magiques, à l’image de ce que le studio a souvent offert dans ses productions, mais ils interrompent l’horreur absolue, celle de deux enfants totalement démunis face à une guerre inhumaine. La mort rode en permanence et le happy-end n’est jamais une option, l’ouverture macabre se charge bien de le rendre totalement impossible. Le Tombeau des lucioles n’est pas une œuvre réjouissante, mais elle est sincère, bouleversante et essentielle. Un classique qui ne vieillit pas.

Le réalisateur n’essaie même pas d’adoucir son sujet et il ouvre son film avec la mort d’un jeune de 14 ans, abandonné dans une gare de Kōbe. Cette terrible image est immédiatement associée avec le contexte historique : on est à l’été 1945, le Japon vient de capituler après avoir été bombardé à deux reprises par la bombe nucléaire des États-Unis. On se souvient toujours de ces deux bombes, devenues fort justement des symboles de la Seconde guerre mondiale, mais on oublie un petit peu trop vite qu’elles n’ont pas été les seules catastrophes qui se sont abattues sur les civils japonais à l’époque. Les Alliés se lancent dès juin 1944 dans une série d’attaques aériennes contre le Japon. Depuis les forteresses volantes B-29 intouchables du sol, le pays a été longuement bombardé, à la fois sur ses sites stratégiques pour limiter l’effort de guerre japonais, et à la fois sur les villes. Des bombes incendiaires ont été larguées par dizaines de milliers, elles n’éclataient pas au sol comme les bombes des raids européens, mais elles enflammaient aisément les villes largement construites en bois. C’est ce contexte historique qui sert de fondation au film : Le Tombeau des lucioles évoque par une série de flashbacks l’histoire de Seita et Setsuko, un adolescent et une petite fille, qui doivent survivre comme ils peuvent après un bombardement qui détruit leur maison et tue leur mère. Leur père est dans la marine à se battre loin du pays et ils se retrouvent chez une tante qui n’apprécie guère d’avoir à nourrir deux bouches supplémentaires. Ils finissent par se retrouver seuls dans un abri anti-aérien de la campagne, à survivre comme ils peuvent en espérant que leur père revienne un jour.

Isao Takahata a enlevé tout suspense dès le départ en présentant la mort de Seita et celle de sa sœur : ce n’est pas une belle histoire qu’il raconte avec Le Tombeau des lucioles. C’est un drame comme le Japon en a connu probablement par milliers à l’époque et le scénario n’essaie jamais de l’enrober dans une couche de douceur. Pour autant, le film n’est pas entièrement plombé et il contient même quelques moments plus légers, presque joyeux même quand le grand frère fait tout pour divertir sa petite sœur et lui faire oublier la mort de leur mère ou les horreurs de la guerre. Pendant une scène ou deux, quand ils se retrouvent près de l’étang et qu’ils s’endorment le soir avec des centaines de lucioles pour les éclairer, on pourrait même croire presque à une forme de bonheur. Il ne dure pas vraiment toutefois, l’époque et ses contraintes ne sont jamais loin. Les deux enfants peuvent se reposer un jour en allant à la plage, mais la guerre les rattrape finalement. Les restrictions alimentaires se multiplient, les deux enfants n’ont bientôt plus rien à manger et Seita en est réduit à voler la nourriture des fermes voisines et à piller les maisons des villes voisines pendant qu’elles brulent. C’est une vie de misère et qui est trop compliquée pour la jeune et trop fragile Setsuko. Le Tombeau des lucioles passe ainsi de la beauté pendant quelques séquences à l’horreur absolue, sans tomber pour autant dans la violence gratuite. Le réalisateur offre au contraire une vision pleine d’émotion de cette guerre et de ses effets, et son film est très touchant et triste. Comment ne pas ressentir de l’empathie face à ce garçon qui essaie comme il peut de protéger sa petite sœur de la guerre, mais qui est évidemment totalement impuissant ?

L’animation est souvent très simple, avec peu de mouvements notamment sur les arrière-plans, mais le dessin est aussi extrêmement complexe et précis. Par certains aspects, Le Tombeau des lucioles ressemble presque à un documentaire, ce qui renforce encore la puissance de ce qu’il présente. Le choix du dessin est en fait ce qui permet au film d’être encore plus intense et réussi, et c’est ce qui lui permet de relayer si bien son émotion, tout en offrant une plongée saisissante dans l’enfer de cette époque. Isao Takahata a ainsi signé une œuvre poignante et passionnante, qui n’a absolument pas pris une ride et qui mérite d’être (re)vue encore et encore. Si ce n’est pas pour le contexte historique des attaques aériennes contre le Japon, alors pour l’histoire de ces deux enfants laissés à eux-mêmes et impuissants.