Changement de genre pour J.C. Chandor : après la crise des subprimes avec Margin Call et la mafia avec A Most Violent Year, place au film de casse ! Du moins, c’est ce que le synopsis de Triple Frontière laisse entendre, parce que le résultat final est assez différent au fond. Le cinéaste pourrait réaliser un film de casse traditionnel, mais il semble oublier son sujet à mi-parcours et il dérive vers autre chose. En soi, ce n’est pas gênant, mais le film déçoit par son traitement assez simpliste de l’histoire et par sa noirceur forcée. Triple Frontière aurait pu être intéressant, mais le film ne restera pas en mémoire.
Pourtant, J.C. Chandor commence avec une introduction digne des meilleurs films de casse. Dans un premier temps, il s’agit de rassembler une équipe de professionnels pour le casse. En l’occurrence, un ancien militaire qui travaille avec la police colombienne comme conseiller spécial a repéré la cache d’un parrain de la drogue. Il sait que la maison contient plusieurs centaines de millions de dollars, et il sait que le gouvernement colombien, corrompu, ne veut rien faire pour l’arrêter. Alors il propose à quatre autres soldats qu’il a connu en Irak de s’en charger eux-mêmes. Cette introduction est assez longue, Triple Frontière essayant de laisser autant de place à chaque personnage et surtout de montrer qu’ils n’ont rien à faire de leur vie. Le stress post-traumatique est toujours bien là et ces anciens soldats peinent à vivre, ils doivent tous faire des petits boulots sans intérêt et la violence des combats ressurgit souvent. C’est un petit peu longuet, mais quand le scénario nous embarque au cœur de la jungle sud-américaine, le film devient plus intéressant, alors qu’il reprend la trame classique du genre. Les cinq soldats approchent la maison, l’observent quelques jours et vérifient que l’argent est bien là. Ils décident de leur plan d’attaque et J.C. Chandor peut alors lancer l’assaut contre la maison et commencer à ajouter les grains de sable qui bloquent la machine bien huilée. C’est classique, mais assez efficace malgré tout, et on apprécie le symbole bien trouvé de l’argent littéralement dans tous les murs de la maison, comme si c’était ces billets qui tenaient l’édifice en place. À défaut d’être original, Triple Frontière est un film de casse qui tient la route jusque-là, mais qui déraille dans la foulée.
Il y a beaucoup plus d’argent que prévu dans la maison et les soldats sont trop gourmands. Ils prennent beaucoup plus de sacs de billets que prévu, ils remplissent même des valises trouvées sur place, ce qui fait que tout le plan tombe à l’eau. Ils partent trop tard et doivent affronter des gardes, transformant l’opération qui devait se limiter à un seul mort en un vrai massacre. Pire, la charge est trop lourde pour l’hélicoptère qu’ils ont affrété. Les personnages le savent, ils l’expriment clairement, mais le font malgré tout et cette gourmandise conduira inéluctablement à l’issue malheureuse que l’on peut imaginer. Le souci, c’est que J.C. Chandor ne dit jamais pourquoi ils agissent comme ça. Sont-ils simplement idiots ? Le scénario nous les présente au contraire comme des soldats brillants, en particulier leur ancien officier qui est censé être le cerveau de toute l’opération. Dès lors, comment ce casse parfaitement planifié peut échouer à ce point ? Triple Frontier n’était pas obligé de proposer un casse parfait où tout se déroule à merveille, évidemment, mais le film manque de cohérence et il échoue à donner certaines explications pourtant simples. Par exemple, pourquoi est-ce que le long-métrage a ce titre ? On n’a aucun repère géographique et on ne sait pas que l’on est quelque part entre les frontières du Brésil, du Paraguay et de l’Argentine. On ne sait pas non plus qui est le mafieux attaqué, quelle est son importance, ni quelle est l’implication du gouvernement américain dans la lutte contre la drogue. On ne sait rien au fond et le cinéaste se consacre sur ses cinq personnages, sans contexte. Difficile dès lors de se passionner pour ces soldats qui font n’importe quoi jusqu’au bout, alors qu’il y avait de quoi faire. Les conséquences de la guerre sur des individus normaux sont évoquées brièvement et le spectateur peut les lier avec des événements présentés dans Triple Frontière, mais c’est à lui de faire le travail et le scénario donne l’impression de ne jamais s’en soucier.
Triple Frontière n’est pas un film déplaisant à regarder et il y a quelques séquences qui parviennent à convaincre, notamment grâce à une bonne dose de tension. Mais au bout du compte, que retient-on du dernier long-métrage de J.C. Chandor ? Pas grand-chose malheureusement, la faute à des personnages assez caricaturaux et une intrigue qui semble trop stupide pour être encore réaliste. Un film à voir et à oublier rapidement, hélas.