Le titre français vend la mèche : Mais qui a tué Harry ? est centré sur un mort et sur sa résolution. Néanmoins, le titre original — The trouble with Harry — était bien meilleur en restant plus flou, et pour cause : pour une fois, Alfred Hitchcock ne propose pas un monument de suspense, en tout cas pas sérieusement. Ce long-métrage atypique est en effet une comédie et s’il y a bien un mort et un doute sur l’origine de sa mort, ce n’est pas le principal moteur de l’action. Mais qui a tué Harry ? est une œuvre surprenante, une comédie romantique légère et un enchaînement de séquences souvent absurdes alors qu’un petit village perdu au fin fond des États-Unis découvre un cadavre et ne semble jamais s’en inquiéter outre-mesure. À défaut d’être un grand film, un divertissement très plaisant.
Alfred Hitchcock commence par poser son décor avec quelques plans de campagne, par une belle journée d’automne. Mais qui a tué Harry ? Ou a est à nouveau tourné en couleurs et en VistaVision, un nouveau procédé qui permettait d’obtenir une image plus grande et de meilleure qualité. Le cinéaste l’exploite pleinement avec des séquences captées dans le Vermont, avant de réaliser une transition très habile dans les décors de studio, puisqu’une bonne partie des scènes ont été filmées en intérieur, comme c’était fréquent au milieu des années 1950. Ces premières images sont très belles, les couleurs sont éclatantes, mais elles ont aussi un rôle évidemment : la beauté de la nature vide est interrompue par trois coups de fusil. Un petit garçon qui joue dans les bois tombe alors nez à nez avec un homme au sol, mort. Le spectateur comprend sans peine qu’il s’agit du Harry du titre et le réalisateur présente ensuite tous les personnages qui pourront être suspectés plus tard. Il y a le capitaine Wiles qui chassait et qui a tiré les coups de feu, tuant peut-être par accident cet homme. Il y a miss Gravely qui débarque peu de temps après et qui ne semble pas surprise de retrouver ce cadavre. À moins que ce ne soit Jennifer, qui est aussi la femme du défunt et qui semble bien contente de sa mort ? Ou alors Sam Marlowe, un artiste un petit peu excentrique dont le premier réflexe en trouvant le corps est de le dessiner. Une fois ces présentations faites, on pourrait penser que l’enquête à proprement parler pourrait commencer, mais il n’en est rien.
Le long-métrage surprend en effet d’emblée par son ton très léger et par l’insouciance des personnages quand ils découvrent le corps. Nulle horreur dans ce décor idyllique en effet, personne ne semble même surpris de retrouver un homme inconnu et mort au milieu des bois. Seul le garçon qui le trouve en premier a une réaction sensée en allant chercher sa mère, tous les autres réagissent bizarrement. Le chasseur, par exemple, s’accuse immédiatement des faits et cherche à cacher le corps, mais quand une de ses voisines passe par là, ils échangent quelques mots et conviennent ensemble de ce qu’il convient de faire avec le cadavre. De fait, Mais qui a tué Harry ? devient de plus en plus ostensiblement une comédie, et non un thriller. On ne peut pas dire que le film soit hilarant, mais Alfred Hitchcock avance sur un terrain où on le connaît moins et manie un humour teinté d’absurde très britannique avec un talent certain. Les réactions sont toujours inattendues et le scénario multiplie les séquences qui n’ont aucun sens, avec un sens du comique de répétition bien aiguisé. Que ce soit le docteur distrait qui trébuche à deux reprises sur le cadavre sans s’apercevoir de quoi que ce soit, ou bien l’enterrement et déterrement de Harry qui est répété trois fois, le ton est clairement léger, même s’il s’agit malgré tout d’un mort. On imagine d’ailleurs que les réactions à sa sortie ont pu être outrées, alors qu’il y avait encore une censure officielle et des consignes à respecter. Plus de soixante ans après, cet humour macabre a très bien résisté et le film est toujours aussi plaisant à regarder, mais il paraît également toujours très gonflé par son humour macabre.
Mais qui a tué Harry ? est un faux thriller et une vraie comédie romantique à peine noircie par la présence d’un cadavre. Alfred Hitchcock s’amuse à déployer une histoire d’amour avec un meurtre au milieu et le résultat est extrêmement plaisant. Ce n’est pas un tour de force comme ont pu l’être d’autres productions du cinéaste, mais l’ensemble est léger et assez original. Si vous aimez l’humour noir et l’absurde britannique, ne passez pas à côté !