Quand Toy Story sort sur les salles de cinéma du monde entier, au milieu des années 1990, personne n’avait vu un tel film. Près de soixante ans après Blanche-Neige et les sept nains, ce long-métrage révolutionnait à nouveau l’animation : après les dessins à la main, c’est l’ordinateur qui a généré une histoire. Quasiment vingt ans après, on a oublié à quel point c’était une nouveauté technique incroyable. Aujourd’hui, les dessins animés encore dessinés à la main sont les plus originaux, ce qui se distinguent de la masse face à un nombre incroyable de films animés avec un ordinateur. En 1995, ce n’était du jamais vu, ou presque : au début de la décennie Disney avait commencé à utiliser l’ordinateur pour certaines de ses productions et Pixar, créé dix ans avant la sortie de Toy Story, avait déjà eu l’occasion à plusieurs reprises de démontrer son talent. Ce long-métrage était techniquement bluffant, mais ce n’est pas là le plus important : si le travail de John Lasseter reste toujours autant d’actualité, ce n’est pas pour sa forme, mais pour son fond. Avant d’être un long-métrage d’animation révolutionnaire, Toy Story est un film passionnant, extrêmement bien écrit et réalisé. Un classique, à voir et à revoir !
Les studios Pixar ont été contraints de tout inventer, ou presque, pour proposer un petit peu plus d’une heure d’images de synthèse. Il a fallu créer des logiciels qui n’existaient pas, imaginer des solutions techniques impensables pour l’époque et faire tourner des centaines d’énormes ordinateurs pendant des dizaines de milliers d’heures. Les images les plus complexes ont nécessité jusqu’à 24 heures de temps de traitement et quand on sait qu’il a fallu générer plus de 100 000 images pour tout le film, on a une assez bonne idée du temps nécessaire pour créer l’ensemble. Tout ceci est passionnant sur le plan technique, surtout quand si l’on juge Toy Story avec nos yeux habitués aux films d’animation numériques modernes, mais ce n’est pas là l’essentiel. Heureusement d’ailleurs, car si John Lasseter s’était contenté de signer une simple démonstration technique, on n’en parlerait sans doute plus autant aujourd’hui. S’il n’y avait que la performance dans ce long-métrage, on pourrait juger qu’elle n’a pas beaucoup d’intérêt par rapport à ce que l’on sait faire aujourd’hui. Certains éléments sont en effet extrêmement bien réalisés et certains personnages, comme le dinosaure par exemple, n’ont pas changé dans toute la saga Toy Story. D’autres en revanche sont moins réussis : les personnages humains et le chien sont tous visiblement dépassés techniquement à l’aune des critères actuels, et même les décors sont encore simplistes et carrés, tandis que l’on note des erreurs de jeunesse, à l’image des parquets beaucoup trop brillants. En presque vingt ans, les progrès techniques ont été immenses et les ordinateurs actuels sont infiniment plus puissants que ceux qu’ils avaient à l’époque. Ils sont non seulement plus rapides, mais ils permettent aussi de générer des images beaucoup plus détaillées et beaucoup plus fluides. Pour autant, Toy Story ne mérite-t-il que d’être considéré pour son apport technologique ? Non, mille fois non. Toute cette débauche de nouveautés n’a aucun sens en soi, mais elle sert une cause bien plus importante : raconter une histoire.
