Tournée, Mathieu Amalric

Prix de la mise en scène au Festival de Cannes, Tournée est aussi le quatrième film de Mathieu Amalric, mieux connu pour ses rôles d’acteur. Dans ce film, il se révèle à la fois un très bon metteur en scène et un excellent acteur. Mi-fiction, mi-documentaire, Tournée est un brillant mélange entre humour, tendresse et mélancolie. À ne pas rater.

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Joachim fut un grand producteur pour la télévision française. Quelques années avant le film, on ne sait jamais combien, il a tout quitté pour les États-Unis où il a voulu repartir à zéro. Quand Tournée commence, on est en France, au Havre plus précisément. Joachim a déniché outre-Atlantique une troupe de strip-teaseuses hors du commun. Loin des clichés du mannequin filiforme, les « filles » mettent au contraire en avant des formes avantageuses qu’elles assument pleinement. Ensemble, elles ont créé un show nommé « New Burlesque » qu’elles viennent présenter en tournée dans toute la France. Joachim leur a promis Paris, mais ils commencent par des ports, Le Havre, La Rochelle, Bordeaux, Toulon… Rapidement, on comprend que salle que Joachim devait utiliser à Paris ne lui sera pas accessible et on apprend lors d’un voyage à Paris qu’il n’y a pas que des amis, au contraire même. Les rancœurs sont tenaces et ressortent à ciel ouvert après plusieurs années d’étouffement lié au départ américain de Joachim. La soirée parisienne qui devait conclure brillamment la tournée n’aura pas lieu, mais chaque soir le spectacle remplit les petites salles de province et enchante tous les spectateurs, nous compris.

Ce qui est très impressionnant avec Tournée, c’est que ces femmes ne sont pas des actrices, mais bien des danseuses américaines. Mieux, la tournée elle-même est réelle : tous les spectacles filmés par Mathieu Amalric sont de véritables spectacles avec des gens venus voir un spectacle, dans les conditions normales d’un spectacle. La tournée a bien eu lieu et les scènes sont finalement des scènes du quotidien. On comprend alors mieux comment le film peut sonner aussi juste, alors que filmer des spectacles est en général une opération délicate qui peut très mal passer tant le résultat peut être faux, simplement. Nul doute de ce côté avec Tournée, l’enthousiasme de la salle est réel et le plaisir des danseuses communicatif. On ressent bien le plaisir qu’elles ont à faire leur spectacle et on aimerait bien en voir plus encore, des extraits plus longs en tout cas. Les scènes de spectacle proprement dites ont un petit goût de trop peu, mais il est vrai que le film ne fait déjà pas loin de deux heures. Cet aspect de documentaire est en tout cas fascinant, tant Tournée évoque la fiction.

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Tournée n’est en effet pas un documentaire et la fiction est également très présente. Si les filles jouent leur propre rôle, Amalric est un personnage de fiction et on peut imaginer que la majeure partie des scènes a été écrite, nonobstant les scènes de spectacle proprement dites. À dire vrai, on ne sait jamais vraiment ce qui relève de la fiction et ce qui est plus proche du documentaire. C’est très bien ainsi, le film tire de ce flou une grande force. La fiction donne à l’aspect documentaire une structure forte et confère une unité à Tournée. Le film est en même temps marqué par une sorte d’instabilité, comme si tout pouvait basculer d’un plan à l’autre, comme si le film n’était pas totalement écrit ce qui était sûrement le cas. Certains plans sont à l’évidence, en partie au moins improvisés tandis que le scénario général du film a certainement évolué. On peut même se demander si le réalisateur n’avait pas vraiment prévu un spectacle à Paris et si ce dernier n’a pas pu se faire, obligeant Amalric à modifier ses plans et s’adapter. On ne sait jamais vraiment et souvent on s’interroge : et si des scènes stupéfiantes comme celle de la station-service ou celle du supermarché étaient nées, au moins, d’une situation totalement imprévue ? J’aime cette idée que Tournée soit en permanence né de l’imprévu, quitte à réécrire certaines scènes : le verre versé sur l’hôtesse de l’air dans un hôtel est certes de la fiction, mais peut-être qu’il s’agit vraiment d’une hôtesse, qu’une danseuse a vraiment renversé un verre sur son costume et que le réalisateur lui a demandé si elle acceptait de tourner la scène à nouveau en jouant la comédie. Peut-être que cela ne s’est pas du tout passé comme ça, mais j’aime cette idée.

Le succès du film tient évidemment en ses actrices. Quelles femmes étonnantes, bien en chair, décomplexées, strip-teaseuses jamais vulgaires, drôles pour ne rien gâcher… elles transcendent le film par leur présence. D’emblée, la caméra de Mathieu Amalric plonge au sein de leur quotidien et on a immédiatement le sentiment de connaître ces femmes, comme de vieilles amies. Leur message militant en faveur de femmes libres et maîtresses décomplexées de leur corps est assez réjouissant à une époque où la minceur est une sorte tyrannie implicite. Une séquence montre l’impact de ce spectacle sur une femme lambda, une caissière qui a réveillé sa libido après leur spectacle au point de faire un strip-tease à son mari. Tournée repose en grande partie sur leur performance et leur présence éclatante à l’écran, et on comprend pourquoi Amalric les a fait monter sur scène en recevant son prix à Cannes. Mais il serait injuste de considérer que le film ne repose que sur les filles. Amalric a un rôle central, tant derrière que devant la caméra. Derrière, il propose une mise en scène efficace très réussie, à mi-chemin elle aussi entre ne réalisme du documentaire et le travail recherché de la fiction. Devant la caméra, il incarne un producteur un peu raté si convaincant que l’on peine à y voir un personnage et non Mathieu Amalric lui-même. C’est vraiment un excellent acteur et je le découvre comme étant un aussi bon réalisateur. Voilà une belle carrière qui s’annonce…

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Tournée est un excellent film que l’on ne peut que recommander. Sa brochette de danseuses constitue indéniablement une des forces de docufiction où la frontière entre réalité et cinéma est on ne peut plus floue. Mais Amalric y est aussi pour beaucoup, tant dans la réalisation que dans le rôle de Joachim. Une vraie réussite, du début à la fin sur le mode de « the show mut go on » qui était sans doute la seule fin vraiment envisageable pour un tel sujet. Une vraie réussite qui, en plus, vous fera sortir enchanté de la salle. À noter au passage une splendide reprise d’un titre de Radiohead, un moment magique…

Enthousiasme partagé sur la toile, que ce soit Rob Gordon qui écrit très justement que Tournée fait du réalisateur « l’un des très grands cinéastes français de façon inconditionnelle« . Même ambiance chez Alexandre qui en profite pour faire une hypothèse osée, mais intéressante, sur la féminité du personnage de Joachim. Enthousiasme chez Critikat, semi-déception mesurée par contre sur la route du cinéma.