En manque de moyens, Pixar qui appartenait alors à Steve Jobs a été obligée de signer un accord avec Disney. Au début des années 1990, le géant de l’animation connait son heure de gloire, avec quelques-uns de ses plus grands succès, de La Petite Sirène à Aladdin, en passant par Le Roi Lion qui sort un an avant Toy Story. Le studio commence à expérimenter avec les ordinateurs, mais Pixar a une nette longueur d’avance dans ce domaine et les deux entreprises signent un accord gagnant/gagnant. Disney finance le premier long-métrage du studio et deux autres, en échange de quoi l’entreprise obtient une partie du savoir-faire technique de Pixar. Est-ce que Toy Story aurait atteint un tel niveau sans cet accord ? Difficile de le savoir, mais il y a quelque chose de frappant à (re)découvrir ce premier long-métrage : d’emblée, le studio d’animation par ordinateur prouve qu’il peut signer de grandes histoires, et en plus des histoires très originales. Jugez plutôt : les personnages mis en scène par John Lasseter ne sont pas des humains, et ce ne sont pas non plus des animaux. Ce film est construit entièrement sur la base d’objets en théorie inanimés, mais que l’on finit par croire vivants. Plus fou encore, le pari de Toy Story est de transmettre une émotion en passant par ces objets produits à la chaine dans une usine en Asie. Une émotion, et une personnalité : on doit s’attacher à ces morceaux de plastique comme s’il s’agissait d’êtres vivants. C’est une idée un peu folle, mais c’est précisément ce qui a fait le succès du studio par la suite : pour prendre le cas le plus extrême, Cars n’est constitué que de voitures, et pourtant on ne voit que des êtres vivants.
John Lasseter et toutes les équipes de Pixar avaient bien compris que leur technique ne servirait à rien sans une histoire et celle de Toy Story est excellente. On a d’abord la surprise de découvrir un univers où les jouets, quand ils ne sont pas utilisés par les humains, vivent leur vie de façon autonome. Dès qu’ils sont seuls dans la chambre d’Andy, tous les jouets du garçon s’animent et se déplacent, discutent entre eux, bref mènent une vie (presque) comme vous et moi. La première scène permet de comprendre cette singularité : dans un premier temps, les jouets bougent, parce qu’Andy les déplace dans l’histoire qu’il imagine. Quand le garçon s’en va, chaque jouet devient vivant et bouge encore, mais cette fois par sa propre volonté. La première fois que l’on voit le long-métrage, l’effet de surprise est indéniable et le scénario est déjà très malin. Évitant de tout expliciter, il préfère au contraire montrer et faire confiance à l’intelligence des spectateurs. Pari gagné : même les enfants comprennent très bien Toy Story et le film évite ainsi la lourdeur qu’ont trop de films « pour enfants ». Il n’y en a d’ailleurs pas du tout que pour les plus jeunes : John Lasseter multiplie les références à la fois vers Disney (on voit Mickey à un moment, on entend la musique du Roi Lion à un autre) et vers d’autres œuvres plus adultes. Star Trek et Star Wars, mais aussi des films d’horreur : les scénaristes n’ont pas peur d’effrayer les plus jeunes, et c’est tant mieux. Ajoutons que l’enjeu principal de ce premier volet — l’arrivée d’un nouveau jouet qui déclasse le favori d’Andy — n’a rien d’un thème infantilisant. Au contraire, avec ce jouet qui n’a pas conscience de son statut et qui se pense vraiment comme Buzz, ranger intergalactique, on a un sujet de fond assez profond sur l’identité. Toy Story ne montre peut-être que des jouets, mais cela ne l’empêche pas d’avoir des arguments matures. En cela, il touche en plus une forme d’universel qui justifie sa durée de vie exceptionnel.
Toy Story n’est pas seulement une première sur le plan technique, et l’animation informatisée est peut-être même le moins important. Dès ce premier film, Pixar met en avant autre chose : sa capacité à raconter des histoires extraordinaires. Certes, John Lasseter ne fait pas appel à des dessins sur un papier pour réaliser son film, mais qu’importe : ce qui compte, c’est que Toy Story raconte une grande histoire, et c’est bien le cas. Le film a plutôt bien vieilli dans l’ensemble, même si on fait mieux aujourd’hui naturellement, mais on oublie totalement toutes ces questions techniques quand on le regarde. On se passionne pour ces jouets et on finit par les considérer comme des personnes. C’est d’abord ça, la grande réussite de ce premier film d’animation numérique.